Elena Lasida : « Osons un nouveau développement ! »

Economiste à l’Institut catholique de Paris, Elena Lasida est chargée de mission pour « Justice et Paix ». Elle a coordonné la publication du livre « Oser un nouveau développement – Au-delà de la croissance et de la décroissance » (Ed. Bayard). La préface est signée Mgr Michel Dubost, évêque d’Evry-Corbeil-Essonnes, président de Justice et Paix France.
 

Pourquoi un livre sur le développement aujourd’hui ?

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Il répond avant tout à une actualité sociale. Aujourd’hui, la notion de développement est complètement remise en question, notamment par le développement durable. C’est un terme utilisé dans tous les domaines et tous les milieux, parfois avec des significations contradictoires. On le réduit souvent à la question environnementale. Pour nous, Justice et Paix, le développement durable, c’est tout le « vivre ensemble ». Nos modes de vie sont interrogés par les problèmes liés aux ressources naturelles. Pour l’Eglise, cette question est centrale et cruciale. Si le développement n’est pas simplement une problématique technique – consommation, production, finance – mais concerne avant tout comment on fait société ensemble, quelle est la finalité de la vie et pas seulement les moyens pour vivre, l’Eglise a son mot à dire. Dans ce débat de société, l’Eglise ne peut pas être absente. Ce qui l’intéresse, c’est l’humain.
 

Vous parlez du « bien vivre ensemble ». Qu’entendez-vous par là ?

Cela renvoie autant à la dimension individuelle que collective. Il vise une nouvelle articulation entre les deux qui permette de répondre au projet individuel de chaque personne et que celui-ci soit intégré à un projet avec d’autres. Souvent, malheureusement, on oppose intérêt individuel et intérêt collectif. Un certain discours laisse entendre que l’intérêt collectif limite l’intérêt individuel. Je pense que le développement durable montre que le collectif vient enrichir l’individuel: il peut donner à l’individuel la possibilité de se déployer. Pour moi, le « bien vivre ensemble » renvoie à cette nouvelle cohérence.
 

En quoi les chrétiens sont-ils concernés ?

En tant que chrétiens, je pense que nous sommes appelés à être présents dans la société, dans le monde dans lequel nous vivons. Aujourd’hui les institutions classiques sont fragiles. On le voit notamment à l’occasion de la réforme des retraites. L’Etat-Providence doit se transformer pour répondre aux réalités, aux besoins et aux ressources de notre société. Le débat social est un espace à renouveler. Il est indispensable pour inventer ces nouvelles formes d’institutions, d’actions collectives qui soient cohérentes avec le monde d’aujourd’hui. Là, l’Eglise et les chrétiens ont une place à occuper. Le chrétien est quelqu’un qui invite au dialogue. Il doit faciliter la mise en relation entre des personnes dont les intérêts, les histoires, les objectifs sont différents. Je pense que le chrétien est avant tout un passeur. Le débat social est précisément un espace de passage entre les individus. Le chrétien ne peut pas être absent de ce lieu où se fait et se pense la société, mais sans nécessairement y participer au nom de sa foi. Notre identité chrétienne est sollicitée dans cette présence qui crée du lien, qui permet de mieux vivre ensemble et aide chacun à trouver sa place. Le débat social vise à donner à chaque personne une place dans la société. C’est aussi la finalité de l’Evangile et du chrétien : faire que chacun aujourd’hui puisse trouver sa place dans ce monde, se sentir reconnu, savoir qu’il a quelque chose à apporter et à recevoir. C’est ce qui fait la dignité d’une personne!
 

AMAP et « pédibus », deux idées pour mieux vivre ensemble

L’AMAP est un partenariat entre des consommateurs et des producteurs locaux. Les consommateurs s’engagent à financer à l’avance les produits qu’ils recevront pendant l’année. Le producteur s’engage à livrer régulièrement un panier. Le consommateur est gagnant car il achète des produits frais, dont il connaît la provenance. Il peut intervenir dans les choix du producteur (« Je voudrais plus de carottes le mois prochain »). Le producteur est gagnant parce qu’il est pré-financé, plus proche des besoins des consommateurs qu’il a fidélisés. « Les AMAP renforcent le lien social entre des personnes qui vivent à proximité, analyse Elena Lasida. Elles vont plus loin que les relations commerciales : on organise des fêtes, on échange des recettes ! Le simple besoin matériel ou alimentaire est dépassé. L’économique – alimentation, vêtement, travail, logement – a une finalité qui va bien au-delà de la satisfaction des besoins de base et qui touche la vie en société ».

Le « pédipus » évite les déplacements en voiture jusqu’à l’école qui, en général, est proche. Or ces petits trajets sont responsables de pollution et d’embouteillages… Dans un quartier donné, le pédibus suit un circuit balisé sur le trottoir, avec des arrêts auxquels les parents accompagnent (à pieds) les enfants. La caravane d’enfants marche jusqu’à l’école. « La finalité est purement écologiqe – réduire l’utilisation de la voiture – mais les conséquences en terme de « vivre ensemble »sont incroyables » souligne Elena Lasida. Parents, professeurs, retraités du quartier mobilisés, cela favorise l’inter-générationnel et crée de nouvelles relations. L’enfant est mis en situation de responsabilité dès qu’il sort de chez lui. « Il n’est pas déposé comme un paquet à la porte de l’école, conclut l’économiste. L’éducation se fait dans la cité, avec d’autres personnes et pas seulement entre les murs de l’école. Cela fait des citoyens ».

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