La révélation des abus sexuels dans l’Église catholique de France a, à juste titre, profondément choqué l’opinion publique. Pour que toute la lumière soit faite sur ce fléau, l’Église, par la voix de la Conférence des évêques de France (CEF) et de la Conférence des religieux et religieuses de France (CORREF), a demandé à Jean-Marc Sauvé, ancien vice-président du Conseil d’État, de constituer et de présider sur ce sujet une commission indépendante qui a été mise en place en février 2019. Cette commission a lancé en juin 2019 [aujourd’hui clôturé] un appel à témoignages pour que toutes les personnes concernées lui permettent d’accomplir un travail de vérité.
La Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église (CIASE) réunit des femmes et des hommes aux compétences reconnues dans les domaines de la médecine, de la psychiatrie, de la santé, des sciences sociales, du droit, de l’histoire et de la théologie. Elle est pluraliste et comprend des incroyants et des croyants de toutes confessions. Sa mission est de mesurer l’ampleur des abus sexuels commis au sein de l’Église sur des mineurs et des personnes vulnérables par des clercs et des religieux depuis 1950, d’étudier la manière dont ces affaires ont été traitées et d’évaluer les mesures prises depuis le début des années 2000 par l’Église de France, afin de formuler des recommandations pour que de tels crimes et délits ne se reproduisent pas et que les victimes fassent l’objet d’une prise en charge appropriée.
La commission retient une définition large de l’abus sexuel, entendu comme toute agression, exploitation ou atteinte sexuelle, sous quelque forme que ce soit. Pour définir les victimes, si l’âge de la majorité est clairement fixé par la loi, la notion de « personne vulnérable » doit être précisée : la CIASE range dans cette catégorie les majeurs protégés au sens du droit civil (personnes sous tutelle, curatelle…), mais aussi les majeurs en situation de vulnérabilité, c’est-à-dire les personnes qui, dans le cadre d’une relation de hiérarchie, d’autorité, d’accompagnement spirituel ou d’emprise, se sont trouvées engagées dans une relation à caractère sexuel non librement consentie (par exemple une religieuse vis-à-vis d’un confesseur).
Les auteurs concernés des abus sont non seulement les prêtres et évêques, mais aussi les religieux et religieuses, les personnes en formation (séminaristes et novices, notamment), les diacres et les laïcs consacrés ou « menant la vie commune » (parfois désignés sous le nom de « communautés nouvelles»). Ce champ inclut donc, au-delà des abus commis dans les paroisses et les congrégations ou communautés religieuses, ceux qui ont eu pour cadre des aumôneries, écoles, internats et mouvements de jeunesse catholiques. L’objectif de la CIASE est de prendre la mesure quantitative et qualitative, aussi complète que possible, de ces actes depuis 70 ans et de faire la lumière sur leurs causes et leur traitement, sans laisser subsister de zone d’ombre.
La CIASE est consciente qu’elle aura peut-être à se saisir de cas auxquels personne n’avait pensé jusque-là. Rien ne pourra changer si la parole n’est pas d’abord donnée aux victimes et aux témoins d’abus sexuels sur mineurs et personnes vulnérables. La première priorité de la CIASE est donc de faire en sorte que puisse être exprimée et recueillie la parole de ceux qui ont souffert en personne ou qui sont en capacité de témoigner d’abus sexuels, afin que puisse se développer un travail de reconnaissance et de mémoire. Ce travail d’écoute et de recueil de la parole des victimes permettra aussi à la CIASE de mesurer l’ampleur du phénomène et des traumatismes subis, d’apprécier la réaction des responsables de l’époque, d’analyser les dysfonctionnements et de formuler des recommandations pour éviter la réitération de tels crimes ou délits. La CIASE est très consciente que ces drames, s’ils demeurent enfouis, continuent des années durant de blesser les victimes. Il n’est jamais trop tard pour en parler.
La CIASE ne prétend pas guérir le mal qui a été fait, ni se substituer à la justice, aux services médicaux et sociaux ou aux associations œuvrant, par l’écoute ou le soin, à la prise en charge des victimes et des auteurs d’abus sexuels. Elle est là pour entendre, comprendre, prévenir et proposer, publiquement, de nouvelles voies pour en sortir.
La première priorité de la CIASE est de faire en sorte que puisse être exprimée et recueillie la parole de celles et ceux qui ont souffert en personne ou qui sont en capacité de témoigner d’abus sexuels, afin que puisse se développer un travail de reconnaissance et de mémoire.
