La déconstruction de la nature humaine au cinéma The Creator, Le règne animal (2023)

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du 18 octobre 2023, n°39 à propos The Creator, Le règne animal (2023)
La déconstruction de la nature humaine au cinéma .

Deux films à grand succès, sortis l’un après l’autre, en apparence très différents, procèdent chacun à sa manière à la déconstruction de la nature humaine. The Creator de Garret Edwards est un film de science-fiction à gros budget qui efface la limite entre l’homme et l’intelligence artificielle sur fond d’ambiance woke. Le monde animal de Thomas Cailley est un film fantastique qui efface la distinction entre l’homme et l’animal. Les deux univers imaginaires ont en commun de faire l’économie de la transcendance et du divin. The Creator nous plonge dans un univers où des robots humanoïdes animés par l’intelligence artificielle finissent par égaler en tout les êtres humains, voire à les dépasser. Dotés d’autonomie, d’imagination, d’empathie, ils peuvent prendre des traits humains ou garder des formes mécaniques. Ils peuvent se sacrifier pour sauver des hommes, et certains en habit de bonze pratiquent la méditation. Leur créateur s’appelle Nirmata, un nom emprunté à l’Inde qui désigne l’architecte, et qui dans le film est incarné par une Asiatique. Le spectateur accompagne le héros, un afro-américain amputé du bras, d’abord engagé aux côtés des méchants blancs américains dans une guerre d’extermination des robots. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils ne font guère de cas des victimes collatérales. Et de suivre le parcours initiatique de cet anti-héros qui se déroule en Asie du Sud-Est, parcours par lequel il va changer son point de vue.

Laissons de côté les pérégrinations, rebondissements, et multiples scènes d’action et de violence. De manière subtile et insidieuse, Garret Edwards manipule le spectateur pour qu’il admette d’abord que la personnalité humaine se réduit à un ensemble de données stockables dans une carte mémoire, y compris ses affects ; ensuite que la mort, qui peut affecter les hommes aussi bien que les robots, n’est qu’un saut dans une autre dimension appelée « paradis ». Un des sommets du film réside dans une scène d’euthanasie où le héros principal retrouve son épouse disparue plongée en état végétatif depuis plusieurs années, et l’éteint dans un bain de larmes et de joie. La qualité esthétique du film, l’habillage numérique des images, la sincérité des acteurs forment un ensemble captivant, mais profondément pervers. La proximité entre hommes et robots qui s’égalent aux hommes n’a rien d’original au cinéma, mais elle est ici ramenée à une guerre qui par nature écarte les interrogations. Exit donc les questionnements sur l’âme humaine de Mamoru Oshii dans le dessin animé Ghost in the Shell, ou de Jonathan Mostow dans Clones.

Le Règne animal est une production française qui n’a rien à voir en termes de budget ou de thème.
Mais le fil directeur et la dynamique du film fantastique, qui se passe pour l’essentiel dans une petite ville du Sud de la France, sont semblables. Thomas Cailley nous plonge dans un univers inattendu : une partie de la population humaine mute pour se transformer en animaux de tous genres. Le spectateur suit les pérégrinations des deux principaux protagonistes, le père et le fils, qui ne veulent pas abandonner l’épouse et mère atteinte de ces mutations. Sans cacher le caractère asocial des mutants,
Thomas Cailley fait progressivement admettre au spectateur que malgré leur différence d’aspect et de comportement, ces humains mutants, les « bestioles », sont plus respectables que bien des hommes. Le fils notamment découvre rapidement qu’il est lui aussi un mutant, et tente sans y réussir de rester humain avec l’aide de son père. Mais la bestialité l’emporte. « Tu es beau », lui dit son père, l’engageant à vivre sa vie animale en liberté. La subtilité perverse du film est de confronter des « bestioles » qui vivent paisiblement dans la nature et incarnent un idéal, et des êtres humains dépourvus pour la plupart d’empathie, et se contentant d’une société matérialiste, intolérante et violente. L’apologie du bestial atteint son sommet dans une scène de sexe nocturne dans un champ de maïs entre le fils et une lycéenne qui découvre la mutation en cours et en éprouve un plaisir redoublé. L’interrogation sur la distance entre l’homme et l’animal, thème courant du cinéma fantastique, est ici cour circuitée avec habilité par la mise en avant de l’empathie. L’individu mutant abandonne sans regrets la communauté humaine. Exit l’angoisse intérieure de l’homme qui perd son humanité et se transforme en créature dans District 9 de Nell Blonkamp. La leçon de La mouche de Kafka et de Rhinocéros de Ionesco est inversée.

Le cinéma est un art profondément hypnotique, à la fois porteur de l’engagement des réalisateurs, et miroir du monde qui les entoure. Ces deux films, destinés à un très large public, encensés par la critique, témoignent d’une société occidentale qui, en oubliant Dieu, perd ses repères et se déshumanise.
Vincent Aucante

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