Laïcité locale et dialogue
Quelles relations les évêques entretiennent-ils avec les autorités locales (le préfet et les maires) ? Témoignage de Monseigneur Dominique Lebrun, Archevêque de Rouen.
Sans me poser beaucoup de questions, j’ai accueilli avec joie la participation d’autorités publiques à mon ordination épiscopale à Saint-Etienne (42). Cela se situait dans la continuité de mes relations avec les responsables de la vie sociale à Saint-Denis. Dans cette ville, j’étais membre, par exemple, du Conseil de développement de Plaine-commune, communauté d’agglomérations de Seine-Saint-Denis.
Évêque, j’apprécie « les visites de courtoisie », terme un peu désuet pour désigner la première rencontre entre des responsables départementaux nouvellement arrivés. Cela concerne le Préfet ou le Sous-préfet, le Procureur de la République ou le Commandant de gendarmerie, voire d’autres personnes comme le Directeur d’un hôpital ou celui d’un centre pénitentiaire. Selon le protocole habituel, celui qui arrive rend visite. Cela peut se faire aussi avec les élus au début de leur mandat. En principe, ce n’est pas le lieu pour traiter une affaire. L’objectif est de se connaître, tout simplement. Cela facilite les rencontres successives. Lorsque les deux personnes vivent une première belle rencontre, où chacun respecte l’autre, je sens que ma liberté intérieure grandit. Elle m’autorise alors à aborder les questions spirituelles voire à offrir un livre inspiré ou une bible, parfois en cadeau de départ.
S’il y séparation entre les Églises et l’État, par extension avec les collectivités territoriales et les institutions sous tutelle de l’État, les relations ne manquent pas. Je me souviens du maire de Saint-Etienne nouvellement élu acceptant de me recevoir non sans réticence. Il avait convoqué, sans m’avertir, ses collaborateurs dans les trois domaines où, me dit-il, la loi nous contraint à des relations : les écoles en raison du forfait, les lieux de culte, propriétés communales, et les orgues à cause de la classe d’orgue du conservatoire. En commençant, j’ai demandé un peu fermement un échange plus large pour se connaître. En voyant l’intérêt que je portais à ses projets, la tonalité de notre dialogue a changé.
Les deux attitudes qui me guident sont l’attention portée à la personne (et donc à sa famille, par exemple) et le respect de son travail qui se définit souvent mieux par le terme « mission ». C’est dire la profonde relation qui nous unit en ce régime de séparation. J’ai vécu deux rencontres avec des directrices d’hôpital où, à chaque fois, était en jeu la ligne budgétaire de l’aumônier. J’ai dû prendre la décision intérieure de les vivre dans l’attention et le respect car, du point de vue fonctionnel, j’étais plutôt en combat. Dans un cas seulement, l’issue a été positive mais je ne regrette pas de les avoir vécues avec une grande considération pour la personne responsable. Je rends grâce à Dieu de m’avoir permis d’en sortir le cœur en paix.
La laïcité, en tant séparation des domaines, rend libre. Quand Jésus entre en dialogue avec la Samaritaine, il lui demande de l’eau. Et elle note qu’il n’a rien pour puiser (cf. Jn 4, 11). Ministre de l’Église, je suis incapable de puiser l’eau des activités humaines pour la mélanger au ferment de l’Évangile. Je n’en ai ni les compétences ni les capacités. Je sais seulement que sans eau qui vient du monde, la Bonne nouvelle serait apparemment belle mais sans la fécondité que décrit Jésus quand il voit les semences tombées dans la bonne terre produire leur fruit en abondance (cf. Lc 8, 4-15).
Rouen, le 5 décembre 2020
Mgr Dominique Lebrun, Archevêque de Rouen.