Homélie de Mgr Vincent Jordy pour la célébration mémorielle du 3 mars 2024

mgr vincent jordy archevêque de Tours

Homélie de Mgr Vincent Jordy pour la célébration mémorielle pour les personnes victimes de violences dans l’Eglise du 3 mars 2024 en la cathédrale de Tours.

Frères et sœurs, chers amis,

Souvenons-nous.

Le 5 octobre 2021, notre Église catholique vivait une véritable déflagration avec le rapport de la Commission Indépendante sur les Abus Sexuels dans l’Église. Cette commission, voulue et soutenue par les évêques de France, présentait publiquement le résultat de ses recherches. Il était accablant. Il montrait que le nombre de victimes était très important, probablement 330 000 victimes sur près de 70 ans, dont deux tiers d’agression par des clercs et un tiers par des laïcs. Mais de plus, ce rapport nous montrait que nous n’avions pas voulu entendre, que nous n’avions pas voulu croire, ceux qui venaient à nous avec leur souffrance. Cette souffrance en était redoublée.

En novembre dernier, le juge Durand rendait public les travaux de la Ciivise, une instance indépendante, voulue par le gouvernement français, sur le modèle de la Ciase pour travailler sur la question de l’inceste. Le constat était accablant là aussi. Le juge Durand, qui depuis s’est vu retirer la charge de conduire la Ciivise, aboutit à un résultat effroyable de 160000 enfants sexuellement violentés en France ; 160000 enfants violentés chaque année. Le juge Durand a pu dire : « nous sommes allés dans le pays des ténèbres ». Sur la quatrième de couverture du livre qu’il vient de publier à propos de ce fléau, il est écrit que le drame est que : « si tout le monde savait, c’est qu’au fond, personne ne voulait que cela se sache ».

Le 23 février dernier, il y a quelques jours, avait lieu la nuit des Césars, un évènement important pour le cinéma français, une rencontre habituellement festive et insouciante. Une actrice, qui avait déjà dénoncé le comportement d’emprise d’un metteur en scène à son égard alors qu’elle était mineure, s’adressait à « la grande famille du cinéma » en disant : « Depuis quelques temps, je parle, je parle, mais je ne vous entends pas, ou à peine. Où êtes-vous ? Que dites-vous ? ». Le drame, là encore, c’est que personne ne semble entendre ou même vouloir entendre.

Nous n’avons pas voulu entendre les victimes. Tout le monde savait mais personne ne voulait que cela se sache. Je parle mais je ne vous entends pas. Un même malheur pour les victimes.

Soyons clair, chers amis, il ne s’agit pas, bien entendu, de tout confondre, ou bien, pire encore, de vouloir dédouaner de sa responsabilité notre Église parce que le drame des violences sexuelles sur mineurs est malheureusement présent un peu partout. Notre Église Catholique a sa responsabilité terrible et douloureuse, responsabilité plus terrible encore parce qu’elle annonce ce qui devrait être une bonne nouvelle. Cette responsabilité, nous l’assumons.

Mais souligner cette litanie du mal, celle de la Ciase, de la Ciivise, des nombreux MeToo, nous oblige peut-être à nous interroger plus profondément encore sur notre humanité, sur le pourquoi d’une telle misère et de telles souffrances. Le soir de la présentation du rapport de la Ciase, Mr Jean-Marc Sauvé qui présidait cette instance était présent sur le plateau de France Info TV. Trois journalistes l’interrogeaient avec vigueur sur le chiffre terrible des probables 330000 victimes dans l’Église. Il concluait en disant : les travaux de la Ciase montrent qu’il y a plus de 5,5 millions de victimes de violences sexuelles en France. Il ajoutait : « l’Église représente 3,7 % de ces victimes. Elle semble désormais vouloir s’en occuper. La question est aussi qui s’occupera des 96% restant ? ». Nous voyons bien que le travail est immense. En particulier parce que les causes de violences sexuelles sur mineurs sont variées et complexes. Il nous faut y travailler encore pour mieux les prévenir et pour accueillir et accompagner les victimes. Les textes de la liturgie de ce dimanche peuvent aussi en partie enrichir notre réflexion.

Notre première lecture de la liturgie de ce dimanche nous fait lire le livre de l’Exode.

Ce livre nous rappelle un moment fondateur du peuple hébreux, le moment où il reçoit de Dieu la Loi, les commandements. Dans le cœur de l’Alliance avec le Dieu vivant.

Nous savons bien combien ces mots, la loi, les commandements, résonnent souvent de manière pénible dans l’esprit de nos contemporains. La loi, c’est ce qui empêcherait l’épanouissement des personnes ; les commandements, c’est ce qui limiterait les possibilités d’action et viendrait contraindre la liberté de l’homme. Pourtant après toute une période de dénigrement de la Loi, après avoir fantasmé le fait « qu’il est interdit d’interdire », nos sociétés occidentales se réveillent aujourd’hui douloureusement à un moment de l’Histoire où la violence monte partout. Car la loi, en posant une limite, est aussi ce qui permet d’apaiser l’angoisse ; la loi, en inhibant la pulsion, permet aussi tout simplement ce qui s’appelle la civilisation, des relations apaisées et humanisées.

