L’association JRS a fêté ses quarante ans en 2020
Le 14 novembre 1980, le Père Pedro Arrupe annonçait la naissance du Service jésuite des réfugiés (Jesuit Refugee Service en anglais). Quarante ans de partage, de fraternité et de rencontre avec l’autre. De 2016 à 2022, le Père Antoine Paumard, jésuite était directeur de JRS France. Une association qui a vu le jour en 2009. Entretien.
Qui était le Père Pedro Arrupe sj (1907-1991), fondateur de JRS ? Quelle est l’histoire de JRS ?
A la fin des années 1970, le Père Arrupe est Père Général de la Compagnie de Jésus. Les jésuites qui font face aux migrations cambodgiennes et vietnamiennes interpellent le Père Arrupe. Il rédige une lettre en 1979 et les interpellent tous avec cette question : “Devant ce drame mondial, que devons-nous faire ?” JRS naît en 1980 et s’ancre dans des actions de terrain – dans les camps de réfugiés en Asie – pour répondre à des besoins essentiels, mais propose également des actions culturelles et éducatives.
Quel héritage laisse-t-il à JRS aujourd’hui ?
Au quotidien, le Père Pedro Arrupe nous guide encore à travers ces trois verbes : « accompagner », « servir » et « défendre » les droits des personnes déplacées… C’est un héritage vif ! Ces verbes font écho aux passages de l’Évangile de Luc avec les « pèlerins d’Emmaüs ». Il faut connaître les réfugiés et les demandeurs d’asile avant de bien les servir, sinon on risque de se projeter sur des besoins qu’ils n’ont pas. L’Église doit « faire avec » et ne pas se substituer aux réfugiés et demandeurs d’asile. Cela rejoint aussi les paroles du pape François dans sa dernière encyclique : « Fratelli tutti ». Derrière chaque réfugié, il y a des hommes et des femmes, dont la dignité humaine est inaliénable.
Les programmes de JRS sont actuellement déployés dans 56 pays, au service des personnes déplacées de force. JRS France s’est créé en 2009. Pouvez-vous nous parler des programmes développés en France ? Quel est son rôle ?
Les acteurs de JRS France luttent contre l’exclusion sociale et l’isolement des réfugiés et des demandeurs d’asile. Nos actions évoluent en fonction des besoins du terrain. Nous avons ainsi développé – au fil des années – sept programmes différents : JRS Welcome, un programme d’hospitalité et d’hébergement temporaire ; JRS Jeunes, un programme d’échange interculturels au travers d’activités ; JRS Emploi & Formation, un programme pour pallier aux problématiques de logements et de formation; JRS École de Français, un programme d’apprentissage du français ; JRS Ruralité qui propose, dans le Limousin, des courts séjours à la campagne ou des animations au travers d’ateliers, ainsi que JRS Accompagnement Juridique et JRS Plaidoyer. L’objectif est de continuer à servir les réfugiés par des réponses adaptées, et aussi de mieux faire connaître leurs histoires. Nous avons ainsi démarré un nouveau programme : JRS Santé, afin de proposer un accompagnement à 360° des demandeurs d’asile et réfugiés. Ces programmes sont le fruit de rencontres qui répondent à des questions de société comme l’intégration des réfugiés ou la rencontre fraternelle avec les Français.
En quoi la réciprocité construit-elle des solidarités?
Nous essayons de nous adapter en fonction des besoins des pays dans lesquels JRS est présent – ce qui nous permet de célébrer la profusion de réponses différentes apportées à la réalité des migrants. En France, nous sommes présents dans une quarantaine de villes. Même si les activités sont différentes, nous retrouvons un esprit commun, et c’est là une grande richesse ! JRS, c’est aussi un esprit de famille. Nous connaissons les réfugiés par leurs prénoms, et nous nous intéressons à leur histoire, à leur vécu.
Vous avez aussi des programmes d’accompagnements pastoraux et spirituels qui permettent aux réfugiés et aux demandeurs d’asile de tisser des liens entre eux ou avec leurs familles d’accueils…
La plupart des réfugiés et demandeurs d’asile – que nous aidons – sont des personnes de prière, quelle que soit leur religion. Le père Arrupe rappelait qu’il ne fallait pas oublier la prière, surtout quand nous sommes proches de ceux qui souffrent. Chaque année, le 2 novembre, jour des défunts, nous faisons mémoire et prions ensemble pour les personnes disparues dans les conflits ou en fuyant les conflits. Il n’a pas été possible de se réunir cette année à cause du confinement. Ces moments de célébrations interreligieuses ou de veillées de prières sont très importants. La notion de « laïcité » en France déstabilise les réfugiés et les demandeurs d’asile. Ils sont – en général – très contents de pouvoir parler de spiritualité avec leurs familles d’accueil ou lors de séjour œcuménique dans la Communauté de Taizé. Nous sommes nourris par la spiritualité des uns et des autres.
« L’ouverture de sa porte – au sens propre comme au sens figuré – à un demandeur d’asile ou à un réfugié, est un acte essentiel pour notre société », écriviez-vous en ce début d’année 2020. Vos services doivent être plus que jamais mobilisés pendant cette deuxième période de confinement. Comment accueillir dignement les demandeurs d’asile et accompagner les réfugiés sur la voie d’une intégration réussie ?
Avec joie et curiosité ! Ouvrir sa porte revêt un sens différent comme l’accueil. Nous avons de nouvelles familles d’accueil qui se proposent d’accueillir chez eux des réfugiés. Nous avons rédigé une lettre avec la présidente, Véronique Albanel. La lutte contre la Covid-19 passe par un « tous ensemble ». Certes, nos équipes sont fatiguées mais notre projet est de continuer nos actions et de mobiliser aussi de nouveaux bénévoles. La joie d’accueillir doit continuer à être diffusée !
Le Père Arrupe était un homme de dialogue et de charité. Il est l’une des figures inspiratrices du pape François. Dans sa dernière encyclique « Fratelli Tutti », le pape François nous appelle et nous invite à aller à la rencontre de l’autre. Il s’inscrit dans les pas de son prédécesseur…
L’encyclique « Fratelli Tutti » évoque la fraternité et l’amitié sociale. Le Pape François aborde la question du migrant et de l’accueil. Le migrant est une bénédiction. Il nous assure de sortir de nos propres frontières. Le pape rappelle que chaque personne a une dignité inaliénable, et c’est ce qui fonde la loi suprême de la loi fraternelle. L’étranger n’est pas étranger, il est frère. Si nous parvenons à porter ce regard, cela change toutes les relations dans la société. Dans l’encyclique, le verbe « servir » revient à plusieurs reprises. C’est l’un des trois verbes fondateurs de JRS. Servir, c’est prendre soin de la fragilité. On se pose en découvrant la fragilité de l’autre, et sa propre fragilité. Nous sommes ainsi tous les deux servis.
Quels messages d’espérance souhaitez-vous livrer ?
Derrière chaque personne, il y a une dignité inaliénable, cela nous appelle à ouvrir en grand les capacités humaines de l’étranger. Nous avons tous la capacité de changer le monde dans lequel nous vivons !