Tsunami de Marc Dugain chez Albin Michel, 2023
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 10 mai 2023, n°20, à propos du livre Tsunami de Marc Dugain chez Albin Michel, 2023
Il faut bien reconnaître que le pouvoir, son exercice, exercent une réelle fascination sur beaucoup. Ceux qui ont été élus à un mandat politique se complaisent parfois à dire combien c’est lourd, nombre d’entre eux affirment qu’ils ne représenteront pas, bien moins nombreux sont ceux qui passent aux actes.
Le pouvoir, ici je parle surtout du pouvoir politique, peut agir telle une drogue, on lui sacrifie tout – il doit bien y avoir des compensations – et il fascine, moins dans ce qu’il est, un vrai travail, que dans le spectacle qu’il donne à voir.
« Nous vivons dans un monde de compétition ; ce qui nous occupe à longueur de journée, c’est la concurrence entre individus, et quand les gens se reposent, ils le font en regardant d’autres compétitions. Un tel niveau de rivalité, que ce soit dans le sport, le travail ou la politique, peu d’individus peuvent l’assumer durablement sans se faire aider » p. 25. Le héros de Tsunami a recours à la cocaïne, les coaches et autres méthodes de bien être savent se rendre indispensables.
Le dernier roman de Marc Dugain, dont l’OFC a présenté plusieurs des livres, est consacré au pouvoir, à celui qu’exerce le Président de la République en France, à travers le journal intime que tient ce Président dans un futur proche. Avec art, ironie, causticité, Marc Dugain tend un miroir au locataire de l’Elysée, et à nous-mêmes qui pouvons tant nous passionner pour les lieux de pouvoir, les hommes et les femmes de pouvoir.
« J’ai longtemps considéré que la vie n’est qu’une sorte de séjour sur une terre où je me suis vite senti étranger. J’ai compris que l’humanité s’était organisée essentiellement autour du pouvoir, dont l’argent n’est qu’une manifestation symbolique. J’étais trop indolent pour me révolter ou pour envisager de vivre marginalement » p. 45.
Tsunami reprend certaines des préoccupations de son auteur : le pouvoir donc, la possibilité de la liberté, la place des écrans et du numérique, etc. « Ma fonction m’oblige à ne pas me mentir sur l’état du monde. L’avenir ? Il n’est pas au libre arbitre, ni à l’esprit critique structuré par la connaissance : il est à la servilité croissante de l’individu, au mieux dans l’illusion de sa liberté, et le métavers est la consécration de tout cela. Il donne à chacun l’opportunité de vivre une autre vie que la sienne dans la sphère digitale, ce qui présente l’énorme avantage de le faire doucement renoncer à changer le vrai monde » p. 16. « L’intelligence humaine individuelle est faible ; collective et synthétique, elle est irrésistible. Confier un avion à des pilotes est une ineptie. Confier une voiture à un être humain est une stupidité. Bientôt, confier un gouvernement à des élus sera un anachronisme » p. 85-86.
Seul face à des écrans, perdu dans la virtualité, il ne reste que le « je », un individu seul et en perpétuelle compétition. « La perte de l’altérité, c’est la voie ouverte au délire psychotique. Ce sont les autres qui nous maintiennent dans la réalité, quand ils disparaissent, on se perd en nous-]mêmes » p. 154.
Dénonçant l’égotisme, Dugain le décèle dans l’égoïsme des politiques publiques des pays occidentaux. « Nous, les démocrates, les bien-pensants, les grandes âmes, les cœurs vaillants, avons délocalisé notre production pour profiter des avantages d’une dictature amorale. Au nom du communisme, cette dictature met les travailleurs au pas et leur impose des conditions de travail et des salaires inacceptable pour les Occidentaux. Voilà une vérité que tout le monde sait et qui n’est malgré tout pas toujours bonne à dire » p. 168.
Nombre des romans de Marc Dugain se déroulent aux Etats-Unis, il en sera peu question ici, nous sommes sur la scène française, européenne, mais telle notation mérite d’être rapportée : aux Etats-Unis, « on n’avait jamais croisé autant d’individus parlant de Dieu avec une si grande spontanéité et aussi peu de spiritualité » p. 52.
Telle autre sentence peut être reçue comme une stimulation. J’y entends aussi que, pour beaucoup de nos contemporains, leur seul lieu de contact avec le christianisme, ce sont les obsèques – ceci est à prendre en compte. « Comme je suis cette messe qui ne m’est pas coutumière [le Président est protestant], j’en tire la conclusion que, pédophilie mise à part, l’Eglise catholique souffre de la médiocrité de ses prêtres, cantonnés à célébrer un dogme usé par sa faible incarnation » p. 183
La guerre en Ukraine est désormais terminée, le Président français a changé, mais… Poutine est toujours là ! « Ce pays qui nous a pourtant donné Tchekhov n’a connu qu’un seul régime, celui des tsars, blancs puis rouges puis bleus. Ce qui les unit, c’est un mépris constant pour la vie humaine et pour le peuple […]. Le seul qui revienne et qui reparte, c’est Dieu, présent aujourd’hui pour servir de couverture, déchu hier comme opium du peuple. Poutine en fait des tonnes avec son émissaire, un illuminé à la longue barbe, chef de l’Eglise orthodoxe. Tout ça s’accorde parfaitement avec son projet politique diamétralement opposé au message du Christ.
Mais qu’importe, les textes sont faits pour être tordus jusqu’à ce qu’ils prennent la forme de ceux qui ne les ont pas lus mais qui s’en servent pour contenir ceux qu’ils oppriment » p. 231- 232. De Poutine, on ne souligne la seule loi qui le meut, celle de la force, de la contrainte. « J’ai un voisin immédiat, un responsable local de la FNSEA. On ne se parle pas, il pompe la nappe phréatique pour son agriculture de dégénéré et il essaie de me piquer des terres pour avancer vers ma source et peut-être un jour m’en voler l’accès. C’est la brutalité au service de la cupidité, je l’ai surnommé Poutine » p. 248-249.
La construction du roman peut dérouter, il n’y a pas de fil conducteur, de récit linéaire, mais, nous sommes dans un journal, et, puisque c’est celui d’un Président de la République, ce qui domine ce sont les événements, et ceux-ci surviennent sans ordre ni préséance. Notre Président s’aime-t-il ? En tout cas, il semble n’aimer que bien peu ceux qu’il a mission de servir. « Plus personne n’est responsable de rien. Cette infantilisation conduit l’Etat à être responsable de tout. Et l’Etat, c’est moi ! » p. 146. « S’abriter derrière le collectif pour ne rien décider, c’est le principe de leurs réunions. C’est à moi que revient la conclusion » p. 185.
Marc Dugain projette son lecteur dans un futur proche où tout ce que nous connaissons aujourd’hui demeure, mais où la dégradation a été générale. Sans doute ceci correspond-il à ce que beaucoup de nos contemporains imaginent pour le futur : « les mêmes choses, mais en pire » ! Moraliste, Dugain entend cependant alerter sur nos travers actuels, agir semble donc encore possible.
+ Pascal Wintzer Archevêque de Poitiers
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