Bousculés dans notre humanité et notre foi

La pandémie de Covid 19 qui sévit actuellement a fortement ébranlé tous les secteurs de nos sociétés. Les plus vulnérables en seront durablement affaiblis. Dans ce contexte, comment l’Eglise vient en aide aux familles qui affrontent un deuil ?

Le Père Jean-Marie Onfray, responsable à la CEF du pôle Santé-Justice et en charge de la thématique du deuil propose une réflexion de fonds sur la place du deuil dans notre société et sur le bousculement que nous vivons dans ce contexte du Covid-19 dans notre humanité et notre foi.

Père Jean-Marie Onfray

Père Jean-Marie Onfray

La situation de pandémie que nous connaissons et l’expérience du confinement ne cessent de nous interroger. Nous sommes saturés d’informations qui nourrissent notre anxiété. Nous avons du mal à prendre le recul nécessaire dans le silence pour discerner et alimenter notre légitime désir de compréhension et de sens. Même les exigences de santé publique doivent être intelligibles. Chacun cherche à se protéger sans toujours saisir les enjeux collectifs. Nous étions tellement habitués au chacun pour soi. Heureusement, les trésors de générosité nous rappellent que notre humanité tient aussi dans cette attention à l’autre et en particulier aux plus fragiles parmi les autres.

Mais ce virus, s’il met en détresse respiratoire un certain nombre de nos concitoyens, est meurtrier et chaque soir tous les médias font le décompte sinistre des décès. J’ai du mal à imaginer une vie sereine où tous les soirs nous connaîtrions le nombre de ceux qui nous ont quittés. Cette augmentation quantitative des pertes humaines advient dans un contexte où nous n’avons pas la possibilité d’accompagner ceux qui décèdent et encore moins la possibilité de vivre la ritualité indispensable à la séparation :  pratique impossible ou abrégée des cérémonies, nombre limité de personnes autorisées à assister aux obsèques, etc La pandémie semble interrompre « la mort personnalisée ».

Si nous pouvons comprendre les décisions légitimes de santé publique visant à limiter les risques de contagion, on ne peut ignorer que nous touchons là à une dimension anthropologique et sociale essentielle. Nous devons prendre la mesure de la douleur de ceux qui ne peuvent dire un dernier adieu (À-Dieu) à leur proche (en hôpital ou en Ehpad). Si les soins de conservation du corps sont interdits, la toilette mortuaire (dans le respect des règles strictes de protection) est possible de même qu’un adieu au visage, après « accord de l’équipe de soins ou du personnel de la chambre mortuaire ou funéraire, selon le lieu de sa réalisation« .

Pour tous les défunts, le choix du mode de sépulture, voulu notamment par le défunt, a valeur légale et doit être respecté. Le déroulement des obsèques, qu’il s’agisse d’une crémation ou d’une inhumation, dépend des choix faits par la famille, censés respecter les dernières volontés du défunt. Elles peuvent être accompagnées d’une cérémonie laïque ou religieuse. En effet, les lieux de recueillement sont fermés au public depuis le 16 mars 2020, exceptées pour les cérémonies qui restent autorisées pendant le confinement, à condition de se dérouler « en comité restreint », soit une vingtaine de personnes maximum.

La ritualité funéraire est indispensable au travail de deuil qui s’élabore dans des attitudes symboliques. Il ne s’agit pas de « faire son deuil », mais de permettre au deuil de se faire en nous. Comme le dit l’Écriture, personne ne vit pour soi-même ; notre existence est éminemment sociale. La mort n’est pas la fin des relations, mais bien un « autrement de la relation », vécue sous le mode de la séparation. La ritualité autour du défunt permet en quelque sorte un « apprivoisement de la mort » pour lutter contre le traumatisme de la séparation. L’humanité de l’homme se dit aussi dans la manière de vivre la ritualité funéraire. Nos consciences sont bousculées en ce temps de pandémie et un sentiment d’abandon apparaît. Ne pas avoir fait ce que nous devions faire !

Vivants et morts doivent apprendre à vivre ensemble, mais différemment. La foi chrétienne nous dit l’importance du corps qui est « don de Dieu ». Elle nous dit que ce corps est le lieu où nous faisons l’expérience de l’amour de l’autre, en nous laissant façonner par l’amour de Dieu (l’Autre). Nous faisons dès la vie sur terre l’expérience de la communion des saints. Le combat pour la santé et contre la maladie dit quelque chose de l’évènement du Royaume (regardons la place des guérisons dans l’Evangile). La liturgie chrétienne est autour du corps du défunt.

Avec ou sans ritualité chrétienne, nombreuses sont les familles qui n’ont pu se réunir, s’exprimer physiquement leur commune douleur. Nombreux souffrent de n’avoir pu veiller leurs morts, de n’avoir pu partager leur compassion (si ce n’est virtuellement). Cette violence d’une mort en contexte épidémique a dû se vivre dans les siècles passés. Mais elle nous rejoint alors que nous avons du mal à intégrer une parole sur la mort dans nos manières de parler de la vie. Nous pensons que la bonne mort est celle que l’on ne voit pas venir (dans le sommeil), nous avons raccourci les temps du deuil, nous parlons de deuils pathologiques quand certains ont du mal à émerger d’une brisure soudaine, nous souhaitons ne pas déranger nos enfants par notre mort (en prévoyant tout dans un contrat d’obsèques), nous marginalisons les cimetières de la vie sociale.

Les communautés chrétiennes vont devoir être inventives pour permettre aux familles éprouvées de célébrer le mystère de mort-résurrection en référence à leurs morts. Il ne s’agira pas de rappeler la mémoire des disparus (cela pourra se faire en famille ou entre amis, dans des temps personnalisés, hors liturgie) mais de redire l’espérance chrétienne dans la résurrection, à l’œuvre en nous depuis notre baptême. Ces célébrations communautaires permettront de nommer les disparus et de les porter dans la prière et l’espérance de l’Eglise.

« Nos existences sont en profonde communion entre elles, elles sont reliées l’une à l’autre au moyen de multiples interactions. Nul ne vit seul. Nul ne pèche seul. Nul n’est sauvé seul. Continuellement la vie des autres entre dans ma vie : en ce que je pense, je dis, je fais, je réalise. Et vice-versa, ma vie entre dans celle des autres : dans le mal comme dans le bien. Ainsi mon intercession pour quelqu’un n’est pas du tout quelque chose qui lui est étranger, extérieur, pas même après la mort (…) Ainsi s’éclaire ultérieurement un élément important du concept chrétien d’espérance. Notre espérance est toujours essentiellement aussi espérance pour les autres ; c’est seulement ainsi qu’elle est vraiment espérance pour moi. En tant que chrétiens nous ne devrions jamais nous demander seulement : comment puis-je me sauver moi-même ? Nous devrions aussi nous demander : que puis-je faire pour que les autres soient sauvés et que surgisse aussi pour les autres l’étoile de l’espérance ? Alors j’aurai fait le maximum pour mon salut personnel » (48).   (Encyclique Spe salvi de Benoît XVI en 2007)

Après le confinement, lorsque nous reprendrons nos relations pastorales, il sera important de prendre le temps d’écouter les familles ayant traversé cette violence des normes de santé publique à l’occasion d’un deuil. Il faudra leur permettre d’exprimer leur culpabilité et de les conduire vers la paix intérieure. Il sera important de trouver des mots pour parler avec elles de « communion des saints » et de « résurrection de la chair ».

  1. Jean-Marie Onfray

Directeur adjoint du Service national famille et société

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Par-delà le confinement, que fait l’Église pour accompagner les familles en deuil ?

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