Mgr Laurent Dabiré : « La présence de l’Église signifie l’Espérance pour les populations »

Burkina-Faso

Invité par l’Aide à l’Église en détresse (AED), Mgr Laurent Dabiré, évêque de Dori au Burkina-Faso et Président de la Conférence des évêques du Burkina-Niger (CEBN) a témoigné de la situation de son pays (menaces terroristes et risques d’enlèvements et d’embuscades) auprès du secrétariat général et de Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims et Président de la Conférence des évêques de France (CEF). Entretien.

Le Burkina Faso est le théâtre d’attaques jihadistes depuis 2015, surtout dans le nord et l’est du pays. Des groupes jihadistes affiliés à Al-Qaïda (GSIM) ou à l’organisation État islamique (EI) sévissent dans le pays et la sous-région. Que se passe-t-il exactement ?

Mgr DabiréDes groupes jihadistes ravagent les localités et s’attaquent aux forces de défense et de sécurité ainsi qu’aux autorités religieuses et administratives. Ces attaques ont entrainé la mort de 3600 civils et soldats en 2022. Depuis 2019, ils commettent des massacres et des exactions auprès de la population. Les enlèvements sont légion dans le nord du pays. Les hommes d’églises ne sont pas épargnés par cette insécurité. Des prêtres, un séminariste, des catéchistes et des laïcs engagés ont été pris en otage. Nous sommes toujours sans nouvelles de l’abbé Joël Yougbaré, curé de Djibo (diocèse de Fada N’Gourma) et prêtre fidei donum, enlevé en mars 2019. Deux autres prêtres ont été tués dans le diocèse de Kaya (2019) et dans le diocèse de Dédougou (2022). Kaya est la deuxième région du Burkina Faso touchée par les attaques terroristes. Les attaques au Nord se sont progressivement déplacées à l’ouest. L’armée ne parvient pas à reprendre le contrôle. Les assaillants ont étendu leur luttes aux diocèses frontaliers avec le Mali notamment ceux de Dédougou et Nouna.

Vous êtes arrivés au poste de Président de la Conférence des évêques du Burkina-Niger (CEBN) en 2019, quel regard portez-vous sur ces années écoulées ?

J’ai vécu quatre années mouvementées parce que je suis à la tête d’un diocèse touché de plein fouet par ces violentes attaques. C’est à Dori, dans le Nord du pays que les premiers massacres ont été perpétrés. La crise humanitaire a pris de l’ampleur. Des villages sont privés d’eau, d’électricité, de denrées alimentaires ou de médicaments. Les routes sont difficilement praticables. Il est très dangereux de relier la capitale Ouagadougou à Dori. J’ai réussi à revenir dans certaines localités et paroisses car les organisations humanitaires (Haut-commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et Médecins sans frontières) m’ont proposé de venir avec eux par le biais de leur hélicoptère. Une à deux fois par semaine, je profite de cette occasion pour visiter mes paroissiens et effectuer des rotations. Sans cette solution, je serais coupé de mon diocèse.

Quel est l’enjeu pour l’Église d’être présente dans cette région du Sahel ? Quels sont les défis à venir ?

L’Église assure une présence spirituelle, humanitaire et psychologique. De nombreux déplacés internes fuient à l’intérieur de leur région. De plus en plus, certains quittent leur région pour aller à Ouagadougou, la capitale ou se réfugier plus à l’ouest du pays. L’ampleur des besoins humanitaires nécessite une attention particulière. Comment soutenir les civils qui ont tout perdu pour trouver refuge dans des camps ? Les traumatismes comportementaux de guerre sont importants. C’est un problème auquel nous n’étions pas du tout préparés en termes de ressources humaines. Les enfants qui ont échappé à des massacres de masse ou les femmes violées développent des problèmes psychologiques…  Nous avons besoin de nouvelles offres spirituelles pour les traumatisés de guerre avec la formation d’un personnel qualifié. Nous travaillons ainsi en partenariat avec l’État mais l’Église aimerait avoir ses chargés de formation comme des psychologues pour aider aux mieux les réfugiés.

