Mgr Le Boulc’h : « Terres d’espérance dans la fraternité »
Lors du rassemblement rural « Terres d’Espérance » du 22 au 24 avril 2022, Mgr Laurent Le Boulc’h, évêque de Coutances et d’Avranches a ouvert le discours à Châteauneuf-de-Galaure (Drôme) devant les 500 fidèles présents dans le sanctuaire avec Mgr Jacques Habert, évêque de Bayeux et Mgr Jean-Philippe Nault, évêque de Nice.
Chers amis, le rural est de retour ! Et c’est une belle espérance !
Après des dizaines d’années où les populations se sont toujours plus éloignées du rural, les villes attirant de plus en plus jusqu’à devenir de gigantesques mégapoles, voici que, dans notre pays, un autre mouvement a commencé à s’engager, accéléré par le confinement. Il n’a pas la même ampleur selon les campagnes, certaines voient arriver de nombreux résidents, d’autres poursuivent leur déclin démographique, et cependant, on peut le dire, dans les esprits, le rural redevient « tendance » !
« Terres d’espérance », notre rassemblement en est un signe lui aussi. Il y a, ne serait-ce que cinq ans, je ne suis pas certain qu’une telle initiative aurait vu le jour. Le rural alors n’attirait pas beaucoup les regards, y compris dans l’Église catholique. Mais, les choses sont en train de changer. Bien des raisons peuvent expliquer ce regain d’intérêt : la crise écologique, la saturation des villes, le besoin de retrouver pieds et de respirer, la résistance à l’accélération… Le rural semble incarner aujourd’hui un art de vivre désiré par le plus grand nombre. Chers amis, le rural est de retour, mais un défi majeur l’attend pour qu’il soit terre d’espérance.
Le défi de la fraternité
Car le monde rural, comme ailleurs, a pu se laisser gagner par les excès de l’individualisme contemporain. Il a pu céder aux divisions entre des catégories différentes de résidents selon leurs intérêts divergents. Il peine quelques fois à relier les enracinés et les nouveaux venus. Et ils sont loin les temps où le catholicisme unifiait sa population, l’église du village qui rassemblait tous les habitants.
Terre d’espérance
Il n’y a pas de lieux vivants sans liens entre les vivants
L’espérance est dans la fraternité
Le rural est appelé à devenir ‘terre de fraternité’
Dans son encyclique ‘Fratelli Tutti’, François insiste sur la relation nécessaire et féconde qui doit lier le local et le global. « Il n’y a d’ouverture entre les peuples qu’à partir de l’amour de sa terre, de son peuple, de ses traits culturels. Je ne rencontre pas l’autre si je ne possède pas un substrat dans lequel je suis ancré et enraciné, car c’est de là que je peux accueillir le don de l’autre et lui offrir quelque chose d’authentique. » (143). Et, inversement, « il n’est pas possible d’être local de manière saine sans une ouverture sincère et avenante à l’universel, sans se laisser interpeler par ce qui se passe ailleurs, sans se laisser enrichir par d’autres cultures ou sans se solidariser avec les drames des autres peuples ». (146). Le local et le global sont liés.
Contre les tentations actuelles de fermeture dans le local ou d’évasion dans le mondialisé, François tend le fil entre les relations interpersonnelle, l’amitié sociale et l’ouverture universelle. C’est lorsque sont vécues ensemble la solidarité concrète avec les plus proches, la solidarité avec les concitoyens de nos régions et nos pays, et la solidarité avec tous les frères et sœurs, les vivants de l’univers, que naît la vraie fraternité. Terre d’espérance, le rural est appelé à être un lieu témoin de cette fraternité vécue dans les relations interpersonnelle, l’amitié sociale et l’ouverture universelle. Lieu d’accueil, d’hospitalité et de rencontre entre les vieux résidents et les nouveaux venus, les anciens et les jeunes, les travailleurs de la terre et ceux de la ville, les gens enracinés et les gens de passage…
J’ai le souvenir de cette motte de terre qu’un jeune agriculteur était fier de nous montrer. Symbole de ses efforts pour prendre soin du sol, la terre reprenait vie dans le grouillement des organismes vivants solidaires les uns des autres. Et la conviction surgit pour les hommes que prendre soin du sol les engage à prendre soin de la vie fraternelle. Venus de tous les coins de la terre de France, nous aurons joie en ces jours de rassemblement à partager nos réflexions et nos initiatives qui favorisent des liens de fraternité dans nos terres d’espérance
Terre d’espérance dans la fraternité, le ferment de l’Église
Dans le défi de la fraternité, les religions et les communautés d’Église ont leurs rôles à tenir. François développe ce thème dans le dernier chapitre de ‘Fratelli tutti’, qu’il a intitulé : ‘les religions au service de la fraternité dans le monde’. Dans les villages et les communes, les baptisés sont appelés par le Christ à tisser des liens. Ils sont appelés à porter le témoignage de la fraternité du Christ dans l’amour mutuel et la charité. Jésus Ressuscité unit ses disciples dans l’amour. « Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés ». Et Il les envoie témoigner en annonçant les signes du Royaume.
