Mars Express, film d’animation de Jérémie Périn et Laurent Sarfati (2023)

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 6 décembre 2023, n°46 à propos de Mars Express, film d’animation de Jérémie Périn et Laurent Sarfati (2023)

Espaces non définis

Avec ce long métrage, Jérémie Périn, réalisateur notamment de la série télévisée Lastman, avait carte blanche pour une histoire qui lui tenait à cœur. Le paradoxe, ici, réside sans doute dans le fait que, faisant montre de tout son savoir-faire, il aboutit à ne rendre qu’une copie blanche.

Le film est un régal pour le cinéphile, souvent submergé par les citations, de Blade Runner à 2001 l’Odyssée de l’espace, en passant notamment par Robocop, Les maîtres du temps ou La planète sauvage1 , sans compter les clins d’œil aux mangas japonais. Ce thriller à plusieurs niveaux, où humains et robots rivalisent et collaborent en une intrigue complexe, mais où le réalisme épuré du dessin aide à traverser les péripéties accumulées, maintient le spectateur en haleine tout en le plongeant dans une esthétique souvent poétique.

Au long des épisodes, néanmoins, se fait jour, de plus en plus, une absence de point de vue qui culmine avec une fin en queue de poisson, laquelle, malgré son désir d’accéder à une dimension métaphysique par l’évasion vers un “au-delà” onirique, dévoile en fait un manque total de problématisation du sujet. Les paradoxes accumulés sont renvoyés au spectateur comme le constat d’une virtuosité, qui prolonge des constats contemporains mais s’interdit d’articuler tout discours.

Il est frappant, en effet, de voir comment, dans cette intrigue, toute transcendance est bannie du monde des hommes. Ceux-ci sont enfermés dans des structures qu’ils ont eux[1]mêmes créées, consolés par le jeu des apparences qui satisfait leurs besoins immédiats. La transcendance, elle, n’est présente que chez les robots, de deux manières. D’une part, la complexité de leurs codes fait qu’ils peuvent parfois échapper à leurs créateurs. D’autre part, leur choix final, dans le film, s’apparente à un acte de foi duquel sont incapables les humains, cantonnés dans leur égoïsme et dans le confort de leurs habitations.

Suprême inversion, les seuls êtres capables d’une vraie générosité ou d’une réelle espérance sont les personnes mortes et accédant à une survie artificielle car “robotisées”. Au fond, la mort est la seule réalité durable et tangible, même si on la dissimule. Dès la première scène, l’unique moment de tendresse du film se révèle dirigé vers un artefact d’animal mécanique, tandis qu’une tuerie aussi froide que violente peut advenir à tout moment, sur un pas de porte. Pour continuer à jouir, les individus doivent simplement ignorer ce néant, le refouler (en ce sens, le cadavre dissimulé derrière les dalles d’un plafond répond aux trous sombres qui apparaissent derrière les ciels artificiels quand l’électricité faiblit), voire en accuser des robots, lesquels pourtant sont les seuls désireux de “bien vivre”.

Finalement, le film lui-même procède d’une démarche aporétique. Comment inventer un récit, si seule les machines pourraient concevoir quelque chose d’humain ? Quelle morale rechercher, si l’homme est prisonnier de sa propre jouissance ? Pourquoi rechercher des béances, s’il importe avant tout de colmater les trous qui révèlent notre impuissance ? La seule part de rêve permise par ces aventures, assez tristement, réside peut-être dans les fantasmes lubriques, brièvement mais précisément entrevus (sous prétexte d’être dénoncés ?) et accessibles seulement… via des machines. Loin d’ouvrir sur une dimension plus profonde, l’œuvre dans son ensemble révèle d’abord l’imaginaire désespérant de nos contemporains, incapables de (se) représenter autre chose que des artefacts.

Un demi-siècle a passé depuis Kubrick. Malgré des discours formellement proches, l’aspiration irrépressible aux espaces infinis héritée des premiers hominidés a laissé la place à la résignation envers un avenir cantonné aux dimensions de la machine.

Denis DUPONT-FAUVILLE 27 novembre 2023

 

1 Ces dernières citations, discrètes mais précises, constituent une sorte d’hommage de l’animation française au grand précurseur que fut René Laloux, dont La planète sauvage a aujourd’hui 50 ans.

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