Avec les colocataires des Maisons Lazare, abriter les sans-abri
Leur engagement peut paraître radical : partager la vie quotidienne avec des personnes ayant vécu à la rue. Les volontaires des Maisons de l’association Lazare témoignent de la richesse incroyable de cette expérience humaine et spirituelle. Par Chantal Joly.
Clément : « On a besoin de frères »
« J’avais trouvé ça très courageux mais pas pour moi », se souvient Clément. Un an après avoir entendu un témoignage en paroisse, il aménageait pourtant dans l’immeuble Saint-Irénée de Lyon. L’expérience de dépouillement matériel et spirituel qu’est le pèlerinage de Compostelle -un mois de marche de Saint Jean-Pied-de-Port à Saint-Jacques comme sas entre une vie d’étudiant et une vie professionnelle- était passé par là. « J’avais envie de m’impliquer dans un beau projet plutôt que dans des mondanités ou des occupations » , explique le jeune homme. Le monde des gens de la rue lui faisait certes « extrêmement peur », mais il s’est dit que « le meilleur moyen de les approcher était peut-être de vivre avec eux ». Avec la même honnêteté, il reconnaît qu’il a failli partir les premiers mois et qu’il est resté « par orgueil ou par devoir ». Six mois de doute avant de découvrir « la joie de donner de soi (de son temps, de sa joie, parfois de sa tristesse) » et celle « de prendre le temps d’écouter les petits signes de Dieu ». Et, au final, un an et demi de partage de vie à 7 dans un appartement où « il n’y a plus ni volontaires ni accueillis mais des colocataires avant tout ». Jusqu’au « déchirement de partir » en juin 2015. Aujourd’hui horticulteur à Bordeaux, Clément a gardé des liens avec la plupart de ses anciens coloc lyonnais. Impossible pour lui de se retrouver seul : à 26 ans il a fait le choix d’habiter en maisonnée résidentielle avec la communauté de l’Emmanuel. « Je me suis rendu compte, dit-il, qu’on avait besoin de frères ».
Marine : « Laisser l’autre être ce qu’il est »
Les chemins d’engagement des uns ne sont pas forcément ceux des autres. Lorsque Marine a entendu le témoignage du fondateur de Lazare à Paray-le-Monial, elle a aussitôt pensé que ce serait pour elle. Mais avant de se poser dans la maison de Marcq-en-Barœul, Marine la baroudeuse est partie avec l’Arche en Irlande, avec les MEP (Missions Étrangères de Paris) dans un bidonville de Manille puis en Inde. Une amie lui ayant reparlé de Lazare, elle a senti « que Dieu l’appelait là ». Une autre aventure « pas forcément facile » mais « un beau défi ». Car il s’agit de partager cuisine, salon, salle de bain, potager, sorties au théâtre ou au bowling, courses et budget avec des personnes aux personnalités et aux histoires différentes. Et surtout de vivre avec des personnes en galère sans vouloir régler leurs problèmes à leur place. « Les quatre volontaires, raconte la jeune enseignante, nous ne sommes ni assistantes sociales, ni psy, ni infirmières. Nous ne sommes pas là pour juger mais pour apporter un cadre de confiance et d’amour, un peu d’écoute et reconnaître que les personnes sont dignes ». Responsable de maison, Marine veille à « se garder du temps pour souffler » avec la famille et les amis et, parfois, n’hésite pas à s’isoler dans sa chambre lorsqu’elle a besoin de corriger ses copies. Ce qui lui plaît ? « Ce n’est pas d’abord la vision occidentale du profit et de la rentabilité, on laisse l’autre être ce qu’il est ». Tous les matins, la journée commence par les Laudes. « Je laisse les « rênes » à Dieu, commente Marine, et ça se passe bien »
Samuel : « La foi fédère ce projet »
En 2015, la séance de cinéma où il devait se rendre étant complète, Samuel a atterri à une soirée du groupe de jeunes professionnels « Tapas et la foi ». Le témoignage donné ce soir-là d’un responsable de Lazare Nantes l’a complètement retourné. « Il racontait des anecdotes à la fois banales et extraordinaires, rayonnantes de joie ; je me suis dit que c’était ça la vie », raconte le jeune ingénieur en simulation mécanique de 29 ans. Moins d’une semaine après, rassuré par le fait que « la foi fédère ce projet », Samuel intégrait le premier la colocation de la nouvelle maison de Toulouse. Deux ans de bénévolat à la Croix-Rouge avec une douzaine de maraudes l’avaient un peu habitué au monde de la rue, mais en tant que spectateur ; ce qui, admet-il, « correspond plus à son tempérament ». Or on l’a désigné responsable d’appartement. « Du fait de cette étiquette, explique-t-il, les accueillis viennent se confier à moi. Ayant été lâchés ou ayant eux-mêmes tout lâché, ils sont très en demande de liens, d’amitiés. Or je suis là pour tous, je dois veiller à garder une distance, à ne pas créer des petits clans ». Au bout de quelques semaines émaillées de « quelques accrochages », « la peur de décevoir, de ne pas être à la hauteur » l’ont un peu paralysé. Aujourd’hui, il se dit « vraiment heureux de continuer : les gens sont hyper motivés et l’ambiance est bonne ». Ce sont « des petits moments tout bêtes » comme de faire ensemble une randonnée ou d’aider un accueilli à joindre son CV à un mail qui lui offrent le plus de satisfactions. Une vie en communauté qui « lui apprend aussi à se connaître ».
Lazare : des relations humaines et un toit pour les sans abris
Lazare développe et anime des appartements partagés entre des personnes qui étaient sans domicile fixe et des jeunes actifs volontaires. Née en 2011, l’association Lazare est l’association sœur en province de l’APA (Association pour l’Amitié) co-fondée sur Paris en 2006 par Étienne Villemain et Martin Choutet. Lazare existe aujourd’hui dans les villes de Nantes, Marseille, Lyon, Toulouse, Lille, Angers. D’autres devraient s’ouvrir à Rennes, Bordeaux, Grenoble et Strasbourg, Madrid (Espagne) et Liège (Belgique) et en campagne à Vaumoise, dans l’Oise. Ce sont des appartements non mixtes de 6 à 10 personnes habités par des personnes ayant vécu à la rue et des jeunes actifs, avec une famille « accompagnatrice ». Un règlement intérieur fixe certains repères pour vivre paisiblement ensemble.