Tavernier nostalgie

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 7 septembre 2022, n° 28 à propos de Tavernier nostalgie

Tavernier nostalgie

Avec sa mort il y a un peu plus d’un an, le 25 mars 2021, la France a perdu un de ses meilleurs cinéastes, Bertrand Tavernier. Sa carrière est marquée par des films « formidables », un qualificatif que je lui reprends et qui parsème ses films documentaires sur le cinéma ; beau terme qui exprime l’admiration que voue Tavernier au 7ème art, qu’il a tant aimé, aussi dans des cinéastes désignés comme secondaires, et servi.

Commençant par L’Horloger de Saint Paul en 1974, il tourna son dernier film avec Quai d’Orsay en 2013, mais Tavernier ne peut se résumer à ses œuvres de fiction, il fut certainement un des meilleurs connaisseurs du cinéma, avant tout américain et français. Avant son premier film, il fut critique de cinéma. Les derniers temps de sa vie, il réalisa une remarquable série, son Voyage à travers le cinéma français.

Cet été, France Inter a diffusé une autre série, radiophonique celle-là, Tavernier, le cinéma et rien d’autre, de Laurent Delmas ; elle est facilement accessible sur le site de cette radio ou les différents podcasts. On aimera l’entendre parler de ses films, de ses passions, comme aussi nombre d’extraits sonores et d’entretiens d’acteurs, musiciens, amis, qui ont travaillé avec lui, pour lui.

Le cinéma de Tavernier est caractérisé par sa justesse. Celle de la mise en scène, des contextes historiques, de l’interprétation, des choix musicaux. Tous ses films sont accessibles en DVD ou Blu-ray ou sur les plateformes télévisuelles. J’en retiens quatre qui illustrent des aspects divers de son œuvre, choix évidemment subjectif. D’abord Coup de torchon. Une critique ironique, grinçante, de la colonisation dans l’AOF en 1938. Ce film stigmatise toutes les formes de bêtises, contre lesquelles va se déchainer un « justicier » incarné par Philippe Noiret. Tous les portraits du film sont magnifiques de méchanceté et de veulerie. On peut retenir la baderne ridicule excellemment incarnée par François Perrot : le colonel Tramichel, « Tra comme tra-la-la et Michel comme le Mère Michel », ainsi de présente-t-il, ou encore le beau-frère, Nono, Eddy Mitchell. La bêtise fait rire, mais elle est dangereuse, elle profite de situations de domination sociale, ici coloniale, pour exercer son emprise.

L 627, titre qui reprend le numéro de l’article du code pénal qui désigne la répression du trafic de drogue, suit, de manière quasi-documentaire la vie d’un groupe d’enquêteurs d’un commissariat de quartier qui piste de petits dealers, montrant surtout le caractère vain d’enquêtes menées avec trop peu de moyens, l’essentiel étant de remplir des statistiques et de « faire du chiffre ». Là aussi le rire se fait grinçant devant le caractère dérisoire des efforts de flics qui essayent de croire encore à l’utilité de ce qu’ils font.

Ça commence aujourd’hui délaisse le Paris du film précédent pour une petite ville du Nord-Pas de Calais et montre une équipe d’enseignants d’une école primaire, dont son directeur, incarné par Philippe Torreton. Là encore une critique sociale, mais sans plus aucun sourire ni ironie. Quel dévouement chez ces enseignants pour ces enfants de familles, de mères célibataires, toutes écrasées par le chômage, la misère, l’abandon de la société. Certes, c’est noir, presque désespéré, mais pourrait devenir salutaire. Comment ne pas se sentir révolté par tant de souffrances ?

Enfin Capitaine Conan. La guerre, les guerres sont présentes dans bien des films de Tavernier. Guerre de Cent Ans (La Passion Béatrice), Guerre de Religions (La princesse de Montpensier), de Sécession (Dans le brume électrique) et les deux Guerres Mondiales (Capitaine Conan, La vie et rien d’autre, Coup de torchon, Laissez-passer). Il consacrera un documentaire à la Guerre d’Algérie (La guerre sans nom). Capitaine Conan suit un bataillon de l’armée française engagé dans les Balkans, un engagement qui se poursuivra au-delà du 11 novembre 1918. Le film, comme toujours magnifiquement interprété – c’est Philippe Torreton qui incarne Conan – très rigoureux dans ses sources historiques, montre comment ces Français, la plupart issus de la paysannerie, ont été portés à commettre des actes d’une extrême violence, devenant peu à peu incapables de retrouver une vie « normale ». Antimilitariste, pacifiste, Tavernier l’est assurément. Comment idéaliser ce qui détruit ?

Par sa grande connaissance du cinéma, aussi de films estimés « mineurs » de l’entre-deux guerres, Tavernier illustre à la perfection que les œuvres se nourrissent nécessairement les unes des autres. Ceci ne nie pas la possibilité du génie mais manifeste que si ce dernier existe il n’est que rarement, je serais porté à dire jamais, l’expression d’une génération spontanée. Les plus grands artistes connaissaient très bien leurs devanciers comme leurs contemporains. Ils savent dès lors s’exprimer avec humilité dans leurs œuvres, bien conscients qu’ils sont de devoir plus que de créer. Invitation que chaque être humain, chaque génération, chaque culture peut recevoir et qui la prémunit, souhaitons-le, d’une hubris qui jamais ne grandit qui que ce soit.

+ Pascal Wintzer Archevêque de Poitiers

 

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