Note sur le cas de Monsieur Vincent Lambert par le Père Brice de Malherbe

13 mars 2009: Le P. Brice de MALHERBE, du département de recherche "Ethique biomédicale" du Collège des Bernardins, lors du colloque "Les sciences de la vie sont-elles porteuses de leur propre éthique", Collège des Bernardins, Paris (75), France.

Dans la très délicate affaire Vincent Lambert, le Père Brice de Malherbe, prêtre du diocèse de Paris et spécialiste des questions de bioéthique nous livre quelques éléments de réflexion.

1. Les faits

Vincent Lambert, âgé de 38 ans, a été victime d’un traumatisme crânien suite à un accident sur la voie publique. Il est depuis cinq ans dans un état stable correspondant aux caractéristiques de l’état pauci-relationnel (1), sans amélioration marquée.
Début 2013, une réflexion collégiale de l’équipe qui le prend en charge à l’hôpital de Reims – réflexion à laquelle son épouse a été associée – a abouti à la décision de suspendre la nutrition par voie artificielle dont il bénéficiait. Suite à une saisine des parents de Vincent, le tribunal administratif de Reims a ordonné une reprise de la nutrition – trente jours après le début de sa suspension – au motif que tous les proches n’avaient pas été associés à la décision de suspension.
Une nouvelle réflexion collégiale, incluant cette-fois les parents, a été entamée en septembre 2013 à l’hôpital. En janvier 2014, le médecin responsable, le docteur Kariger, décide de nouveau de suspendre la nutrition et l’hydratation artificielle, au motif qu’elles relevaient de l’obstination déraisonnable et que Vincent Lambert n’aurait pas souhaité vivre dans une telle situation. Aussitôt saisi par les parents de Vincent, le tribunal administratif de Reims a demandé de ne pas mettre en œuvre cette décision. L’affaire a été ensuite portée devant le Conseil d’État par l’épouse de Vincent Lambert, un de ses neveux, et le CHU de Reims. Le Conseil d’État a estimé devoir approfondir le dossier à l’aide de plusieurs expertises. Jugement attendu le 20 juin.

2. Les questions juridiques

a) Le tribunal administratif de Reims a considéré dans son jugement du 16 janvier 2014 demandant de suspendre la décision d’arrêter la nutrition artificielle:

– Que « l’alimentation et l’hydratation artificielles… nécessitent en l’espèce le recours à des techniques invasives en vue de leur administration » et donc « consistent en des traitements». Traitements auxquels un patient pourrait s’opposer ou que l’équipe médicale pourrait suspendre selon les termes de la loi de 2005.
– Cependant, qu’en l’espèce, il n’était pas possible de savoir ce qu’aurait souhaité Vincent L.
– Surtout, que l’alimentation et l’hydratation de Vincent L. ne constituaient pas une « obstination déraisonnable », ni ne représentaient un « maintien artificiel de la vie ». En effet, elles n’engendrent pas de souffrances particulières et permettent « la conservation d’un certain lien relationnel ».
– Que l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation entraînerait la mort de Vincent L. à très bref délai. Ceci correspondant à une atteinte grave et manifestement illégale à son droit au respect à la vie rappelé notamment par l’article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

Par ailleurs, considérant que l’équipe médicale de Reims appliquerait la décision du tribunal, celui-ci a rejeté la demande des parents de transférer Vincent L. dans un autre établissement.
La SFAP (2) s’est émue que le Tribunal administratif donne « une définition juridique et non pas médicale de l’obstination déraisonnable ». On voit bien le risque d’une intervention croissante de l’autorité judiciaire dans le domaine médical sous la pression des patients ou de leurs proches. Mais pourquoi reprocher aux juges de faire leur travail ? D’autant plus que la SFAP se réjouit que le même tribunal considère l’alimentation et l’hydratation artificielle comme un « traitement »

b) Le Conseil d’État, dans sa décision du 14 février 2014 a considéré :

– Que même si Vincent L. n’était pas en fin de vie, la loi de 2005 lui était applicable.
– Que l’alimentation et l’hydratation par voie artificielle constituaient bien un traitement pouvant être suspendu dans les conditions posées par la Loi.
– Qu’il avait besoin de l’avis d’experts pour juger s’il y avait lieu ou non de suspendre en l’espèce ce « traitement » en estimant le caractère irréversible des lésions de Vincent Lambert, sa capacité à communiquer, de quelques façons que ce soit avec son entourage, et la signification de ses réactions quant à la volonté de poursuivre les soins ou non.

