Camille Dejardin, Urgence pour l’école républicaine. Exigence, équité, transmission. Gallimard, collection Tracts, sept 2022

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 12 octobre 2022, n° 33 à propos de Urgence pour l’école républicaine. Exigence, équité, transmission, Camille Dejardin chez Gallimard, collection Tracts, sept 2022

Est-il encore possible de parler de l’École sans l’associer au mot crise ?

Entre épithète homérique et Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, le mot École en France est lié aux diagnostics du malaise.

Le principal mérite de ce texte de Camille Dejardin, agrégée de philosophie et spécialiste de John Stuart Mill, est d’abord sa brièveté. Tout a été dit non pas cent mais mille fois sur le drame de l’École. Camille Dejardin ne prétend pas nourrir le débat avec une multiplication des données et l’appareil statistique incroyablement précis que génère le Ministère de l’Éducation Nationale. Elle veut alerter par un balayage des éléments qui expliquent l’affaissement :

– D’abord la réduction du temps dévolu à l’étude. Les élèves français ont, en vingt ans, perdu de la maternelle à la terminale, l’équivalent d’une année scolaire.

– Ensuite le dérèglement des systèmes d’évaluation lié à un double phénomène, celui du contrôle continu érigé en norme du système et celui d’une pédagogie de l’indulgence… coupable faudrait-il ajouter.

– Le mépris matériel et moral pour la fonction d’enseignant. Un professeur certifié commençait en 1980 sa carrière avec un salaire équivalent à 2,2 fois le SMIC. Aujourd’hui c’est 1,2 fois pour une qualification à Bac+5 !

– L’exposition de l’École à toutes les intrusions d’une société civile qui a perdu le sens de la laïcité, des codes sociaux (notamment vestimentaires) et qui exige avant tout le respect de droits qui se multiplient à l’infini sans aucune contrepartie.

– Enfin, le brouillage de la transmission. À l’heure du tout numérique et de la « googlisation » du savoir, on veut croire que tout est accessible et qu’il suffit donc d’apprendre des protocoles, des méthodes pour permettre à l’élève de puiser dans le réservoir infini des ressources documentaires.

Le constat ne peut que désespérer. Demeure qu’il n’est pas sûr du tout qu’il soit partagé par la majorité de la société française. Comme je l’avais écrit moi-même, dans un article publié sur le site du Figaro¹ , il n’est pas certain que la société française ait encore envie d’être éduquée… et instruite.

Il faut se refuser cependant à admettre cette fatalité qui porte en elle la clef d’un déclassement historique. L’École a été, en France notamment, la colonne vertébrale des progrès sociaux et politiques. Elle a mis en œuvre la démocratisation du savoir par la rencontre de la volonté politique et la saisie, par la société, de cette chance d’émancipation. Le travail a été le levier par lequel des femmes et des hommes ont découvert de nouveaux horizons, ont exploité leurs talents et ont donné à la France une prospérité fabuleuse. L’École a été un facteur de civilisation. Elle est aujourd’hui minée par toutes nos contradictions, par la démagogie ou le désintérêt de tous les gouvernements depuis 1981 et par la violence des déstructurations sociales qui ont produit des ghettos pour lesquels l’École n’est plus une possibilité de sortie mais une otage pour ses élèves comme pour ses personnels enseignants et administratifs.

Ce qui se joue donc sous nos yeux avec ce délitement permanent de l’institution scolaire, de ses fondements éthiques et de ses éléments de savoir, c’est donc tout simplement un processus de destruction du socle de notre civilisation.

L’Église a porté la culture : elle fut le véhicule de secours de la culture antique, le lieu de sa reformulation tout au long du Moyen Âge, le laboratoire explosif de sa modernisation entre Réforme et âge scientifique, la chaire hostile, parce qu’assiégée, au temps du positivisme. Elle demeure, profondément attachée à l’éducation des enfants et des adultes, partout sur la Terre. Elle en sait en effet la valeur libératrice. Avant même l’évangélisation, l’instruction et le soin furent les premiers gestes des missionnaires.

Aujourd’hui, par-delà la défense d’un enseignement catholique important pour notre pays, l’Église et les évêques de France doivent s’engager avec force dans le combat pour l’École. Ils doivent à leur tour alerter de l’urgence du moment. L’enseignement catholique ne peut pas devenir les canots de sauvetage d’une Éducation Nationale Titanic. Il doit participer au réveil des consciences et coopérer avec les femmes et les hommes de bonne volonté pour sauver une certaine idée de l’humain.

Il y a urgence… pour l’École républicaine et pour l’École sans adjectif.

Benoît Pellistrandi

1 https://www.lefigaro.fr/vox/societe/benoit-pellistrandi-quels-sont-les-defis-de-cette-rentree-scolaire-20210901

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