Un jour de pluie à New York de Woody Allen
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 30 octobre 2019 sur le film « Un jour de pluie » de Woody Allen.
Vulnerant omnes ultima non necat (1). Chez Woody Allen la pluie n’est jamais triste, ni même nostalgique. Comme il l’a plusieurs fois expliqué, la pluie nous renvoie à notre intimité en même temps qu’elle crée une communion et une attente. Elle est l’ambiance, le milieu du désir. Il ne faut donc pas voir dans le titre de son dernier film une marque du regret de ses jeunes années, ni même le soupir malheureux d’un réalisateur injustement attaqué de toutes parts (2). Au contraire : retrouvant à 82 ans sa cité bien-aimée, le réalisateur s’y livre à un marivaudage plus profond qu’il n’y paraît, nous menant de l’insatisfaction devant un monde satisfait jusqu’au bonheur des amours imprévues, plus fortes que tout système.
Un week-end amoureux soigneusement planifié entre deux étudiants, le riche et cultivé Gatsby et la provinciale et (apparemment) potiche Ashleigh, va se transformer en deux courses-poursuites parallèles. Elle va passer d’un double à l’autre du réalisateur : le jeune homme nourri d’une culture oubliée, le réalisateur hypocondriaque, le scénariste rattrapé par ses vicissitudes sentimentales et même le jeune premier qui ne joue de son charme que pour s’offrir quelques minutes de jouissance. Lui va retrouver son passé sous toutes ses facettes, au point de devoir décider de l’assumer et de se trouver enfin lui-même. Ces deux égocentriques intelligents vont trouver chacun son avenir, l’un en acceptant ses blessures et l’autre en renonçant au rêve de côtoyer la grande ville qui lui est étrangère.
Parmi les très nombreuses remarques que mériterait ce régal de mise en scène et de dialogues étincelants de vivacité, bornons-nous à signaler d’abord comment le regard du cinéaste, sans épargner aucun de ses personnages, leur donne à tous une consistance étonnante, en se posant sur eux avec une constante bienveillance. Chaque figure secondaire a son importance : ainsi du frère du héros, fiancée à une bobo dont le rire illustre de façon saisissante la stupidité d’une société incapable de chercher et de comprendre l’autre ; de sa mère, qui surgit à la fin comme une sorte d’anti statue du commandeur ; du réalisateur inhumain et si terriblement pathétique. Mention spéciale, aussi, à la performance d’Elle Fanning en provinciale qui, sans avoir toutes les clefs, comprend ceux qui l’entourent et n’hésite pas à trancher : les deux scènes de l’interview devant un mur constellé de graffitis contemporains très tendance et de l’ivresse où elle dévoile toute sa lucidité pourraient figurer dans une anthologie.
Autres scènes inoubliables, celles où figure Selena Gomez, moins à cause de l’actrice que de la morale qu’elles distillent et qui est au fond celle du film : la satisfaction d’un désir ne peut être heureuse que si elle a été différée. Il n’y a assouvissement qu’au terme d’une quête. Du premier baiser pour les besoins d’un tournage à l’ultime et miraculeuse rencontre qui récapitule le temps sous une horloge mécanique, l’inclusion est à la fois claire et géniale dans chacune de ses modalités, en passant par un moment de grâce absolue constitué par le standard de Sinatra fredonné devant la belle par Timothée Chalamet (3).
On a pu dire (4) que le ressort des comédies de Woody Allen consiste dans le caractère inéluctable du bonheur (5). En ce sens, elles apparaissent comme des tragédies grecques inversées : même si le malheur frappe de toute part, que nos médiocrités font des ravages et que l’infortune prévaut, la vie au fond est la plus forte. Épilogue peut-être difficile à recevoir6, mais plus d’actualité que jamais : en dépit de toutes nos imperfections, des échecs et des malheurs, il n’est jamais trop tard pour se réjouir, voire même pour rire de soi et, ultimement, pour rendre grâce d’être qui nous sommes.
Denis Dupont-Fauville