Anne-Dauphine Julliand, Consolation

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 9 juin 2021 à propos de l’ouvrage : Consolation » d’Anne-Dauphine Julliand.

Anne-Dauphine Julliand commence son récit en exprimant des sentiments contradictoires et pourtant simultanés et compatibles dans une même personne : « J’ai perdu mes filles. Mes deux filles. D’une “leucodystrophie métachromatique”. (…) J’ai perdu mes deux filles. Et j’ai souffert plus que je ne pouvais l’imaginer et plus que je ne pourrais jamais le confier. (…) Je le dis le cœur habité de sentiments que l’on croit souvent contraires. Au fond de moi cohabitent dans une parfaite harmonie la douleur et la paix. La douleur de celui qui pleure. Et la paix de celui qui est consolé » (p. 9). Il peut y avoir, en effet, une unité de vie malgré parfois une grande confusion des sentiments.

La romancière, réalisatrice et journaliste prolonge le beau témoignage qu’elle avait déjà livré à ses lecteurs et lectrices dans Deux petits pas sur le sable mouillé et Une journée particulière. C’est beau, plein de délicatesse, touchant et émouvant. C’est triste aussi bien sûr, mais c’est surtout plein d’espoir, de foi en l’homme aimant et consolateur.
Une expérience de souffrance et de consolation, n’est pas facile à traduire avec des mots simples. De la consolation, Anne Dauphine Julliand donne la définition suivante : « La consolation est une histoire d’amour écrite à l’encre des larmes. C’est la rencontre de deux cœurs : un cœur qui souffre et un cœur qui s’ouvre. De deux âmes : une âme ébranlée et une âme qui se laisse bouleversée » (p. 10). Tout au long du livre, l’auteure va développer différentes harmoniques de la consolation à partir de conversations qu’elle a eues avec des amis, des proches. Elle a le don de décrire des scènes courtes qu’elle rend inoubliables. Le très beau chapitre sur les larmes se termine par cette demande « “Laissez-moi pleurer”. Consoler n’est pas nécessairement sécher les larmes. C’est souvent les laisser couler » (p. 86). Les larmes soulagent d’un poids immense. Avec son mari, ses deux garçons, Anne-Dauphine Julliand exprime cette conviction : « Vivre la peine, c’est la seule façon d’être aussi capable de vivre la joie » (p. 107).

Consolation est avant tout un hommage aux consolateurs : une sœur qui vous prend dans les bras, une infirmière qui s’assoit sur le bord du lit et prend juste le temps d’être là. La romancière refuse l’idée selon laquelle la douleur doit s’effacer une fois le travail du deuil accompli. Pour elle, les pages ne se tournent pas, elles s’ajoutent. La vie se complique, et tout s’entremêle.

Le consolateur, le plus souvent, est maladroit devant une personne en deuil. Quoi dire ? quoi faire ? Les phrases prononcées sont parfois banales, polies, standards et pourtant d’une grande utilité. « La consolation se faufile dans une économie des mots » (p. 153). Par exemple, dire à quelqu’un qui souffre : « De quoi as-tu besoin ? », c’est se mettre à disposition. C’est une demande qui traduit une dimension vitale quand elle résonne dans une situation de grande douleur. « De quoi as-tu besoin pour te relever, aimer la vie ? Pour continuer ? Pour t’apaiser ? » Il faut souvent en rester à cette demande. Les conseils sont délicats à gérer. Ils sont parfois déplacés ou décalés. Il n’est pas nécessaire de dire à l’autre ce qu’il devrait faire ou penser. Les mots sonnent juste quand ils créent une vraie relation entre les cœurs.

Ce livre aborde au fil des pages le thème difficile de la souffrance : « Il n’y a pas de consolation sans souffrance. Et il ne devrait jamais y avoir de souffrance sans consolation » Anne-Dauphine Julliand met des mots sur l’indicible souffrance de la perte de ses deux filles. Rien ne sert d’expliquer la cause de la souffrance ou de chercher sa justification. Il faut aussi fuir le fatalisme qui fait dire : « C’était écrit. »

Une souffrance et son pendant la consolation sont analysées avec une acuité exceptionnelle. « On dit souvent dans l’épreuve que le ciel nous tombe sur la tête. J’ai eu le sentiment qu’il descendait jusqu’à moi, sans fracas. Dans ce moment où la souffrance m’a privée de toute force, où jamais je me suis sentie aussi douloureuse, vulnérable, meurtrie, misérable, indésirable, j’ai expérimenté l’amour sans condition et sans limites. Et cet amour ne me quittera jamais. Je sais désormais que je suis aimée quoi qu’il m’arrive et quels que soient mes peines, mes errements, mes doutes et mes faiblesses » (p. 176-177).

La souffrance sonde nos croyances, met à l’épreuve notre être spirituel. Anne-Dauphine Julliand prononce le mot foi, « lumière qui assume les ténèbres ». Ce qui compte pour elle c’est de sentir, au cœur de l’épreuve du deuil, que l’on est « aimé d’un amour plus grand que nous, plus grand que tout. D’un amour inconditionnel » (p. 176). Avec beaucoup de discrétion, elle nous confie la source où elle puise : le ciel. Elle chante, le cœur en pleurs, la cantate que Jean-Sébastien Bach avait écrite à la mort de son enfant, Jésus que ma joie demeure. C’est cette joie qui permet de voir la lueur cachée sous le boisseau de la douleur.

Dans le dernier chapitre de Consolation se trouve de belles leçons de vie et d’espérance : « On entend parfois ceux qui ont été éprouvés affirmer qu’ils ne voudraient pas revenir à leur vie d’avant. Que leur existence maintenant a pris une autre dimension. Ce qu’ils vivent désormais n’est pas la vie d’après la souffrance. Celle-ci n’est pas un instant qui passe. C’est leur vie avec elle. Mais une souffrance acceptée et apaisée, qui permet de mieux percevoir la beauté de la vie, parce qu’elle a été consolée. La consolation est un art qui embellit les fêlures de nos vies. Elle applique sur les plaies un onguent d’or. De l’or éprouvé par le feu et puisé au creuset des coeurs. Dans l’interstice de la déchirure se mêle à l’or un peu de l’autre, celui qui console. » (p. 193).
Le message qu’Anne-Dauphine Julliand veut nous laisser est le suivant : nous survivons au malheur, parce qu’il y a encore des rencontres possibles, une vie à consoler. Son récit peut aider non seulement des personnes traversées par une épreuve de deuil, mais aussi tous ceux qui ont le charisme de la consolation et de la compassion.

+ Hubert Herbreteau

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