Dom Simon Jubani, Du fond de l’enfer, j’ai vu Jésus en croix

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 2 juin 2021 à propos de l’ouvrage : de Dom Simon Jubani : « Du fond de l’enfer, j’ai vu Jésus en croix ».

Le récit de Dom Simon Jubani nous plonge dans la période douloureuse traversée par l’Albanie au moment de la dictature d’Enver Hoxha, premier ministre (1950- 1985). Admirateur inconditionnel de Staline, Hoxha a utilisé les mêmes méthodes pour se maintenir au pouvoir. À l’aide de la Sigurimi, l’équivalent du KGB, il mit en place tout un réseau efficace et redoutable d’espionnage. Un dixième de la population, considéré comme suspect, sera interné dans des camps ; 170 cadres dirigeants du Parti seront liquidés et un Albanais sur trois a eu un jour ou l’autre affaire à la police politique.

Dom Simon Jubani fait partie de ceux qui ont vécu dans des camps de concentration. Prêtre catholique, il a passé 26 années dans les prisons communistes albanaises. Il y subira des actes dégradants et des tortures. Que lui reprochait-on ? On l’accusait d’avoir célébré des baptêmes d’enfants communistes. Il représentait surtout pour les communistes un danger tant son influence auprès du peuple était grande. Dom Simon est un résistant. La messe célébrée avec héroïsme par lui, le 4 novembre 1990, préfigurait la chute de la dictature l’année suivante.
Son livre est un récit autobiographique. Chaque chapitre apporte des éléments sur l’Albanie, pays d’Europe orientale ayant vécu sous le joug communiste et ayant connu la persécution contre les religions, et particulièrement contre l’Église catholique. Le chapitre 6 explique que l’Albanie comprend deux groupes éthiques : les Guègues et les Tosques et donc deux régions : la Guéguerie au nord et la Tosquérie au sud. Le plan du dictateur était de faire disparaître la Guéguerie, aussi bien sa langue, son identité et le catholicisme.

Ce livre ne peut pas laisser indifférent. Alors que la dictature d’Enver Hoxcha a pris fin en 1991, la situation de l’Albanie est toujours dans une grande pauvreté. Actuellement, les Albanais se trouvent être les plus nombreux demandeurs d’asile dans l’Hexagone après les Afghans. Les raisons du départ sont multiples, mais bien souvent considérées comme infondées par les autorités françaises et européennes. « Les Albanais peinent à entrevoir des perspectives d’avenir », écrivait l’Ofpra dans son rapport annuel sur l’asile en 2017. Le taux de chômage des jeunes de la tranche d’âge 15 – 24 ans se situe autour des 33%, selon la Banque mondiale. Beaucoup d’entre eux ont donc déserté, ces 20 dernières années, faisant même augmenter l’âge moyen de la population tout en diminuant le nombre d’habitants. L’Albanie compte actuellement 3 millions d’habitants contre 3,5 millions dans les années 1990.

« Du fond de l’enfer », Dom Simon Jubani donne un beau témoignage de sa foi et d’espérance : « Tant que l’humain respire, il vit, tantôt dans la lumière et tantôt dans l’ombre, tantôt dans le noir, tantôt dans le blanc, tantôt au plus profond des précipices et tantôt dans les cercles du ciel. Si jamais un peintre voulait peindre ma vie d’une manière symbolique, il lui faudrait acheter tout un chevalet bien chargé de peinture noire. Toutefois, il ne faut pas oublier la peinture or, car partout où j’ai respiré, le noir a été dissipé par le rayonnement lumineux de la sainte Communion » (p. 27).

Dans l’angoisse lancinante des nuits de prison, Dom Simon puise force et courage : « Mais moi l’éternel contestataire, je défiais le communisme : grâce à ma santé de fer, fruit d’une vie moralement saine et aussi sportive, le pain et l’eau se transformaient pour moi en vitamines, en glucides, en sels minéraux, qui tenaient mon corps toujours en forme, peut-être et surtout parce que ne me manquait jamais une autre nourriture, la plus importante : la prière » (p. 92).
Au fil des pages, Dom Simon montre le mécanisme qui va des représailles aux nombreuses arrestations (chapitre 11 : « les mains dans les menottes »), de l’emprisonnement à l’isolement et aux tortures. Le chapitre 12 fait la description de toutes les sortes de tortures que les prisonniers subissaient. Le lecteur aura du mal sans doute avec cette énumération, mais elle est nécessaire. La plus grande souffrance sera d’être transformé en espion : « Cependant la torture la plus terrible était celle du prisonnier qui, entré en prison comme un homme honnête, pliait et se rendait. La souffrance avait fait de lui un espion. Dans le vocabulaire du directeur de la prison, il était réhabilité. Mais alors, aux souffrances normales de la prison venait s’ajouter l’autre, la plus terrible, celle du remords de conscience qui ne laisse pas en paix ni jour ni nuit. La méduse et le sifflement de serpent de cette conscience entraient dans la prison, tourmentaient et torturaient l’âme dans la cellule » (p. 109). Dans le chapitre 15, l’analyse du système d’organisation de l’espionnage complète le chapitre sur les tortures.

La vie spirituelle de Dom Simon est toute imprégnée de l’Évangile. Les trois homélies qui se trouvent à la fin du livre témoignent d’une belle espérance. Celle du 11 novembre 1990, prononcée devant 50 000 personnes est un appel à la paix : « La voie pacifique est typique d’un peuple civilisé. Il nous faut résister à la tentation d’avoir recours à la violence ou à la brutalité. Ces deux dernières n’ont jamais résolu ni les problèmes nationaux, ni les problèmes familiaux » (p. 245).
On peut être surpris par la finale de ce récit autobiographique de Dom Simon Jubani publié en 2001. Dans un épilogue, le vieux prêtre s’imagine après sa mort (il est décédé dix ans plus tard), arrivant au Ciel pour apprendre que le sanglant Hoxha, s’il s’est repenti pourrait aussi s’y trouver, comme ses innombrables victimes.

En conclusion, retenons ce que disait saint Jean-Paul II en 1993 : « L’histoire n’avait encore jamais connu ce qui s’est produit en Albanie… Aussi votre drame doit-il intéresser tout le continent européen : il est nécessaire que l’Europe n’oublie pas. »
Le livre de Dom Simon Jubani peut contribuer à garder mémoire des nombreux chrétiens qui sont morts en raison de leur foi au Christ.

+ Hubert Herbreteau

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