Une délégation islamo-chrétienne en visite à Rome
Témoigner ensemble de ce qu’ils vivent en France, tel est l’enjeu de la visite qu’effectueront, du 6 au 8 janvier 2015 à Rome, quatre imams, Mgr Michel Dubost, évêque d’Evry-Corbeil-Essonnes, Président du Conseil pour les Relations interreligieuses, et le P. Christophe Roucou. Le directeur du Service national pour les Relations avec l’Islam (SRI) en dégage les enjeux.
Pourquoi partez-vous à Rome ?
C’est la première fois que des imams français, engagés dans les relations avec les chrétiens depuis plusieurs années, vont à Rome saluer le pape, à l’audience générale du mercredi. Ce n’est pas simplement une visite symbolique car ils vont aussi rencontrer un certain nombre de responsables et d’acteurs du dialogue du côté romain.
Qui compose cette délégation ?
Avec Mgr Michel Dubost, nous avons choisi des hommes avec qui nous sommes en relation depuis plusieurs années. Leur point commun est qu’ils sont tous engagés en paroles et en actes dans les relations avec les chrétiens. Nous étions limités du point de vue financier…
M. Mohammed Moussaoui, ancien Président du Conseil Français du Culte Musulman (CFCM), à la fin du mois d’août 2014, « a pris son bâton de pèlerin » pour aboutir à une déclaration sur les chrétiens du Moyen Orient, signée par tous les responsables français. Avec le Pasteur Claude Baty, alors Président de la Fédération Protestante de France (FPF), et le cardinal André Vingt-Trois, Président de la Conférence des évêques de France à l’époque, ils avaient mis en place la Conférence des Représentants des Cultes en France (CRCF), qui permet de manière informelle aux responsables des cultes de se réunir et d’échanger. Je me souviens de M. Moussaoui racontant à des étudiants de l’Essec comment il en était venu au dialogue islamo-chrétien: étudiant à Montpellier, des chrétiens avaient prêté une salle pour la prière du Ramadan. Il a dit cette phrase : « Quand on a été témoin de la charité des chrétiens une fois dans sa vie, on ne l’oublie pas ».
Quant à M. Azzedine Gacci, recteur de la mosquée Othman à Villeurbanne, il a lancé, avec le Père Vincent Féroldi, de Lyon, le Forum islamo-chrétien, qui réunit chaque année depuis 2011 à Lyon, 25 responsables chrétiens et 25 responsables musulmans pour des échanges informels, dans la confiance, pour essayer de progresser dans la compréhension des uns et des autres, et même avancer vers des solutions face à des situations difficiles. Il est aussi, toujours avec le P. Féroldi, à l’origine de « L’Appel des 110 », lancé le 1er octobre 2014, par tous les responsables religieux de Lyon – du cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, au Grand Rabbin. « Nous nous engageons » a été signé par 1500 personnes.
M. Tareq Oubrou, grand imam de la mosquée de Bordeaux, participe beaucoup à de rencontres avec des chrétiens. Nous avons écrit ensemble un livre, « Le prêtre et l’imam », paru à l’automne 2013.
Enfin, M. Djelloul Seddiki, à la Mosquée de Paris, est engagé dans des échanges qui ont lieu de temps en temps entre étudiants de l’Institut Al Ghazali qu’il dirige et de l’Institut catholique de Paris.
Etre déjà engagé dans ce dialogue apporte une certaine reconnaissance de ce que nous vivons ensemble pour que cette rencontre à Rome soit une étape pour aller plus loin sur un chemin de confiance et de travail ensemble.
Quel est l’enjeu de ce voyage ?
