Martyrs par amour en Perse. Mgr Sontag et ses trois compagnons de Claire et Joseph Yacoub

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 1er février 2023 : « Martyrs par amour en Perse. Mgr Sontag et ses trois compagnons » de Claire et Joseph Yacoub.

Martyr par amourJoseph Yacoub est un grand connaisseur des chrétiens d’Orient et de leur histoire. Il a signé avec son épouse Claire de nombreux ouvrages sur le sujet, notamment Le Moyen-Orient syriaque en 2019. Dans  leur dernier opus, les auteurs nous font découvrir un pan oublié de l’histoire du christianisme : le triste  sort des chrétiens persans pendant la Première Guerre mondiale.

L’Église de Perse a été fondée par l’apôtre Thomas, qui, suivant la route de la soie en utilisant le chemin  des caravanes, a évangélisé le Caucase et l’Asie centrale. Au IIe siècle, les communautés chrétiennes  sont florissantes en Perse, notamment dans l’Azerbaïdjan iranien. Cette région qui est l’objet de ce  livre est aujourd’hui située au nord-ouest d’Iran, bordée par la Turquie, l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

La zone située autour du lac d’Ourmiah, la ville principale, rassemble à l’époque une importante communauté chrétienne. Ces chrétiens de Perse ont survécu aux persécutions des zoroastriens, et aux  discriminations des musulmans sunnites et chiites. Après un incroyable élan missionnaire qui les  emmène convertir tout le nord de la Chine et culmine avec l’empire mongol, ces disciples de Thomas ont ensuite vécu pendant des siècles séparés du monde et du reste de la chrétienté.

C’est à un français, Eugène Boré, que l’on doit au milieu du XIXe siècle un regain d’intérêt pour les  chrétiens de Perse. Contemporain des laïcs fondateurs de l’Œuvre d’Orient, cet orientaliste veut  comme eux privilégier l’éducation, et fonde à cet effet plusieurs écoles en Perse. Son œuvre est ensuite  reprise par les lazaristes, qui entreprennent de « convertir » ces chrétiens nestoriens supposés  hérétiques, et de les ramener au catholicisme. Les lazaristes ont l’intelligence de conserver le rite  assyrien plutôt que de le latiniser, ce qui facilite le développement de la mission. Un séminaire est créé à Khosrava, qui va permettre de former des prêtres originaires de la région. Dispensaires et hôpitaux  sont fondés, des revues et des livres sont imprimés en araméen. Les pièces de Molière et les fables de  La Fontaine sont traduites et largement diffusées. Même après les lois sur la laïcité de 1904 et 1905,  la mission lazariste entretient d’étroites relations avec les institutions françaises : le consulat, la  légation française et plus tard l’ambulance alpine française du Caucase.

La Perse est au début du XXe siècle un État despotique faible, en proie à la corruption et au népotisme.  Elle se trouve au cœur du Grand Jeu où s’affrontent les Turcs, les Allemands, les Russes et les  Britanniques. La Perse subit en cette période une série de crises constitutionnelles, qui voient  apparaître un « parti démocratique persan » soutenu par l’Allemagne, qui promeut un islam radical et  intolérant, et annonce la révolution islamique de l’ayatollah Khomeiny. Officiellement neutre en 1914,  la Perse est de fait partagée en deux zones contrôlées respectivement par les Russes au nord-ouest et  les Britanniques au sud-est. L’influence allemande y est néanmoins prépondérante. Les Turcs  imaginent déjà réunir les peuples turcophones d’Asie centrale, et éliminer les zones chrétiennes qui  leur font obstacle (arméniennes, chaldéennes et géorgiennes). Ce plan est très largement soutenu par  les Allemands qui ambitionnent par ce moyen de s’ouvrir une voie vers les Indes pour y porter la  guerre. En 1915, l’armée russe quitte l’Azerbaïdjan iranien, et les Turcs et les Kurdes en profitent pour  mener des razzias dans la plaine d’Ourmiah, sans aucune protestation de la Perse, officiellement  neutre mais hostile aux chrétiens. Les villages sont rasés, les chrétiens massacrés, les prêtres torturés  à mort. On compte déjà au moins 4000 victimes, tous des civils désarmés. Le calme revient avec le  retour des Russes, mais ceux-ci partent à nouveau en 1917, révolution bolchévique oblige. Les Persans  créent alors une police islamique qui vise spécifiquement les chrétiens et va jouer un rôle fatal pendant  le génocide. De leur côté, les lazaristes et les Filles de la Charité recueillent des milliers d’Assyriens orthodoxes qui ont survécu aux massacres perpétrés par les Turcs dans le Hakkari. Soutenus et armés par les Anglais qui leur ont promis l’indépendance, les Assyro-chaldéens forment plusieurs bataillons  et affrontent les Turcs et les Kurdes dans la plaine d’Ourmiah en 1918. Mais submergés par le nombre,  ils doivent se replier, entrainant un vaste exode des populations chrétiennes menacées  d’extermination. Encouragées par le consul allemand, l’armée et la police persanes collaborent avec  les soldats turcs pour éliminer les chrétiens. Turcs et Persans rivalisent en atrocités et massacrent les  chrétiens turcs et persans et les lazaristes restés à leurs côtés : Mgr Sontag et les P. Dinkha, L’Hotellier  et Miraziz.

