Olivier Messiaen et l’Apocalypse selon Emmanuel Bellanger

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 12 février 2025, OFC 2024, n°6 sur Olivier Messiaen et l’Apocalypse selon Emmanuel Bellanger

OLIVIER MESSIAEN ET L’APOCALYPSE

L’actuelle exposition sur l’Apocalypse à la BNF (du 4 février au 8 juin 2025) – exposition sur laquelle reviendra l’OFC – est une invitation à nous replonger dans la musique d’Olivier Messiaen. A notre époque de l’immédiateté, de la course après le temps, de l’oubli si rapide de ce qui se passe dans le monde et dans nos vies, il n’est pas inutile de nous arrêter pour écouter le temps qui passe et discerner le chemin qu’il trace devant nous.

« Je vis un Ange plein de force, descendant du ciel, revêtu de nuées, ayant un arc-en-ciel au-dessus de la tête. Son visage était comme le soleil, ses pieds comme des colonnes de feu. Il posa son pied droit sur la mer, son pied gauche sur la terre et, se tenant debout sur la mer et sur la terre, il leva la main vers le Ciel et jura par Celui qui vit dans les siècles des siècles, disant : ‘’Il n’y aura plus de Temps, mais au jour de la trompette du septième Ange, le mystère de Dieu se consommera.’’ »

Olivier Messiaen a recopié cet extrait du chapitre X de l’Apocalypse en tête de sa partition du Quatuor pour la fin du Temps, ce temps qui est le matériau même de la musique. Le livre de l’Apocalypse a nourri, pourrait-on presque dire, l’ensemble du travail créateur du compositeur : ce livre qui n’est pas d’abord un récit dont on peut rendre fidèlement compte avec des mots, mais riche de couleurs, d’images, de sons, de mouvements mystérieux entre avenir et présent, entre fracas et silences. Quelques exemples :
1929 : Diptyque pour orgue : « Essai sur la vie terrestre et l’éternité bienheureuse. »
1939 : les Corps glorieux, pour orgue.
1941 : Quatuor pour la fin du Temps.
1963 : Couleurs de la Cité céleste, pour piano, instruments à vent et percussion.
1964 : Et expecto resurrectionem mortuorum pour bois, cuivre et percussion.
1988 : Eclairs sur l’Au-delà, pour grand orchestre.

Qu’est-ce que la musique ?
Il ne s’agit pas ici, bien évidemment, de donner à cette question une réponse définitive, mais d’approcher l’art musical du point de vue du temps, abordé comme succession d’instants éphémères et comme durée, pour entrer en résonance avec la musique d’Olivier Messiaen. On désigne, en effet, spontanément la musique comme l’art des sons, mais ne serait-elle pas d’abord l’art du temps, ce temps à la fois mesurable et insaisissable, mystérieux ? Saint Augustin exprime ainsi ce mystère du temps qui passe au chapitre XI des Confessions : « Nous ne mesurons ni l’avenir, ni le passé, ni le présent, ni le temps qui passe. »
Où situer notre expérience du temps musical ? Comme quelque chose en train de se faire, de se passer ou déjà passé et se poursuivant dans la mémoire, comme l’instant du surgissement du son devenant durée dans le travail intérieur de l’auditeur ? « Mystère de l’instant », c’est le titre qu’Henri Dutilleux a donné à l’une de ses dernières œuvres en 1988, conçue comme succession d’instants sans plan préétabli, dont la cohérence naît après l’audition dans la mémoire. L’instant très court de l’émission sonore source de traces infinies, c’est cette expérience mystérieuse qui ouvre pour Messiaen une fenêtre sur la contemplation de l’éternité, cette éternité que « décrit » l’Apocalypse, mais que seules peut-être nous font entrevoir avec quelque chance de profondeur la musique et la poésie.

Messiaen et le temps
Voici comment le poète Olivier Messiaen évoque l’éternité dans les Trois Petites Liturgies de la Présence divine en 1941 :
« Tout entier en tous lieux,
Tout entier en chaque lieu,
Donnant l’être à chaque lieu,
A tout ce qui occupera un lieu,
Le successif vous est simultané,
Dans ces espaces et ces temps que vous avez créés. »

La musique, à certaines conditions, par exemple sortie des ornières de la pulsation régulière et de la métrique, peut devenir un passage vers ce temps de Dieu, temps « incréé », temps de l’Apocalypse. C’est ce que Messiaen appelle le rythme qui n’a rien à voir avec la cadence : « Je considère que le rythme est la partie primordiale et peut-être essentielle de la musique […] Supposons un seul frappé dans tout l’univers. Un frappé : il y a l’éternité avant, l’éternité après. Un avant et un après, c’est la naissance du Temps. » Les mots, traducteurs de nos conceptions des choses, sont incapables d’exprimer le successif et le simultané comme un ensemble superposable (un successif simultané !). La musique seule permet d’approcher ce mystère inaccessible à nos esprits enfermés dans le temps : c’est le chant des oiseaux qui nous montre le chemin.

Les oiseaux chantent l’éternité
Les oiseaux, dans la spontanéité de leurs chants, ignorent les limites des rapports de durée et toute forme de contrainte préétablie. C’est pourquoi, pour Messiaen, ils sont les messagers de l’au-delà du Temps. C’est la raison de leur présence dans une grande partie de son œuvre : « Les oiseaux, c’est le contraire du Temps ; c’est notre désir de lumière, d’étoiles, d’arcs-en-ciel et de jubilantes vocalises. » On perçoit ici l’écho entre les sons et les images présents dans l’Apocalypse. Les oiseaux sont présents dans la presque totalité du Quatuor pour la fin du Temps, même dans les mouvements très lents faits de valeurs temporelles inégales venues tout droit de leurs chants. Ils nous révèlent une part du mystère de la fin du Temps, celui, pour les chrétiens, du retour du Christ.

Le Quatuor pour la fin du Temps chante le retour du Christ
Deux des huit mouvements de cette œuvre sont plus précisément tournés vers la figure du Christ.
Le cinquième mouvement : Louange à l’éternité de Jésus. Le violoncelle, instrument le plus proche de la voix humaine, déploie une longue mélodie en valeur inégales, ponctuée par les accords réguliers du piano, pour chanter le Verbe éternel : « Au commencement était le Verbe ». L’humanité contemple émerveillée le Verbe et laisse monter son chant dans une mélodie continue, extrêmement longue, prélude d’éternité.
Le huitième mouvement : Louange à l’immortalité de Jésus. Selon le même procédé musical, c’est le violon qui chante une superbe ligne naissant du grave de l’instrument et se hissant progressivement jusqu’à la note la plus aiguë possible en son harmonique, à peine audible. On peut y entendre le chant du Christ, descendu en notre chair pour nous entraîner à sa suite vers la béatitude éternelle que nous laisse pressentir l’Apocalypse, nous plongeant dans un futur déjà présent vers « l’éclair de l’Au-delà ».

Emmanuel Bellanger

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