L’urgence climatique : Le point de la situation après la COP 24 de décembre 2018
Fiche de l’Observatoire Foi et Culture (OFC) du mercredi 8 mai 2019 sur « l’urgence climatique, le point sur la situation après la COP 24 de décembre 2018 ».
L’Accord de Paris ratifié par la quasi-totalité des pays de la planète (1)
Le samedi 12 décembre 2015, un accord historique, l’Accord de Paris, a été obtenu et adopté par 195 pays sur la lutte internationale contre le changement climatique. Il a été officiellement signé à l’ONU le 22 avril 2016 et il est entré en vigueur le 4 novembre 2016 après la ratification par 110 États. Il embrasse à la fois l’atténuation, l’adaptation et la résilience ainsi que les aspects financiers. Il adopte comme objectif une augmentation de température inférieure à 2° C par rapport à la période préindustrielle en poursuivant les efforts nécessaires pour ne pas dépasser 1,5° C. Il se donne comme objectifs d’aider y compris financièrement les pays en développement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre ainsi qu’à s’adapter et à accroître leur résilience aux évolutions du climat. Si l’Accord de Paris obtenu à la fin de la COP 21 est un succès historique, le climat n’est pas sauvé pour autant. Compte-tenu des engagements des États en 2016, l’objectif de limiter à 2° C le relèvement des températures ne sera pas atteint, encore moins 1,5° C, la trajectoire actuelle tend plutôt vers 3° C.
Le rapport du GIEC (2) d’octobre 2018
Inscrit dans les décisions prises dans le cadre de la COP 21, le rapport spécial du GIEC sur le réchauffement planétaire de 1,5° C était très attendu avant le rendez-vous de décembre 2018 des chefs d’État pour la COP 24 à Katowice en Pologne. Ce document publié le 8 octobre 2018 est d’une grande importance car il permet de savoir scientifiquement où nous en sommes et comment orienter les différents pays vers l’objectif de stabiliser la hausse des températures à 1,5° C.
Dans ce rapport les membres du GIEC alertent une nouvelle fois sur l’urgence climatique. Après avoir analysé plus de 6 000 publications scientifiques, ils estiment que la température moyenne à la surface de la planète a augmenté d’environ 1° C au-dessus des niveaux préindustriels, c’est-à-dire depuis 1850. Ils ont maintenant établi la certitude que cette élévation provient des rejets de gaz à effet de serre imputables aux activités humaines. En raison de l’inertie du système climatique, si l’humanité parvenait à stopper complètement ses émissions dans les prochaines années, la température continuerait à s’élever jusqu’à 1,5° C d’ici 2050, mais se stabiliserait vraisemblablement ensuite.
Les altérations déjà observées dans les systèmes naturels durant les cinquante dernières années permettent d’affirmer que des changements importants vont se produire avec 0,5° C d’augmentation supplémentaire. Ces changements seront beaucoup plus graves pour les populations les plus vulnérables et pour la biodiversité si l’élévation de la température moyenne dépasse 1,5° C et atteint 2° C. La différence sera sensible sur la plupart des risques :
– Le nombre de jours où la température est extrêmement élevée aux latitudes intermédiaires ;
– La fréquence et la violence des phénomènes météorologiques extrêmes (précipitations ou sécheresses) ainsi que l’étendue des territoires concernés par ces catastrophes ;
– La propagation des maladies à vecteurs et le rendement des cultures céréalières (entre + 1,5° et
+ 2° C, la fraction de la population exposée au stress hydrique augmente de 50 %) ;
– Les pertes en biodiversité (le nombre d’espèces menacées double entre + 1,5° et + 2° C) ;
– L’acidification des océans, avec ses conséquences sur les pertes en écosystèmes marins et côtiers (les pertes en produits de la pêche et aquaculture doublent également entre + 1,5° et + 2° C) ;
– L’élévation du niveau des mers : une élévation plus lente laisse de meilleures possibilités d’adaptation, pour la gestion et la restauration des écosystèmes côtiers naturels ou pour le renforcement des infrastructures ; elle retarde la fonte des calottes glaciaires de l’Antarctique et du Groenland.
Le rapport mentionne plusieurs trajectoires possibles pour éviter que l’augmentation de température dépasse 1,5° C. S’agissant du CO2, il souligne la nécessité de réduire fortement les émissions liées aux combustibles fossiles, charbon, pétrole et gaz, par une moindre consommation d’énergie, le passage à des énergies peu carbonées ou le captage du CO2. Pour les autres gaz, l’action concerne l’agriculture et la sylviculture ainsi que le traitement des déchets et certains processus industriels. La présentation de ces scénarios souligne le rôle des zones urbaines et des infrastructures collectives, et tout particulièrement l’importance de réduire la consommation de combustibles fossiles pour les bâtiments et les transports. Au total les auteurs du rapport pointent l’urgence à agir et la nécessaire transition sans précédent vers des
sociétés décarbonées.
