Pavel Syssoev : « De la paternité spirituelle et ses contrefaçons »

Fiche de l’Observatoire Foi et Culture du mercredi 27 janvier 2021 à propos du livre :  » De la paternité spirituelle et ses contrefaçons » de Pavel Syssoev.

Pavel SyssoevUn grand travail est en train de se réaliser dans l’Église au sujet des attitudes d’emprise. Il nous faut entendre longuement les personnes victimes, blessées par des responsables qui se sont emparés de leur volonté, ont assujetti leur vie de prière, leurs décisions, leurs rêves, leur relation à Dieu et aliéner leur conscience. Ce sont des abus qui ont conduit parfois à des agressions sexuelles. Le livre de Pavel Syssoev, dominicain et théologien enseignant la philosophie, arrive à point nommé pour apporter un éclairage sur ce que l’on peut appeler la paternité spirituelle. Le propos est clairement annoncé : rappeler d’une part, qu’« avant les déformations de la paternité spirituelle, il y a une beauté et une grandeur de ce don venu de Dieu » (deux premiers chapitres), et d’autre part, traiter des pathologies, des contrefaçons de cette même paternité (deux derniers chapitres).

• La paternité spirituelle s’enracine dans l’Écriture. Les tout premiers mots de la Bible disent clairement que Dieu n’est pas un père à la manière des divinités païennes. Le Christ révèle la source qui demeurait cachée : Dieu est son Père, il en est le Fils unique. En révélant que Dieu est son Père, Jésus nous appelle à entrer dans cette filiation. En appelant Dieu « Père » nous nommons la source de toute paternité.
• Pavel Syssoev explicite ses affirmations en référence à l’Apôtre Paul. Celui-ci décrit son ministère d’apôtre comme un engendrement. Dans la lettre aux Galates il se présente ainsi : « Vous que j’enfante à nouveau jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous (Ga 4, 19). Il se compare à une mère qui élève les nourrissons » (1Thess 2, 7-8).
Dans un autre passage significatif de La Lettre à Philémon, il parle d’Onésime, un esclave fugitif qu’il prend sous sa protection. Il le nomme « mon enfant, à qui, en prison, j’ai donné la vie dans le Christ » (Philémon 10).
La paternité spirituelle de Paul est avant tout une paternité « dans le Christ ». Paul n’en est pas la source. Il n’agit pas à son propre compte. Il sait bien qu’il n’a rien qu’il n’ait reçu (1 Co 4, 7). Pour Paul, il n’y a qu’une pierre angulaire, le Christ. Personne ne peut en poser d’autres. Il n’est que collaborateur de Dieu, intendant de ses mystères (1 Co 4 et 5). La fidélité d’un intendant consiste à ne pas se prendre pour le maître. Paul n’a donc pas peur d’être séparé des chrétiens de Corinthe, il craint seulement qu’eux se séparent du Christ.
Une autre caractéristique de la paternité spirituelle de Paul est qu’elle vise à former le Christ. Il ne cherche pas à configurer ses disciples, mais c’est le Christ qui, doit être formé en eux.
De plus l’engendrement spirituel implique les douleurs de l’enfantement. La fécondité de l’apostolat de Paul vient de la Croix du Seigneur. La passion de Jésus agit en lui pour que le salut s’accomplisse dans l’Église : « Maintenant je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous ; ce qui reste à souffrir des épreuves du Christ dans ma propre chair, je l’accomplis pour son corps qui est l’Église » (Col 1, 24).
Le premier chapitre du livre se termine par un beau développement sur la paternité de saint Joseph et la paternité spirituelle à travers les âges.
• Le deuxième chapitre décrit les différents types d’accompagnement spirituel et insiste sur la nécessité d’une solide connaissance en théologie morale et spirituelle. La paternité spirituelle n’est pas réservée aux prêtres. Elle vient avant tout de la fécondité du sacerdoce baptismal. Pavel Syssoev définit ensuite ce qu’est la paternité pour un prêtre. Il énumère les différentes modalités d’accompagnement, avec des distinctions très utiles : le sacrement de la réconciliation, le conseil spirituel, la direction spirituelle…
• Dans une seconde partie du livre, le théologien dominicain, qui est aussi prédicateur de retraite, aborde le problème des pathologies de paternité. Il met d’abord l’accent sur le mécanisme du déni face aux méfaits qui ont été commis. La réaction des croyants est de refuser de voir le mal, de le nommer. Il est difficile de reconnaître une part de responsabilité et de se remettre en cause : « Qui a porté aux nues celui qui s’est avéré un monstre ? Qui a admiré celui qui, par ailleurs, abusait de la confiance qui lui a été faite ? Qui a préféré un prêtre à succès au modeste et fidèle travailleur, pas assez brillant et par trop obscur à notre goût ? Qui n’a pas porté sa part de déni ? » (p. 73).
• Pavel Syssoev fait ensuite l’analyse de cinq types de pathologies qui abîment la paternité spirituelle.

La démission. Lorsque l’on n’a pas rencontré au cours de la formation (au séminaire ou au noviciat) de maîtres qui ont montré avec rigueur et bienveillance un chemin sûr, lorsque l’on a été trop longtemps nourri aux opinions, aux ressentis et aux règles changeantes, devoir exercer une autorité est difficile. La démission de la paternité est fréquente. On cherche un père et un témoin, on rencontre une subjectivité inconstante.

Le formalisme est une autre forme de pathologie. La chasteté ne signifie pas insensibilité. « La paternité spirituelle naît et grandit dans la charité. Cela implique qu’il y a en elle une sollicitude cordiale pour le bien de l’autre, une inquiétude et un souci pour lui, une compassion et un attachement à son bien » (p. 83). « Si la charité ne s’incarne pas dans une relation humainement riche, la paternité tendra vite à un formalisme desséchant » (p. 84).

Le dilettantisme. La paternité spirituelle suppose une formation solide et longue, à laquelle il faut ajouter une profonde vie théologale. La bienveillance ne suffit pas.
Viennent ensuite deux pathologies intimement liées : l’autoritarisme et la séduction. « La première s’érige en source de la vie divine : “Tu vivras par moi”. Dans la seconde, l’abuseur se présente comme la fin pour l’autre : “Tu vivras pour moi”. Les deux sont profondément idolâtres. Le faux-père prend la place de Dieu » (p. 88). Nous sommes ici face aux abus sexuels les plus graves. L’accompagnateur fait l’éloge de l’obéissance aveugle, impose ses goûts en tous les domaines, oblige à un emploi du temps morcelé… La manipulation séductrice conduit à vouloir être aimé, reconnu, admiré, voire adoré.
Pavel Syssoev termine son livre par des questions anthropologiques sur le désir sexuel, le travail des vertus. Il évoque le célibat sacerdotal et les sanctions. Et il s’interroge : « Quelle paternité les chrétiens peuvent-ils exercer vis-à-vis des coupables ? Comment reprendre la vie une fois la peine accomplie ? » (p. 117).
Ce livre peut permettre des réflexions approfondies sur un sujet que l’Église doit porter avec courage et discernement.
+ Hubert Herbreteau

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