Jean-Louis chrétien, philosophe

Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) sur la figure de Jean-Louis Etienne, philosophe du mercredi 18 septembre 2019.

Jean-louis-chretien-1Le philosophe Jean-Louis Chrétien est mort à Paris, le vendredi 28 juin 2019. C’est un grand nom de la philosophie en France qui disparaît. Né le 24 juillet 1952, converti au catholicisme dans sa jeunesse, il fait une carrière universitaire classique. Après l’École normale supérieure et l’agrégation de philosophie, il passe trois ans à la Fondation Thiers puis enseigne à l’université de Créteil. Il termine ensuite sa carrière comme professeur à la Sorbonne.

C’était un enseignant pédagogue, érudit, et plein d’humour. Dans son premier livre en 1985 Lueur du secret (l’Herne), il étudiait la tradition du Dieu caché, et les rapports de la Révélation et du secret. Le court essai intitulé L’effroi du beau (Cerf, 1987) peut être lu comme une préface de l’œuvre à venir.

Plusieurs livres magnifiques de ce philosophe retiennent l’attention

• Un livre difficile L’Appel et la Réponse (édition de Minuit) pose l’axe de la pensée du philosophe Jean-Louis Chrétien. Écoute et réponse ne peuvent se dissocier, car on ne peut vraiment écouter qu’en répondant. Mais qu’est-ce qu’écouter ? La voix ne porte l’esprit qu’en étant elle-même portée par le corps entier, elle met en oeuvre tous nos sens dans un perpétuel et vif échange. À travers des analyses qui vont d’Aristote à la phénoménologie contemporaine, ce livre comporte une méditation de la beauté comme appel et une description des fonctions du toucher dans notre rapport au monde. « Nous parlons toujours au monde, toujours déjà, toujours encore dans le monde, et l’initiative de la parole vient donc toujours lestée d’un passé, d’une charge aussi de parole qu’elle prend sur elle sans l’avoir constituée. Entre ma voix qui parle et ma voix que j’entends, vibre toute l’épaisseur du monde dont elle tente de dire le sens, ce sens qui l’a saisie, et comme happée, de façon immémoriale » (introduction, p. 9)

• Saint Augustin et les actes de parole (PUF), est un livre qui contient de courts chapitres, commençant tous par un verbe à l’infinitif (écouter, chanter, jubiler, gémir, etc.). Saint Augustin, homme de parole ne médite
pas seulement au sujet des pouvoirs de la voix dans ses écrits sur le langage mais dans l’ensemble de son œuvre. Il ne cesse de considérer comment nous répondons au monde, aux autres et à Dieu. Le premier chapitre est, par exemple, un superbe développement sur le verbe « interroger ».

Nous tirons profit de nos interrogations à condition de nous laisser interroger par ce qui se présente à nous avec curiosité, émerveillement, admiration. L’interrogation suppose la parole entre interlocuteurs, mais aussi le silence. Devant la beauté de la nature nous interrogeons et nous nous interrogeons. Nous nous émerveillons pour les mains qui cultivent, plantent, greffent les boutures. Nous interrogeons en quelque sorte la force vitale de chaque racine et de chaque germe.

Interroger conduit à s’interroger, ou comme dit saint Augustin à interroger son coeur. Dans son admirable commentaire de la Première Épitre de saint Jean, saint Augustin invite au discernement : « Que chacun interroge son cœur : s’il aime son frère, l’Esprit de Dieu demeure en lui. Qu’il s’examine, qu’il s’éprouve lui-même sous le regard de Dieu ; qu’il voie s’il a en lui l’amour de la paix et de l’unité, l’amour de l’Église répandue sur toute la terre » (In Primum Iohannis Épist. VI, 10).

• Un autre livre La Joie spacieuse (Minuit), montre l’immense culture de Jean-Louis Chrétien. Il puise dans la littérature (Henri Michaux, Claudel, Whitman), la mystique (Thérèse d’Avila), l’Écriture (psaume 118) et dans la pensée des Pères de l’Église (Saint Augustin et saint Grégoire le Grand). Cet ouvrage est un « essai sur la dilatation ». Non pas dilatation au sens physique (dilatation d’un métal, des pupilles, des narines), mais dilatation du coeur, terme central de l’anthropologie biblique : « Cette dilatation est une croissance, un élargissement, une amplification de nous-mêmes, et c’est donc un mot lié à la joie, une joie qui rend plus large, plus vivant, plus fort » (p. 10).

Ces trois livres ne livrent pas toute la pensée de Jean-Louis Chrétien mais sont une bonne introduction à l’anthropologie chrétienne. On devine à la lecture combien ce philosophe est un passionné de saint-Augustin et des Pères de l’Église, mais aussi de la littérature classique et contemporaine. En Juillet 2003, Jean-Louis Chrétien avait écrit dans La Croix un très joli texte sur la responsabilité dont voici un extrait :
« Répondre de soi-même, c’est faire que notre vie soit une histoire, riche de sens et continue, et non pas une série amnésique d’épisodes sans lien. Celui-là seul qui assume son passé peut ouvrir un avenir neuf. C’est aussi accepter notre appartenance au monde réel, où nos actes entraînent des conséquences bonnes ou mauvaises qui ne sont jamais exactement celles que nous avions escomptées. Tout comme le menteur attend des autres qu’ils lui disent la vérité, l’homme qui refuse de prendre ses responsabilités attend des autres qu’ils prennent les leurs et paient à sa place le prix de sa conduite. »

Ces quelques réflexions sur la responsabilité expriment parfaitement ce que fut l’œuvre de Jean-Louis Chrétien : une œuvre courageuse qui enrichit le lecteur, une œuvre qui demande de prendre le temps de lire et conduit à approfondir la vie intérieure.

Hubert Herbreteau