L’Église a un rôle de pacification et de réconciliation pour tous ceux qui souffrent

Avec la radicalisation islamiste croissante, 6000 écoles ont été fermées dans le pays. Or, il faut leur apporter des conditions d’instruction pour nos jeunes. Malgré notre minorité numérique, les chrétiens sont aussi très présents dans les domaines de l’enseignement et du social. Au Sahel, nous œuvrons notamment dans les centres de charité, les orphelinats, les dispensaires, les maisons pour les jeunes et aussi auprès des personnes âgées. Enfin, l’un des facteurs essentiels est celui de la cohésion sociale et de la réconciliation. La présence de l’Église signifie l’Espérance pour les populations. Nous avons un rôle de pacification et de réconciliation pour tous ceux qui souffrent.

Le Burkina-Faso se différencie des autres pays ouest africains par son dynamisme et la visibilité du catholicisme dans un contexte majoritairement musulman. Quel est le paysage religieux du Burkina-Faso ? Comment maintenir le dialogue interreligieux dans ce contexte difficile ?

Sur les 22,1 millions d’habitants, les musulmans représentent 62% de la population, les catholiques 20%, les adeptes de la religion traditionnelle africaines 10%, les protestants 7% et les divers courants de pensées ou spiritualités 1%. La coexistence pacifique régnait dans le pays jusqu’en 2015. Malheureusement les attaques terroristes ont engendré des replis communautaires (identitaires, religieux ou ethniques) qui ont mis à mal cette cohésion sociale. L’Église est fortement engagée à travers le dialogue des leaders de différentes communautés qui donnent l’exemple de témoignages d’une compréhension et d’un respect mutuels. Nous nous réunissons autour d’une table pour résoudre les problèmes. C’est un bel exemple d’orientation donné aux fidèles. Ces discussions ne seraient pas possible sans un dialogue de vie constitué de bonnes relations de voisinages, de bienveillance, de solidarité et de tolérance.

 

Burkina FasoQuel est le rôle de la Conférence épiscopale Burkina-Niger (CEBN) ?

Les chrétiens des pays touchés par le terrorisme ont besoin du soutien de la prière de leurs frères et sœurs. A la fin des assemblées plénières des évêques, nous avons adressé des messages pour rappeler la préoccupation de la situation et demander aux autorités de travailler à la reconquête du territoire et à l’unité nationale. L’appel à la prière, au dialogue et à la charité chrétienne sans distinction de religions ni d’ethnies sont nos armes.

Que souhaitez-vous dire aux évêques français et aux chrétiens français ?

Je souhaite que l’Église de France continue de témoigner de l’Évangile dans ce monde tourmenté. Et que la communion ecclésiale nous unisse pour être toujours et partout au service de l’Homme et en particulier des plus pauvres.

En quelques chiffres

Le Burkina-Faso est l’un des principaux théâtres d’opérations djihadistes, avec une augmentation de 69% des décès liés aux milices islamistes, totalisant 3600 morts et 2 millions de personnes déplacées en 2022. Entre 40% et 50% du territoire sont sous contrôle des groupes armés.

Burkina-Faso

Dans un télégramme du cardinal Pietro Parolin, le Pape François exprime sa douleur et sa proximité avec les familles touchées par l’attentat terroriste perpétré dimanche 25 février dans une église catholique d’Essakane-Village.

Le pape François a appris avec une profonde affliction la tragique attaque terroriste survenue dans une église catholique à essakane le 25 février 2024, et les pertes en vies humaines qu’elle a causées. il s’associe au deuil des familles, leur manifestant sa proximité et sa peine. Sa sainteté exprime également sa tristesse à la communauté musulmane pour l’attaque perpétrée contre une mosquée à natiaboani. Elle prie pour le repos des personnes décédées, les confiant à la miséricorde de dieu, ainsi que pour la guérison des blessés. Rappelant que la haine n’est pas la solution aux conflits, le pape invite au respect des lieux sacrés et à la lutte contre la violence en vue de la promotion des valeurs de paix. Il demande au seigneur d’apporter force et consolation à toutes les personnes touchées par ces drames. Le Saint-Père invoque, sur les filles et fils du Burkina-Faso, ainsi que sur la nation tout entière, l’abondance des bénédictions divines.

 

La moitié du territoire national
était hors du contrôle de l’État

Le Cardinal Philippe Ouédraogo, Archevêque de Ouagadougou en octobre 2022

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