Ensemble – nous tenons, avec Mgr Dubost, à ce mot – nous allons témoigner de ce que nous essayons de vivre en France. Le cardinal Jean-Louis Tauran, Président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, que j’ai rencontré au mois d’août, reconnaissait que, devant le drame de ce qui se passe au Moyen Orient – des chrétiens chassés de leurs terres – la réaction avait été assez rapide et unanime de la part des responsables musulmans en France. Ce genre de réaction est due au fait qu’il existe une relation de confiance et d’amitié entre nous. Quand les uns sentent qu’un sujet est très important pour les autres, ils s’en préoccupent et réagissent. Nous aimerions aussi travailler davantage sur des questions qui se posent dans la société française, comme l’éthique et la solidarité. Cette année, nous fêterons les 50 ans de la Déclaration sur les religions non-chrétiennes, « Nostra Aetate », de Vatican II. Dans le paragraphe 3, consacré aux musulmans, il est dit que le Concile exhorte chrétiens et musulmans « à oublier le passé et à s’efforcer sincèrement à la compréhension mutuelle, ainsi qu’à protéger et à promouvoir ensemble, pour tous les hommes, la justice sociale, les valeurs morales, la paix et la liberté ». Alors que certains de nos concitoyens estiment que les religions sont la cause de tous les maux, qu’ensemble, des chrétiens, des musulmans, des juifs ou d’autres, servent des personnes en difficulté, montre le sens d’un engagement au service de l’homme, à cause de la foi en Dieu.
Quels seront les temps forts de la visite ?
Dans la journée du mercredi 7 janvier, nous avons deux rendez-vous importants, qui touchent la formation des futurs prêtres et des futurs cadres religieux musulmans. Nous verrons comment chacun, appelé à devenir responsable dans sa communauté et donc amené à avoir un rôle de transmission, d’éducation, connaît et est ouvert à la tradition de l’autre. Nous passerons donc deux heures à l’Institut Pontifical pour les Etudes arabes et l’Islamologie (PISAI) – où moi-même j’ai étudié pendant deux ans. Cet institut de l’Eglise catholique permet à des chrétiens de se former à la langue arabe et à l’islamologie. Aujourd’hui, la majorité des étudiants vient d’Afrique, du Pakistan, d’Indonésie. Je trouve important qu’il puisse y avoir un échange sur les cursus de formation et que nos amis français entendent ce que vivent des prêtres en Afrique sub-saharienne et en Asie dans leurs relations avec les musulmans, en positif et peut-être aussi en négatif ou en questions. Cette étape au PISAI montrera que l’Eglise catholique « investit » pour préparer à la rencontre des gens compétents. Même si depuis plusieurs années, aucun Français ni aucune Française n’a étudié dans cet institut… Il y a deux ans déjà, Mgr Dubost avait interpellé les évêques à l’Assemblée plénière de Lourdes pour demander : « Qui forme-t-on, pour dans dix ans, dans l’Eglise en France ? » Le deuxième rendez-vous a été possible grâce à Mgr Antoine Herouard, ancien Secrétaire général de la Conférence des évêques de France et Recteur du Séminaire français à Rome. Nous rencontrerons l’ensemble de ceux qui étudient au Séminaire français – jeunes prêtres et séminaristes. Ce sera la mise en œuvre concrète de cet échange entre futurs cadres chrétiens et musulmans. D’ailleurs les quatre imams logeront au Séminaire français, comme les évêques d’habitude.
Jeudi 8 janvier, nous nous rendrons aux fouilles, sous la basilique Saint-Pierre de Rome. Nos amis pourront y découvrir l’histoire de l’Eglise, en partant des origines, puisqu’il y a le cimetière païen où l’apôtre Pierre a été enterré. Ils verront comment, progressivement, on est arrivé à cette basilique imposante. Puis nous aurons un rendez-vous de travail avec le cardinal Jean-Louis Tauran. Il se trouve qu’il est bordelais et que M. Oubrou, grand imam à Bordeaux, l’a accueilli chez lui à l’occasion du Ramadan.
Avec François, l’amitié pour faire progresser le dialogue islamo-chrétien
Le Pape François s’est ainsi rendu en Terre Sainte avec un rabbin et un responsable musulman, avec qui il est ami. Par ailleurs, il est le premier à utiliser, dans ses discours, le mot « islam ». « Il parle des croyants de l’Islam, explique le P. Roucou. Je pense que c’est perçu, par nos interlocuteurs musulmans, comme une marque de respect ».