Certains juristes contestent le fait que la loi définisse l’alimentation et l’hydratation comme des traitements. En effet, ce n’est que dans l’exposé des motifs de la loi de 2005 (« loi Léonetti »), et non dans la loi elle-même que nous trouvons cette affirmation. Cette contestation me paraît difficilement défendable.

c) Le rapporteur public du Conseil d’État, Rémi Keller, a préconisé le vendredi 20 juin 2014, de cesser l’alimentation et l’hydratation de Vincent Lambert.

Il s’est fondé pour cela sur « la dégradation de l’état de conscience » de Vincent Lambert et « l’irréversibilité de ses lésions ». Pourtant, les experts consultés depuis février ont soulignés « que dans une telle situation et en l’absence de directives anticipées et de personne de confiance, le degré de l’atteinte de la conscience ne saurait constituer le seul élément déterminant de la mise en route d’une réflexion concernant un éventuel arrêt de traitement ».

Le jugement définitif du Conseil d’État devrait être rendu ce mardi 24 juin à 16h.

3. Les questions d’éthique médicale.

Les personnes en état végétatif ou en état de conscience minimale sont des personnes « certes lourdement handicapées et totalement dépendantes mais non atteintes d’une maladie particulière évolutive ou en phase terminale » (3). Ils appellent une prise en charge spécifique qui ne relève pas des soins palliatifs. On peut donc s’étonner que Vincent L. soit « à l’unité d’hospitalisation de soins palliatifs du CHU de Reims, dans une sous-unité de soins de suite et de réadaptation, qui accueille des patients en état pauci-relationnel ». La confusion des deux types d’unité est sans doute source de difficultés dans l’accompagnement.
Dans sa réponse à la saisine du Conseil d’État, l’Académie Nationale de Médecine (4) a d’ailleurs demandé que les Agences Régionales de Santé veillent à ce qu’il y ait suffisamment d’unités d’accueil à long terme adaptées aux patients en « état végétatif chronique » comme l’avait demandé une circulaire ministérielle de 2002.
Le séjour dans ces unités dédiées n’est pas limité en durée et si la famille le souhaite un retour au domicile est possible avec le soutien requis.

Pour ce qui est de l’alimentation et de l’hydratation par voies artificielles, nous pouvons certes considérer abusif leur classification dans la catégorie des « traitements » alors même qu’elles répondent à un besoin de base de tout être humain sans prétendre à une visée thérapeutique.
Mais plus que la distinction entre traitement et soin, la question est de savoir si l’alimentation et l’hydratation répondent à l’objectif d’apporter un confort au patient ou non, voire si elles nuiraient à sa qualité de vie. Selon l’Association Professionnelle « France Traumatisme Crânien », si « L’EVC/EPR est une situation chronique où des limitations thérapeutiques peuvent être discutées en cas de complications médicales graves dans le cadre de la Loi Léonetti pour éviter tout acharnement thérapeutique », en revanche « l’alimentation et l’hydratation, comme les soins d’hygiène et de confort, font partie…des soins de base dus à tout patient dans cette situation de stabilité clinique (5) ». L’Académie Nationale de Médecine, quant à elle, a rappelé que le droit des patients d’accès à l’alimentation ne saurait être conditionné par leur capacité relationnelle (6). On ne peut déduire de la grande faiblesse de cette capacité que le soin porté à ces personnes relève du « maintien artificiel de la vie ».

Ces recommandations rejoignent les conclusions formulées par des instances ecclésiales. Conclusions qui sont le fruit de plusieurs années de réflexion éthique fondée sur des travaux scientifiques internationaux. Nous pouvons citer les recommandations de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi de 2007 et la déclaration commune juive/catholique signée par l’Archevêque de Paris et le Grand Rabbin de Paris la même année.

Sur ce point, si l’on juge nécessaire une adaptation de la loi Léonetti, celle-ci devrait aller dans le sens d’une plus grande clarification des situations pour lesquelles se posent la question de l’arrêt de l’alimentation et de l’hydratation et renvoyer aux règles de bonnes pratiques des sociétés savantes et associations professionnelles concernées.

(1) Atteinte d’une lésion cérébrale grave traumatique, la personne en état pauci-relationnel ou état de conscience minimale présente des réactions comportementales minimales mais précises, lesquelles semblent témoigner de la conscience que le patient a de lui-même ou de l’environnement. Cet état est à distinguer d’un état végétatif permanent (Coma science groupe).

(2) Société Française d’Accompagnement et de Soins Palliatifs

(3) Cf. Réflexion de l’association professionnelle France Traumatisme Crânien à propos de l’affaire Vincent Lambert, 10 février 2014

(4) Document du 22 avril 2014

(5) Réflexion de France Traumatisme Crânien à propos de l’affaire Vincent Lambert, 10 février 2014. EVC : État Végétatif Chronique. EPR : État Pauci-Relationnel

(6) Académie Nationale de Médecine, Réponse à la saisine du Conseil d’État, 22 avril 2014

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