Correspondance Maritain, Mauriac, Claudel, Bernanos

Correspondance Maritain, Mauriac, Claudel, Bernanos, un catholique n’a pas d’alliés, présentée par Henri Quantin et Michel Bressolette – Éditions du Cerf, 2018.

CorrespondanceCette correspondance entre quatre écrivains du XXe siècle doit être saluée tant elle est touchante (ce sont des lettres où se mêlent propos d’affaires et sentiments !). Elle est remarquable aussi parce qu’elle est riche d’enseignements sur les circonstances des écrits de chacun d’eux (condamnation de l’Action française, guerre d’Espagne, montée de l’antisémitisme). Ce sont quatre témoins d’événements parfois douloureux qui ont marqué profondément les mentalités au cours de l’histoire.

Le mot « correspondance » est fort bien explicité par Henri Quantin dès les premières pages : cette correspondance n’est pas une correspondance d’idées et de goûts. Les relations ont été parfois tendues surtout entre Maritain et Claudel, entre Maritain et Bernanos. « Pas d’échange entre alliés dans ces lettres et c’est heureux. Des éloges et des reproches, des aveux émus et des cris d’indignation, des questions délicates et des informations confidentielles, des espoirs trahis et des colères injustes, mais pas d’élaboration de stratégies consensuelles au service d’une ligne officielle face à un ennemi commun » (Henri Quantin, p. 14). Bref, une correspondance épistolaire sans « correspondance d’idées et de goûts ».

Il ne faut pas se méprendre non plus sur le sous-titre, tronqué, de cette correspondance. Avec un merveilleux jugement, il faut attribuer à Claudel cette belle affirmation : « Un catholique n’a pas d’alliés, il ne peut avoir que des frères. » C’est bien autre chose que ce que pourrait laisser entendre ce sous-titre. C’est évident aussi, que dans cette correspondance, Maritain joue un rôle important. Il est à la fois à l’écoute attentive des uns et des autres (influence sans doute de Raïssa son épouse), et un éditeur vigilant et plein d’acuité. Il est aussi garant de rigueur intellectuelle. Il tenta même d’être guide spirituel.

Entre Maritain et Mauriac, une belle amitié

La première partie de cette correspondance est consacrée aux échanges entre Maritain et Mauriac, deux hommes de même génération mais appartenant à des milieux sociaux bien différents. Maritain est un converti, Mauriac fait partie de la bourgeoise catholique, attachée à la propriété de la terre. Maritain est philosophe thomiste et Mauriac, romancier et journaliste, éprouve une profonde allergie au thomisme. Tout semble les séparer et pourtant… Michel Bressolette donne un aperçu de ce qu’on lira ensuite : « L’amitié avec François Mauriac, inaugurée par un débat intellectuel, va, durant plus de quarante ans, se poursuivre et s’approfondir en une étroite communion spirituelle, comme le montre la correspondance, en partie inédite, que nous publions » (p. 29). Cette correspondance témoigne, de manière répétée, de l’estime et de l’admiration que chacun porte à l’autre. Mauriac salue, par exemple, la parution de Le Paysan de la Garonne. Il voit dans cet ouvrage ce qu’il ressent profondément à propos de l’Église menacée d’un éclatement intérieur. Après plus de quarante ans de débats, de fidélités, d’engagements, de combats communs, l’amitié entre les deux écrivains se transforme en communion.

Entre Maritain et Claudel : dissensions puis réconciliation

Nous ne possédons que 29 lettres échangées entre le philosophe et le poète. Elles révèlent deux sujets de conflits entre les deux hommes : le maurrassisme et la guerre d’Espagne. Certes, dans une lettre du 9 août 1927, Claudel a bien remercié Maritain pour son livre Primauté du spirituel dans lequel il voit non seulement une réponse à Maurras et une rupture avec le mouvement d’Action française, mais aussi une belle réflexion sur la conception chrétienne de la politique et de la culture. Mais Claudel reproche à Maritain la sympathie qu’il éprouve envers Maurras.

L’autre divergence concerne la guerre d’Espagne, après le bombardement de Guernica, le 26 avril 1937. Maritain avait pris l’initiative de rédiger le manifeste « Pour le peuple basque » signé par de nombreuses personnalités dont Mauriac. Ce qui fait monter la colère de Claudel : « Depuis longtemps, le doux Maritain me galope sur le système. (…) Voilà où conduit le snobisme, le goût de la réclame, le mauvais français et les sympathies surréalistes » (Lettre de Claudel à Françoise de Marcilly). Claudel estime avant tout que l’Église en Espagne est persécutée par des anarchistes. De plus le poète n’accepte pas qu’un philosophe ait pu parler de la poésie et, de surcroît de la poésie surréaliste (André Breton, etc.). En fait il s’agit de l’incompatibilité de deux tempéraments. « En Claudel, l’enthousiasme, l’outrance, l’humeur, la flamme, et la force du génie ; en Maritain, l’ardeur spirituelle, la lucidité, la nuance, la lumière et la douceur » (Michel Bressolette, p. 199).

Entre Maritain et Bernanos : réflexion sur les abîmes du mal

Passionnante est l’analyse proposée par Henri Quantin au sujet des relations épistolaires entre Maritain et Bernanos ! Il faut dégager trois grands moments dans cette activité épistolaire : la publication de Sous le Soleil de Satan ; la relation à l’Action française et à Maurras ; la question de l’antisémitisme depuis la Grande peur des bien-pensants jusqu’en 1939. Sous le Soleil de Satan fut édité chez Plon dans la collection Le Roseau d’or dirigée par Maritain. Les lettres échangées entre Bernanos et Maritain concernent les retouches apportées à ce roman. Plus qu’une affaire de techniques narratives, c’est l’exploration des abîmes du mal qui touche le lecteur. Bernanos déclare : « On écrit toujours un livre pour certaines âmes qu’on aime, à leur intention ; j’ai écrit le mien pour celles qui cherchent encore Dieu, et que la faveur dévote rebute. Il ne faut pas que le sang de la croix nous fasse mal au cœur » (lettre du 13 février 1926).

Il est faux de dire que Maritain, le philosophe thomiste, aurait exigé de profondes corrections au manuscrit de Bernanos, amputant ainsi un chef d’oeuvre de la littérature française. Ces corrections ne dépassent pas
une dizaine et portent sur quelques mots seulement. Il faut plutôt souligner l’audace de Maritain publiant un livre austère et pouvant provoquer quelques remous dans le monde catholique. Sous le Soleil de Satan pouvait choquer au sujet d’un prêtre aux prises avec le diable et d’une histoire sensuelle avec Mouchette.

Le rôle de censeur rigide attribué à Maritain est sans fondement. Certes la correspondance montre de profondes divergences entre les deux hommes, mais Bernanos verra en Maritain tantôt une sérénité qu’il n’a pas lui-même, tantôt une sérénité « signe d’une âme de paroissien installé, de sacristain sans tiraillement » (H. Quantin). Les écrits de ces quatre personnalités du XXe siècle révèlent quatre visages de chrétiens qui cherchent la vérité. La présentation qu’en ont fait Henri Quantin et Michel Bressolette est une analyse subtile et riche.

Hubert Herbreteau