Interview du cardinal Vingt-Trois, invité de RTL le 12 août 2010

Dans une interview donnée à RTL , jeudi 12 août 2010, le cardinal André Vingt-trois, président de la conférence des évêques de France s’est exprimé sur les récents débats concernant la sécurité et l’immigration en France mais aussi sur l’espoir que représente la promesse du Christ pour de nombreux français à l’approche de la fête de l’Assomption. En voici la transcription.
 

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RTL : L’actualité de cet été 2010 est marquée par un débat de société pour des questions d’immigration et de sécurité, pour la première fois un Président de la République a fait le lien publiquement entre délinquance et immigration, en tant qu’homme d’Église mais aussi en tant que citoyen, André Vingt-Trois, est-ce qu’il y a des liens, selon vous, entre immigration et délinquance ?

Card. André Vingt-Trois : Je crois qu’il est difficile de nier qu’il y a un rapport entre l’immigration et la délinquance, le problème c’est comment on le perçoit et comment on l’exprime ? Car il n’y a pas de culpabilité collective et anonyme, il y a des responsabilités personnelles. Qu’il y ait des délinquants qui soient émigrés ou français de souche c’est évident, qu’il y ait des quartiers qui soient plus exposés que d’autres c’est évident, mais de là à stigmatiser une partie de la population il y a une marge.

RTL : Vous pensez qu’aujourd’hui le gouvernement, Nicolas Sarkozy stigmatise une partie de la population.

Card. Vingt-Trois : Non, je ne veux pas entrer dans ce débat qui a pour résultat principal d’augmenter l’argumentaire.

RTL : Comment cela ?

Card. Vingt-Trois : C’est-à-dire que si on se met à réagir phrase par phrase à ce que dit le Président on donne encore plus de poids à des propos qui sont quand même des propos de circonstance. Je ne pense pas que ce soit un service à rendre à la collectivité que de faire un cas exceptionnel d’un propos de circonstance.

RTL : Par exemple, votre Ministre, Brice Hortefeux, puisqu’il est ministre de l’Intérieur et ministre des Cultes, propose d’étendre la déchéance de nationalité à des personnes coupables d’excision, de traite d’êtres humains, de délinquance grave. Est-ce que la déchéance de nationalité c’est une piste qu’il faut évoquer ?

Card. Vingt-Trois : C’est une mesure tout à fait exceptionnelle. Alors, que le législateur puisse élargir les cas où la déchéance de nationalité puisse être appliquée c’est une chose qu’il faudrait débattre au Parlement, et débattre sur un texte pas sur des propos qui sont quand même marqués par le désir de frapper l’opinion. Je ne pense pas qu’il faut prendre au pied de la lettre un projet comme celui-là sans examiner précisément de quoi il s’agit.

RTL : Pourquoi vous dites « frapper l’opinion », parce que parler de la sécurité c’est un sujet qui agite l’opinion.

Card. Vingt-Trois : probablement puisque vous voulez en parler à tout prix… Moi, je pense que nous avons un système d’information et de perception de la réalité qui est particulièrement concentré sur des faits divers, sur des accidents, sur des chocs violents qui donnent l’impression que l’on vit dans un état de guerre, or je ne crois pas que l’on vit dans un état de guerre, il y a des secteurs, il y a des zones qui sont des zones particulièrement dures dans lesquelles il faut appliquer l’ordre républicain mais de là à décréter que la France est en état de guerre il y a un pas.

RTL : c’est exactement ce que dit le Président qui veut « mener la guerre contre la délinquance », c’est son expression.

Card. Vingt-Trois : ça… il y a aussi la guerre économique.

RTL : Absolument. Vous avez été nommé par Benoît XVI, membre du Conseil Pontifical pour la Pastorale des Migrants, que vous inspire notamment les mesures concernant les Roms et les Gens du voyage ?

Card. Vingt-Trois : Je pense que ce sont des mesures qui sont d’une certaine façon d’une grande continuité. Car dans tous les villages de France, depuis des décennies, pour ne pas dire des siècles, les Gens du voyage et les Roms (enfin à l’époque on ne les appelait pas des Roms) ont été la bête noire des maires et des populations.

RTL : Et vous le regretter ?