Qui étaient-ils ? Né en Alsace en 1869, Charles-Emile Sontag rentre chez les lazaristes, et part bientôt  pour la mission de Perse. D’abord à Ourmiah, il gagne ensuite Téhéran où il fonde en 1909 l’Ecole Saint Louis, qui va très tôt s’ouvrir aux élèves musulmans. En 1910, il est nommé délégué apostolique de la  Perse et archevêque latin d’Ispahan. Jusqu’en 1914, il travaille à consolider les œuvres lazaristes dans  un contexte politique et économique très difficile. Mgr Sontag crée un collège à Ourmiah, et s’attache  à former un clergé autochtone. Il œuvre activement jusqu’en 1918 à protéger ses ouailles et à  maintenir un semblant de paix. Alors que les hordes turques s’approchent, il décide de rester à  Ourmiah avec les orphelins recueillis par la mission afin de les protéger. Tous sont massacrés par les  musulmans persans en juillet 1918.

Nathanaël Dinkha, chaldéen catholique né en 1846 à Khosrava en Perse, fait le voyage en France à pied pour demander à entrer dans la Congrégation lazariste. Ordonné prêtre à Jérusalem en 1875, il est envoyé en mission de par le monde, notamment à Madagascar, puis revient dans son pays natal en  1911. En juillet 1918, il reste à son poste à l’hôpital d’Ourmiah, et meurt en tentant de protéger les blessés musulmans qui y étaient soignés. Les Turcs ont découpé son corps en morceaux.

Mathurin L’Hotellier est né à Trégueux en Bretagne en 1883, et ordonné prêtre en 1911 sur l’île de  Santorin. En mission dans la petite ville de Khosrava, il est tué par les Turcs en juin 1918 après d’atroces  tortures.

Enfin François Miraziz, chaldéen catholique né lui aussi à Khosrava en 1878, entre au séminaire  lazariste de cette ville. Ordonné prêtre en 1902, il est installé dans sa ville d’origine. Il est tué par les  Turcs en juin 1918, lui aussi horriblement torturé.

Le livre, outre l’éclairage historique qu’il nous apporte sur cette période troublée, pose de nombreuses  questions. On se sait que trop comment la Perfide Albion, fidèle à sa politique, est toujours prête à  trahir ses alliés comme elle l’a fait en 1918 en abandonnant les Assyro-Chaldéens à leur sort. Le rôle  pervers de l’Allemagne qui a encouragé le massacre des chrétiens est aussi mis en lumière. La contribution active de la Perse au génocide perpétré par les Turcs est très largement prouvée, de  même que l’impunité des responsables. On ne peut qu’être inquiet de voir la Turquie d’Erdogan reprendre les mêmes slogans politiques qu’en 1915 en annonçant vouloir réunir sous la bannière de  l’islam les peuples turcophones d’Asie centrale et du Caucase. L’Occident a pudiquement fermé les  yeux sur les exactions commises par l’Azerbaïdjan et la Turquie pendant la guerre du Karabagh et surtout la conquête des territoires arméniens, notamment les massacres de prisonniers chrétiens dont  certains ont été démembrés. L’histoire peut-elle se répéter ?

Réjouissons-nous de la décision de Mgr Aupetit, alors archevêque de Paris, de demander l’ouverture  de la cause de canonisation des quatre martyres, parmi lesquels peut-être les deux premiers saints  chaldéens catholiques. En ces sombres temps, nous avons besoin de témoins lumineux.

Vincent Aucante

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