Ce dispositif comprend :
– un volet d’écoute et d’aide aux victimes en partenariat avec la fédération France Victimes ;
– un volet de recueil de témoignages par la réalisation d’une enquête approfondie sur la base d’un questionnaire concerté avec des victimes et leurs associations ;
– un volet d’auditions par la CIASE d’un panel de victimes.
L’écoute et l’aide aux victimes en partenariat avec France Victimes
France Victimes, créée en 1986, est la Fédération nationale des associations d’aide aux victimes et de médiation. Elle fédère sur le territoire national 130 associations d’aide aux victimes, dont les objectifs, mis en oeuvre par des professionnels (juristes, psychologues, travailleurs sociaux) sont,
d’une part l’accueil et l’écoute des victimes d’atteintes à la personne ou aux biens et, d’autre part, l’aide psychologique, l’information sur les droits et l’accompagnement social des victimes. Depuis 2001, France Victimes gère une plateforme téléphonique d’aide aux victimes, qui vise à permettre à toute personne qui s’estime victime, d’avoir, par une porte d’entrée unique et nationale, un accès efficace aux associations d’aide aux victimes du Réseau, et le cas échéant, à d’autres organismes compétents. Cette plateforme héberge aujourd’hui d’autres dispositifs d’aide, dont le numéro national d’aide aux victimes. Adossé à cette plateforme à l’efficacité éprouvée, un service d’écoute et d’aide aux victimes d’abus
sexuels dans l’Église a été créé, à la demande de la CIASE, disposant d’une équipe d’écoutants dédiée, spécialement formée, et de son propre numéro d’appel. La plateforme est joignable de 9h à 21h 7 jours sur 7, et dispose d’un système de messagerie hors heures ouvrables ou en cas de saturation de la ligne, les personnes laissant leurs coordonnées étant
systématiquement rappelées. Les écoutants assurent également un suivi des mails et courriers, pour les victimes qui préfèreraient une entrée en relation par écrit.
Le recueil de témoignages par enquête
À l’issue de la phase d’écoute et d’accompagnement, l’équipe de France Victimes proposera aux victimes de répondre à un questionnaire anonyme d’une quinzaine de minutes. Les personnes pourront répondre au questionnaire en ligne proposé sur un site internet dédié. Pour les personnes n’ayant pas d’accès à Internet, des solutions alternatives seront mises en place, avec l’envoi du questionnaire en format papier, ou la mise en place d’une aide personnalisée. Cette approche vise à déterminer l’ampleur du phénomène, ses principales caractéristiques et à identifier les logiques sociales et institutionnelles qui favorisent la survenue des abus sexuels et rendent compte des réactions de l’Église catholique.
Le questionnaire a été élaboré par les membres de la CIASE et discuté avec les représentants des principales associations de victimes (mineurs et personnes vulnérables) et plusieurs victimes qui ont contacté la CIASE.
Ce volet quantitatif sera complété qualitativement par une série d’entretiens semi-directifs auprès de victimes, mineures ou adultes en situation de vulnérabilité au moment des faits. Ces entretiens permettront d’explorer plus finement les relations de la personne abusée avec l’auteur (confiance, rapports hiérarchiques…), les réticences à parler, les réactions des personnes informées (famille, entourage), et celles des membres de l’Eglise ainsi que les raisons du non-recours au droit pour faire cesser les abus ou les sanctionner.
Les auditions de victimes
Au-delà des entretiens semi-directifs évoqués ci-dessus, les victimes qui en exprimeront le souhait pourront être entendues par la CIASE dans des échanges confidentiels.
Des auditions d’experts et de grands témoins, des analyses archivistiques et des études monographiques doivent compléter le recueil de la parole des victimes. La commission a en effet
pour mandat d’étudier la manière dont les abus ont été traités en fonction du contexte des époques concernées, et ce travail d’information et de recherche est indispensable, en complément du recueil de témoignages, pour analyser le phénomène des abus sexuels dans l’Église, évaluer les mesures prises et formuler des recommandations appropriées afin que de tels crimes et délits ne se reproduisent pas.
Auditions d’experts et de grands témoins
Comme elle a déjà commencé à le faire depuis le mois de mars dernier, la CIASE entendra de nombreuses personnalités, de tous horizons, susceptibles de l’éclairer sur son objet d’étude, qu’il s’agisse de représentants d’associations, de responsables de l’Église en fonction ou émérites, de membres de commissions étrangères ayant mené un travail analogue à celui de la CIASE, de journalistes, de médecins, de juristes, d’historiens, de sociologues, de théologiens…
Analyse d’archives
Trois types d’archives sont à prendre en considération : les archives de l’Eglise, les archives judiciaires et les archives de la presse. Un questionnaire sera adressé à l’ensemble des évêques et des supérieurs majeurs des congrégations religieuses pour leur demander le nombre de dossiers pour abus sexuels que leur diocèse ou congrégation a eu à connaitre depuis 1950, selon l’année de survenue, le type d’auteur, le nombre de victimes, et les suites données (simple convocation de l’auteur, déplacement géographique, retrait des postes en contact avec les enfants, retour à l’état laïc ou exclusion d’un institut religieux…, transmission à la justice et suites données par elle).
