Festival Courant d’art 2023 par le diocèse de Rouen

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 3 mai 2023, n°19, à propos du Festival Courant d’art 2023 par le diocèse de Rouen

Pour la 18ème année, le diocèse de Rouen propose le festival « Courant d’art ». Il s’agit d’exposer des œuvres contemporaines dans des églises du diocèse et ainsi de permettre une sorte de « dialogue de la beauté » entre l’hier et l’aujourd’hui, même si les églises édifiées dans les siècles passés sont des lieux du présent. Cet événement doit beaucoup à un prêtre de ce diocèse, Bertrand Laurent, lui-même peintre, et tout naturellement en phase avec les artistes.

Je ne parlerai ici que de l’artiste dont j’ai pu voir les œuvres, Hans Jorgensen. Sculpteur sur bois établi dans le Poitou, son travail porte sur la manière d’agencer, de travailler, des pièces de bois brut qu’il récupère dans les forêts ou ailleurs. L’arbre y est une métaphore du corps humain soumis aux vicissitudes du temps, l’écorce est un parchemin où l’on peut lire la vie tourmentée de l’homme. La démarche générale de l’artiste est, selon ses propos, « de s’éloigner d’une facture classique afin d’éviter tout misérabilisme et excès de narration. » Du 14 avril au 14 mai, l’église Saint Maclou de Rouen, chef-d’œuvre du gothique flamboyant accueille quelques-unes de ses sculptures monumentales. Elles sont présentées dans les chapelles latérales et dans le chœur de l’église. Anthropomorphes, elles montrent des corps souvent tordus, souffrants, tendus à l’extrême. Ceci résonne dans cette église très gravement endommagée durant la dernière Guerre mondiale, qui ne put réellement rouvrir qu’en 1980 et qui porte encore les stigmates des bombes qui furent lancées sur Rouen.

Les œuvres n’ont pas de titre individuellement mais, dans chaque exposition de Jorgensen, elles forment un ensemble, ici, à Rouen, celui-ci est intitulé « cette chair-là « . L’artiste présente ses sculptures mais n’entend pas les commenter, laissant chacun les recevoir dans ce qu’elles lui disent. Je peux cependant souligner que le choix des emplacements dans l’église Saint Maclou les faits plus spontanément dialoguer avec un élément de l’architecture, un retable, ou encore la poutre de gloire.

Puisque je parle de dialogue, il serait juste d’ajouter un autre personnage. Déjà j’ai posé les œuvres de Jorgensen, l’église, les regardeurs, et j’ajoute la lumière. Elle est un personnage à elle seule. L’art gothique, en évidant les murs le plus possible, est un art de la lumière. Mais il s’agit toujours d’une lumière changeante, mouvante, diverse. Pour cela, il est bon de ne pas ajouter de lumières artificielles, encore moins d’écrans, comme je l’ai vu ici ou là. En effet, pour le motif de permettre aux fidèles de « voir » ce qui leur est caché par un pilier, ou un autre élément architectural, des églises ont disposé des écrans de télévision à tel ou tel endroit. On en connaît le résultat : on regarde l’écran ! Il est permis à l’épiscope du Futuroscope d’interroger le tour scopique de notre époque. Heureusement, nous venons de célébrer la vigile pascale ; sa première partie, dans l’absence des lumières artificielles, permet que le sens de l’ouïe soit sollicité… « Ecoute Israël ».

« Les musées nous ont habitués à l’idée que les œuvres ont été faites pour être vues. Qu’elles sont faites pour la lumière, pour les regards. Notre passion du visible est devenue une passion de la visibilité. Les écrans ont fait pour nos corps et nos visages ce que les musées ont fait pour les œuvres […]. Les hommes qui, comme mon père, ont des secrets et les gardent semblent presque appartenir à un autre monde. C’est une autre façon – temporelle, morale, plutôt que géographique – d’être étranger. Etranger à une époque où notre goût pour l’exposition a basculé dans celui de l’exhibition » Jakuta Alikavazovic, Comme un ciel en nous. Ma nuit au musée, Stock, 2021, p. 62.

« Notre rapport aux œuvres a été complètement transformé par cette passion contemporaine du visible. Tant de restauration de tableaux, au vingtième siècle, n’ont pas tenu compte de la question du regard, de la question de la lumière » oc, p. 63.

Les œuvres de Jorgensen, comme l’ensemble de ce qui est présent dans l’église jouent avec la lumière qui interprète chaque œuvre et ses détails comme elle l’entend, au gré des nuages qui font toute la beauté des ciels normands, ainsi que l’on compris et exprimé les impressionnistes. La lumière de Saint Maclou est diverse, évolutive, écho à nos vies bousculées, parfois torturée Lorsque la lumière se fait trop forte, elle ne révèle pas, elle cache presque ; l’ombre étant bien plus propice à exprimer ce qui se laisse accueillir plutôt qu’il ne s’impose.

« Les yeux pour lesquels ces tableaux ont été peints étaient habitués aux lumières vivantes, changeantes et capricieuses, des flammes. Ils étaient accoutumés au clair-obscur – ou le pluriel, clairs-obscurs, serait-il de rigueur ici ? – et distinguaient sans doute bien d’autres nuances que nous, des nuances qui ont été noyées à jamais dans nos flots glorieux de lumière artificielle. Dans Eloge de l’ombre, composé en 1933, l’écrivain japonais Junichirô Tanizaki regrettait que l’Orient n’ait pas mieux su résister à la colonisation lumineuse de l’Occident » oc, p. 64-65.

+ Pascal Wintzer Archevêque de Poitiers

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Notre-Dame est certes le chantier médiatique mais il ne faut pas oublier que notre pays est riche de 100 000 édifices religieux dont 42 258 églises et chapelles paroissiales affectées au culte catholique, avec 80% en milieu rural dont 10% dans des communes de moins de 200 habitants (et 75% dans les communes de moins de 3000 habitants).