Une mobilisation forte de l’Église
On se souvient combien l’encyclique du pape François « Laudato si », publiée six mois avant la COP 21 de décembre 2015 à Paris a eu un retentissement mondial et a certainement influencé la mobilisation des chefs d’État autour des enjeux du changement de climat. Le pape François est ensuite intervenu avant chaque réunion annuelle des chefs d’Etat sur le climat : avant la COP 22 à Marrakech à tous les chefs d’États : « Je souhaite que tout ce processus soit guidé par la conscience de notre responsabilité pour la protection de la maison commune » de même avant la COP 23 à Bonn présidée par les Iles Fidji : « Nous devrons éviter de tomber dans ces quatre attitudes perverses, qui n’aident certainement pas la recherche honnête et le dialogue sincère et fructueux sur la construction de l’avenir de notre planète : la négation, l’indifférence, la résignation et la confiance en des solutions inadaptées » puis s’adressant aux participants à la Conférence « je souhaite que … les travaux de ces jours soient animés du même esprit de collaboration et de proposition manifesté durant la COP 21 ; ceci permettra d’accélérer la prise de conscience et de consolider la volonté d’adopter des décisions réellement efficaces pour lutter contre le phénomène des changements climatiques et, dans ce contexte, combattre la pauvreté ainsi que promouvoir un véritable développement humain et intégral. »
À quelques semaines de la COP 24, une déclaration conjointe signée par six archevêques, responsables des groupements continentaux des conférences épiscopales, a été publiée le 26 octobre 2018 à propos de la justice climatique. Elle a été rédigée en collaboration avec le réseau Caritas Internationalis et d’autres organisations catholiques engagées pour le climat. Elle lance un appel à « prendre des mesures ambitieuses et immédiates pour combattre et surmonter les effets dévastateurs de la crise climatique ». « Nous devons être prêts à procéder à des changements rapides et radicaux et à résister à la tentation de rechercher à court terme des solutions purement technologiques à notre situation actuelle, sans traiter les causes profondes et les conséquences à long terme », écrivent-ils. « Nous avons besoin d’un changement d’orientation profond et urgent sur le changement climatique. Nous devons assister à une transformation, lors des négociations sur le climat, à Katowice. Nous pouvons sauver la planète et les personnes les plus exposées aux effets des conditions météorologiques extrêmes mais nous avons besoin d’une volonté politique pour que cela devienne réalité », a déclaré Michel Roy, secrétaire général de Caritas Internationalis. Les archevêques signataires demandent « des politiques qui incluent et reconnaissent » plusieurs éléments. Il faut d’abord limiter la hausse des températures à 1,5° C : une « transition écologique juste et équitable est une question de vie ou de mort pour les pays vulnérables et les personnes vivant dans les zones côtières », est-il rappelé. Oser « un changement profond et durable vers des modes de vie durables », ce qui exige « des choix politiques audacieux ». Écouter, protéger et préserver « les traditions et les connaissances spécifiques des communautés autochtones ». Les résultats de la COP 24 du 2 au 14 décembre 2018 à Katowice (Pologne) ne reflètent pas l’urgence de la lutte contre le changement climatique. La COP 24 s’est tenue en Pologne, dans la ville de Katowice, capitale de la Silésie, région vivant essentiellement de la ressource charbonnière et lieu hautement symbolique d’une transition qui ne sera fera pas sans résistance ni sans douleur.
La COP 24 comportait trois enjeux : la finalisation des règles d’application de l’Accord de Paris permettant sa mise en œuvre intégrale et immédiate, la mobilisation de financements soutenant l’action climatique,
l’appel à la révision à la hausse de l’ambition des contributions déterminées au niveau national d’ici 2020, grâce aux résultats du dialogue de Talanoa : cette révision est nécessaire pour stopper la hausse des
températures à + 1,5° C, comme l’a rappelé le dernier rapport du GIEC.