Card. Vingt-Trois : je le regrette mais c’est comme cela. Cela veut dire qu’il y a un phénomène d’anxiété, de peur à l’égard de celui qu’on ne connait pas, de celui dont on ne sait pas d’où il vient, celui dont on ne sait pas où il va, mais là aussi on ne peut pas développer une culpabilité générique. Il n’y a pas des Gens du voyage qui sont coupables parce qu’ils sont « Gens du voyage », il y a des Gens du voyage qui sont dans des situations peut-être plus instables que d’autres, dans lesquelles la délinquance peut se développer mais elle se développe aussi dans les banlieues françaises où il n’y a pas de Gens du voyage.

RTL : La peur de l’autre, monter les uns contre les autres, ce n’est pas précisément le message de l’Evangile ?

Card. Vingt-Trois : Ce n’est pas le message de l’Evangile et ce n’est pas le message d’une société civilisée. Une société civilisée suppose d’avoir une stabilité des relations, une stabilité des liens, s’il n’y a pas de stabilité dans les liens familiaux il n’y a pas d’éducation, s’il n’y a pas de stabilité dans les liens sociaux il n’y a pas de vie civilisée et c’est sur ce travail de cohésion et de stabilité que l’on doit investir nos efforts.

RTL : Cette semaine au milieu du mois d’août est une semaine importante pour des millions de croyants en France, pour des millions de musulmans puisque c’est le début du Ramadam, pour des millions de catholiques puisque c’est la semaine de l’Assomption, et finalement regardez dans l’actualité, dans la société française on ne parle pas de l’Assomption. Est-ce qu’aujourd’hui les événements marquants de l’année catholique sont finalement un peu passés sous silence ?

Card. Vingt-Trois : Je pense que non puisque je suis là !

RTL : Mais vous voyez bien que finalement ce n’est plus un événement de parler de l’Assomption aujourd’hui ?

Card. Vingt-Trois : Probablement parce que l’on accorde plus d’importance à des événements ponctuels qui se passent dans un petit coin de la France qu’aux événements massifs où il y a des milliers de gens qui se déplacent.

RTL : il y a des milliers de gens dans les pèlerinages pour l’Assomption ?

Card. Vingt-Trois : Des centaines de milliers même parce qu’entre Lourdes, Paris, Le Puy-en-Velay où je vais aller demain pour le 150è anniversaire de Notre-Dame de France et quelques autres lieux, vous allez avoir des centaines de milliers de gens qui vont se rassembler pour l’Assomption.

RTL : Qu’est-ce que ces centaines de milliers de gens viennent chercher en se rassemblant autour du culte de la Vierge Marie ?

Card. Vingt-Trois : Ils viennent chercher un message et une lumière d’espérance. Tous ces gens, comme tous nos concitoyens sont soumis à des difficultés, à des contraintes, à des problèmes quotidiens de leur existence, quelques fois à des situations dramatiques de maladies, d’accidents, de ruptures, de divisions, et ils se disent : d’où viendra une solution ? Est-ce que ce sont des discours flamboyants qui vont nous apporter une solution ? Est-ce qu’il y a une chance pour l’homme qu’il y ait un avenir de bonheur ? Cette chance pour l’avenir de bonheur ils pensent qu’ils le trouvent dans la promesse du Christ et dans la présence du Christ.

RTL : Dans une situation d’angoisse sociale, d’angoisse économique, d’angoisse familiale parfois, l’Église aujourd’hui est une solution plutôt que les discours flamboyants dont vous parliez ?

Card. Vingt-Trois : Je pense que toutes les solutions qui se nourrissent de l’amour et du respect de l’autre sont des solutions utiles et positives. Toutes les solutions qui se nourrissent de l’exclusion et de la violence sont des réponses négatives.

RTL : Juste en un mot. Il y a un an, entrait en vigueur la loi sur le travail du dimanche, vous y étiez opposé à l’époque, est-ce que vous tirez un bilan négatif de l’application de cette loi ?

Card. Vingt-Trois : Pour être tout à fait honnête je n’ai pas remarqué que cela a changé grand-chose dans mon quartier… C’est vrai que je ne suis pas dans un quartier touristique mais enfin j’ai cru comprendre en écoutant les informations qui ont été données, que cela n’avait pas bouleversé le monde du travail. Donc je pense que là aussi, il ne faut pas se battre contre les moulins à vent, on dit ce qu’on a à dire et après on attend de voir la réalité. Et la réalité ne rejoint pas toujours l’ambition des projets.

RTL : André Vingt-Trois qui se méfie des discours flamboyants était l’invité de RTL ce matin.

Card. Vingt-Trois : Merci.
 

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