L’annonce du Royaume de Dieu se donne à contempler dans la charité en acte. Et la charité en acte vérifie sa justesse quand elle devient l’attention que l’on porte aux plus petits des frères et sœurs, selon la parole bouleversante de Jésus en Mt 25,14 : « Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait ». Le rural est une terre d’espérance quand le vieillard isolé, l’agriculteur en souffrance, le jeune qui s’ennuie ou l’exilé sans abri trouvent réconfort dans de vraies rencontres. La fraternité est un don d’espérance.
L’espérance de l’Église en rural se décline aussi dans les petites fraternités missionnaires qui naissent aujourd’hui dans beaucoup de diocèses en France. Ce sont des écoles de la prière et de l’écoute de la Parole de Dieu, de la communion fraternelle et de l’attention au voisinage, de l’encouragement au témoignage. Ces fraternités stimulent les baptisés dans leurs capacités à prendre leurs parts avec toutes les personnes de bonne volonté au discernement et à la construction du bien commun dans leurs territoires. François rappelle l’importance de ces engagements qui servent la fraternité dans la vie collective. « Une fois de plus, j’appelle à réhabiliter la politique qui « est une vocation très noble, elle est une des formes les plus précieuses de la charité, parce qu’elle cherche le bien commun ».(180) Rassemblés aujourd’hui, c’est une grâce qui nous est donnée en ces trois jours de pouvoir échanger sur nos expériences d’Église ferments de fraternité en monde rural. Soyons heureux de partager et de célébrer les fruits de nos terres !
Terre d’espérance dans la fraternité, don de vie spirituelle
Nous le savons bien, chers amis, parce que nous en faisons chaque jour l’expérience, la fraternité qui donne l’espérance ne va pas de soi. Elle est la plus exigeante des valeurs républicaines parce qu’elle ne se paye pas de mot. A l’image de la parabole du bon samaritain, que François médite longuement dans son encyclique, la fraternité engage des relations concrètes ou elle n’est pas. Elle n’est pas passive, mais agissante. « Jésus… ne nous invite pas à nous demander qui est proche de nous, mais à nous faire proches, prochains. » (80) écrit François dans son commentaire de la parabole. Et nous sommes parfois nous-mêmes, mais aussi nos communautés sociales ou ecclésiales, du côté de ce prêtre et de ce lévite qui se dérobent à l’abandonné sur le bord du chemin. « Il y a simplement deux types de personnes : celles qui prennent en charge la douleur et celles qui passent outre » (70) écrit François.
La capacité à nous faire proche et rejoindre l’autre comme un frère n’est pas si spontanée. Elle dépasse nos simples forces. Elle est un don de l’Esprit Saint qui se fraye un chemin dans le cœur de tout être humain, quel qu’il soit, croyant ou non, pour le retourner vers le Père et vers le frère.
La conviction que Dieu est Père conduit l’humanité dans la fraternité. « Chercher Dieu d’un cœur sincère, à condition de ne pas l’utiliser à nos intérêts idéologiques ou d’ordre pratique, nous aide à nous reconnaître comme des compagnons de route, vraiment frères » (274) nous dit François.
Et c’est encore Jésus le Christ, le Fils de Dieu, qui, au prix de sa vie donnée, est devenu pour nous le bel Éducateur de la fraternité. Il est le Ressuscité, le grand vainqueur du mal, de la violence, de l’injustice et de la mort. Il est notre espérance qui ne s’épuisera jamais. Sur nos terres d’espérances, le Seigneur nous engage à la fraternité. Que ces journées que nous allons vivre ensemble soient pour nous des temps de grâce et de ressourcement qui nous envoient dans nos territoires le cœur plein d’espérance !
+ Laurent Le Boulc’h, évêque de Coutances et Avranches