On avait donc oublié ce que la Bible savait déjà il y a plus de 2500 ans : qu’un groupe humain ne peut vivre sans règles, sans lois, au risque de sacrifier les plus faibles à la loi des plus forts. Car le plus fort saura se défendre là où le plus faible est une proie. On avait parfois oublié ou estompé l’importance de dire ce qu’est le bien et ce qu’est le mal, pour savoir les distinguer et les nommer afin de pouvoir dire qui est le prédateur et qui est la victime. Combien de victimes se sont culpabilisées et vivent encore marquées par la culpabilité parce qu’on ne les aidait pas à mettre des mots sur ce qu’elles avaient vécues ; parce qu’on ne les aidait pas à comprendre qu’elles étaient victimes. Or on le sait bien aujourd’hui, permettre aux victimes d’être reconnues comme telles c’est leur permettre de commencer un processus de guérison et de reconstruction libérateur. C’est bien ce que confirme l’Écriture. Car Dieu, s’Il donne les commandements à son peuple, le fait après l’avoir libéré de l’esclavage d’Égypte. En d’autres termes, Dieu donne la Loi, pour que le peuple libéré de l’esclavage politique et social de l’Égypte ne retombe pas dans un esclavage bien pire, celui de ses pulsions, celui du mal qui peut sortir du cœur de l’homme malade. Ce mal qui peut tuer l’autre.

Mais l’Evangile permet de faire un pas de plus.

Vous l’avez entendu, Jésus est dans le Temple de Jérusalem. Ce Temple est le lieu où l’on vient prier, où l’on offre des sacrifices. Ces célébrations demandent une organisation. Il faut des vendeurs d’animaux qui seront sacrifiés, des vendeurs de bois, d’encens. Tout cela conduit à un vrai commerce. C’est devant ce spectacle que Jésus fait un fouet et chasse du Temple ces vendeurs qui ont transformé le Temple, lieu de prière pour le Père du Ciel, en une caverne de bandits, c’est-à-dire en un lieu où l’argent est roi et où l’on se détourne de l’essentiel, c’est-à-dire un cœur libre, disponible pour adorer Dieu, pour L’aimer. Mais ce Temple, encombré de changeurs, de vendeurs que Jésus va chasser pour qu’il soit à nouveau libre et disponible pour la prière, ce sanctuaire donc est l’image d’un autre sanctuaire, d’un autre Temple. Jésus l’annonce : « détruisez ce temple et moi en trois jours, je le relèverai » (Jn 2,19). Jésus annonce mystérieusement que les temples de pierres ne sont que les annonces, les préfigurations du temple véritable. Et ce temple véritable, c’est Lui, le Christ. Si le temple est le lieu où l’on rencontre Dieu, la vraie rencontre avec le Père du Ciel ne se fait pas d’abord dans un temple de pierre, mais par un temple vivant, Jésus, qui est le chemin vers le Père : « Nul ne va au Père sans passer par moi » dira Jésus (Jn 14,6).

Mais l’apôtre saint Paul nous fait faire un pas de plus. Comme il l’écrira aux chrétiens de Corinthe : « ne savez-vous pas que vous êtes des temples de Dieu et que l’Esprit habite en vous ? ». (1 Co 3,16) En d’autres termes, par le don de la vie, par le don du baptême, le cœur de l’homme devient lui aussi un Temple, un sanctuaire précieux. Le cœur de l’homme est ce temple, ce sanctuaire que personne n’a le droit de forcer, de mettre sous emprise, de manipuler pour abuser de l’autre. Le Pape Jean-Paul II dira que « la conscience, noyau le plus intime de l’homme, est le sanctuaire intime de la personne qui ne peut jamais être forcé ». C’est cette conscience qu’il faut aider à former, à protéger afin que nos enfants, afin que les plus fragiles sachent dire non, mettre des limites face aux emprises, aux intrusions aux sollicitations et aux agressions.

Il y a eu le terrible rapport de la Ciase sur les violences sexuelles dans l’Église ; il y a eu le terrible rapport de la Ciivise sur les violences sexuelles dans les familles, les voisinages ; il y a les révélations douloureuses d’abus dans bien des domaines de la société.

Cela signifie combien nous avons tous à œuvrer pour dire là où est le mal, ce qui ne se fait pas, ce qui est inacceptable. Cela signifie que nous avons tous à œuvrer ensemble pour que nos jeunes soient capables de dire non à toute emprise, à tout ce qui viendrait forcer leur conscience et leur liberté.

C’est à ce prix, celui de notre effort commun et de notre persévérance que nous pourrons bâtir un monde plus sûr.

Amen

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