Les résultats permettront d’établir une cartographie de la fréquence de ces situations connues par l’Église et des modalités de prise en charge des abus par l’Eglise, selon l’époque et selon les caractéristiques des diocèses et congrégations (taille, localisation, mission…). Ils seront comparés aux résultats de l’enquête issue de l’appel à témoignages.
Par ailleurs, une analyse fine des archives de quelques diocèses, complétée si possible par une démarche auprès de certains dicastères à Rome, devrait permettre de rendre compte des différentes pratiques diocésaines, congréganistes et associatives, en repérant des modes variés de gestion des problèmes. Les éléments recueillis devraient permettre d’éclairer les systèmes de décision dans l’Eglise. Cette analyse des « cultures » diocésaines ou de congrégations se trouvera renforcée par les enseignements tirés d’une enquête qui sera menée par questionnaire auprès des évêques et des supérieurs majeurs des congrégations.
Une analyse des archives de la justice, dont il reste à apprécier la faisabilité, viendra compléter ce dispositif en permettant d’examiner les traitements des plaintes (durée, type d’auditions, issue), différentiels selon les parquets et, en comparaison avec les données de l’enquête auprès des diocèses et congrégations, d’apprécier l’estimation du phénomène qui en est faite par les instances de l’Église. Des sondages seront aussi faits dans les archives départementales à la recherche d’informations pertinentes sur la mission confiée à la CIASE.
Enfin, une exploration des archives de presse sera menée. Elle viendra en complément de l’analyse des fonds précédents. Souvent, en effet, les affaires judiciaires n’ont laissé de véritables traces que dans les dossiers de la presse.
Analyse anthropologique
La commission explorera également, dans le cadre d’une étude anthropologique, les terrains multiples sur lesquels s’est déployé le phénomène des abus sexuels sur mineurs et personnes vulnérables dans l’Église catholique. Il s’agira de comprendre les facteurs d’inhibition sociale et institutionnelle pouvant expliquer sa faible répression.
Cette étude sera menée par le biais de quelques monographies localisées, avec un double objectif : saisir de manière fine des fragments de réalité dans des diocèses et congrégations qui, pris ensemble, seront aussi représentatifs que possible du champ d’étude de la commission, et plus largement, saisir les logiques socio-politiques à l’oeuvre ayant permis les abus sexuels commis sur mineurs et personnes vulnérables dans l’Église catholique, et leurs traitements selon les époques concernées.
Cette étude permettra d’appréhender le cadre dans lequel les abus ont pu se produire, les réponses données ou non à ces abus, le rôle respectif des familles, des communautés chrétiennes, des institutions de l’Eglise et, le cas échéant, de la société civile et des autorités publiques.
Enquête scientifique en population générale
La commission s’attachera, si l’échéancier de cette recherche publique est compatible avec son propre calendrier, à prendre appui sur les résultats de cette recherche scientifique sur les sexualités qui comprendra des questions sur les violences sexuelles et qui portera sur un échantillon national représentatif de 30 000 personnes. Dès qu’ils seront disponibles, les résultats de cette enquête seront croisés avec ceux des autres travaux engagés par la CIASE et ils permettront d’étayer et d’enrichir ses conclusions. Ils conduiront notamment à mesurer la prévalence relative des abus sexuels dans les différents milieux de la société française.
Ainsi, c’est d’abord en écoutant les victimes et témoins d’abus sexuels, puis en croisant les enseignements tirés de ce temps d’écoute avec une démarche de recherche en sciences humaines et sociales à dimension multiple (sociologie, histoire, anthropologie), enfin en se nourrissant de la réflexion de nombreux experts ayant exploré le sujet, que la CIASE entend parvenir à faire la lumière sur le fléau des abus sexuels dans l’Église catholique depuis 70 ans et en tirer les leçons pour l’avenir, au bénéfice de la société française dans son ensemble.
La CIASE s’attachera à respecter, dans la conduite de ses travaux, l’ensemble des règles applicables (code de la santé publique, code pénal, législation sur la protection des données personnelles…). Elle veillera également à l’éthique de ses travaux. Dans ce cadre, elle a entrepris en particulier de consulter la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ainsi que le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé (CCNE).