La COP 24 a atteint son premier objectif : il existe dorénavant un ensemble de règles précises constituant un langage commun pour décrypter les engagements et les réalisations de tous les États. Côté financement aussi, les tendances sont bonnes. Le point noir demeure le manque d’ambition de la plupart des dirigeants politiques de la planète. La trajectoire de réduction des émissions de gaz à effet de serre n’est donc pas la bonne : les engagements pris par les Etats signataires de l’Accord de Paris nous conduisent à dépasser 3° C, loin des 1,5° C. D’un côté se trouvaient les pays publiquement réticents à agir : Arabie Saoudite, États Unis, Koweit, Russie… Ceux-là ont continué à faire une promotion ouverte des énergies fossiles ; ils refusent les changements massifs qu’impliquerait une réduction majeure des émissions. Par leur poids politique, ces pays envoient un signal très négatif. De l’autre côté on a constaté un réel déficit de leadership au sein des États soucieux d’accélérer la lutte contre le changement climatique ; même les plus puissants, Chine et Inde en tête, ont semblé prendre prétexte de l’inaction des pays du premier groupe pour refuser de s’engager plus avant.
L’Union Européenne, qui a joué longtemps un rôle moteur au plan mondial, se montrant une de régions du globe les plus volontaristes, peine désormais à relever ses ambitions ; elle est restée effacée à Katowice. Les divisions des Européens face à un rehaussement des engagements sont apparues au grand jour. L’Allemagne fait partie de ceux qui renâclent le plus visiblement, effrayée par les difficultés domestiques qu’elle rencontre déjà pour atteindre son objectif 2020. La Pologne considère le charbon national comme vital pour sa sécurité d’approvisionnement et repousse de plusieurs décennies toute perspective d’abandonner la houille dans son sous-sol. Même la France, qui voulait être la bonne élève, s’est heurtée à un principe de réalité que lui ont rappelé les « gilets jaunes », la privant de toute possibilité d’influence internationale. Ces contraintes ont facilité le ralliement à un mot d’ordre : la transition écologique devra être « juste », c’est-à-dire mettre tout le monde à contribution, de manière équitable. La « Déclaration de Silésie », adoptée à la COP 24 par les pays conscients de ce besoin de justice, formalise cette attente.
Quelques raisons d’espérer ?
Plusieurs exemples montrent que progressivement à tous les niveaux, une très large prise de conscience de l’importance et de l’urgence de la situation liée au climat, et de la nécessité de se mobiliser pour
respecter l’Accord de Paris pour le bien de « la maison commune » conduit à des engagements concrets.
Premier exemple, le 24 février 2019 Les Chefs d’État et de gouvernement des pays du Sahel ont tenu un sommet à Niamey au Niger pour valider un « Plan d’investissement climatique » de 400 milliards de dollars sur douze ans. Ce plan élaboré pour la période 2018-2030 concerne 17 États de la Bande sahélienne, allant de l’océan Atlantique à la Corne de l’Afrique. Il est « très ambitieux », selon le communiqué du ministère nigérien. Il est « la traduction des engagements de nos États à travers l’Accord de Paris sur le réchauffement climatique », a déclaré le ministre nigérien de l’Environnement, Almoustapha Garba, lors d’une conférence de presse. L’investissement est estimé à « un peu moins de 400 milliards de dollars. Un programme prioritaire est axé sur six projets visant diverses actions sur le terrain pour limiter les émissions des gaz à effet de serre et pour permettre aux populations de s’adapter aux changements climatiques », a-t-il expliqué. En raison du dérèglement climatique, certains pays pourraient voir le rendement de l’agriculture pluviale chuter de 50 % d’ici 2020 alors que la superficie des terres arides et semi-arides pourrait augmenter de 5 à 8 % d’ici 2080.
Deuxième exemple, sous la pression du Parlement européen et de plusieurs pays dont la France, l’Europe est en train de se ressaisir et pourrait reprendre le leadership pour une application ambitieuse de l’Accord de Paris. Un signe parmi d’autres, celui des normes d’émission de CO2 des véhicules neufs votées par le Parlement européen fin mars 2019. Alors que les véhicules mis en circulation en Europe en 2017 émettaient en moyenne 118,5 g CO2/km, il est demandé à chaque constructeur sous peine de lourdes pénalités de ne pas dépasser les normes de 95 g CO2/km en 2021, de 80 g CO2/km en 2025, de 59 g CO2/km en 2030 en moyenne pour les véhicules qu’il produit ; cela implique un développement massif des véhicules à faible émission et notamment des véhicules électriques et une transformation globale du secteur de la construction automobile.
Dans le domaine du transport comme dans celui du bâtiment, des changements de modes de consommation sont nécessaires et nécessitent une réorientation des choix d’investissement en utilisant des outils d’incitation forte comme celui de la taxe carbone. Mais, le secteur social ne doit pas être oublié pour accompagner les populations qui auront du mal à prendre en charge les coûts correspondants et de façon plus générale à prendre le tournant du changement de modes de vie dans un délai très court.
Jean-Pierre Chaussade, membre de l’OFC
Michel Cruciani, CGEMP – Université Paris-Dauphine, conseiller Climat et Energie