Soif d’Amélie Nothomb
Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) du mercredi 13 novembre 2019 : Soif d’Amélie Nothomb.
Une aussi lente genèse pour un livre n’est certainement pas chose banale. Amélie Nothomb avait 2 ans et demi, explique-t-elle, lorsque son père lui a parlé de Jésus pour la première fois. Depuis, l’image de son héros ne l’a plus quittée. Progressivement, une idée lui est venue qui s’est incrustée dans son esprit : celle d’écrire un roman dans lequel elle essaierait d’appréhender au mieux les sentiments de Jésus pendant la journée qui a précédé la crucifixion. Si l’on n’y prenait garde, on pourrait être enclin à critiquer certains propos rapportés. Les réticences disparaissent rapidement si l’on considère qu’il s’agit d’un roman comme il est bien indiqué sur la couverture du livre.
Jésus « vrai Dieu et vrai homme ». Amélie Nothomb va s’attacher essentiellement à cette deuxième réalité. Comment Jésus, qui, par nature, est l’un des nôtres, a-t-il vécu son procès, l’attente avant sa mise à mort puis la crucifixion elle-même ? Quelles ont pu être ses réactions ?
Cet ouvrage est certes une fiction. C’est aussi une incitation pour tout le monde (y compris les non chrétiens), à imaginer les souffrances du Christ, à essayer de comprendre un peu ce qu’il a vécu : « Seul un humain peut souffrir ; seul un vivant peut éprouver la soif », mais encore, « l’instant où l’assoiffé porte à ses lèvres un gobelet d’eau, c’est Dieu ». Ces certitudes et la pensée des souffrances du Christ ont hanté l’esprit de l’auteur pendant de très nombreuses années. Elle nous fait aujourd’hui partager son expérience. Malgré le caractère dramatique des événements, on entre très rapidement dans le vif du sujet : il faut dire
que l’imagination d’Amélie Nothomb se conjugue avec ses connaissances et ses croyances. Quel humour dans le récit des déclarations quelque peu stupéfiantes des témoins à charge ! Jésus les écoute avec surprise et attend le verdict.
Un verdict d’une cruauté inouïe : non seulement, il doit être crucifié mais il doit attendre une journée entière avant son exécution ! Il a peur, d’une peur très concrète qui l’envahit en pensant aux souffrances qui l’attendent…, alors, comme chacun d’entre nous le ferait, il tente la diversion. Il a recours à d’autres pensées plus gaies dont il se délecte. Là, l’imagination de l’auteur se déchaîne. Jésus se revoit aux noces de Cana : « Ma mère dansait, j’ai dansé avec elle… mon ivresse lui disait que je l’aimais. » Il pense aussi à bien d’autres miracles qu’il a accomplis : à l’inverse de ce que pensent ses adversaires, il n’est pas un magicien et la réalisation de ces miracles, bien que personne ne s’en doute, lui a demandé de gros efforts car elle a nécessité l’anéantissement momentané de son esprit. Il pense à tout ce qui a fait sa vie terrestre. Oui, Jésus a peur de la crucifixion, lui qui, comme nous, a aimé la vie et connu des joies proprement humaines. Il évoque le bonheur tout simple que lui procure l’abandon du corps lorsqu’il s’allonge pour dormir. Il parle aussi, en toute simplicité, de sa relation amoureuse avec Marie-Madeleine qu’il l’évoque avec beaucoup de délicatesse et de sensibilité.
« On vient enfin me chercher. » C’est le Chemin de croix. Ici encore, on ne peut qu’admirer l’imagination et l’humour de l’auteur qui écrit : « Les spectateurs sont peu nombreux, mais ils semblent trouver que la distribution est de qualité, le bourreau fouette bien, la victime a de la pudeur. » Jésus marche vers le Golgotha, il rencontre sa mère. Il se dit qu’elle elle n’aurait pas dû être là. « Si seulement tu pouvais t’évanouir. » Simon de Cyrène l’aide à porter sa croix : « il m’aide, cela ne m’est jamais arrivé de ma vie » et la croix, si lourde soit-elle, paraît ensuite un peu moins lourde, comme si Simon avait emporté avec lui une partie de la charge ! Véronique éponge la face de Jésus : « J’ai rencontré l’amitié et j’ai rencontré l’amour », dit-il.
Puis, le moment est venu d’être crucifié. Les souffrances de Jésus sont indicibles et Jésus se pose de multiples questions. « J’ai soif » : c’est ici l’identité véritable de Jésus qui se manifeste et nous invite à méditer le sens de cette parole, à la vivre à notre tour. Mais aussi bien d’autres phrases aussi sur lesquelles notre pensée peut s’arrêter, par exemple : « Mourir, c’est faire acte de présence par excellence. Ce qui disparaît quand on meurt, c’est le temps. Dès que tout a été fini a commencé ma fête. Quand je suis sorti du tombeau, j’ai débuté
la vie éternelle. » Et enfin, ce sont les derniers mots de l’ouvrage : « Ce que je vois dans mon visage, personne ne peut le savoir. Cela s’appelle la solitude. » Un très beau roman à lire, à relire éventuellement, à méditer certainement.