René Remond, biographie

Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) du mercredi 23 janvier 2019 sur René Remond, biographie.

Reé remondLa biographie de René Rémond faite par Charles Mercier est passionnante à plus d’un titre. Dans son introduction, l’auteur montre tout d’abord en quoi consiste une biographie historique. Prenant appui sur Michel de Certeau (L’Écriture de l’histoire), il fait le constat suivant : l’approche biographique apparaît soustendue par « deux dynamiques antagonistes et complémentaires : l’ancrage des morts dans le passé et, en même temps, leur réintroduction dans le présent. Concernant René Rémond, la communauté des historiens, peut-être parce qu’il s’agissait de l’un des siens, s’est vite arrêté à ce double travail » (p. 17). Il n’est pas facile de faire la biographie de René Rémond. D’une part les archives le concernant sont volumineuses en raison de l’extraordinaire variété de ses engagements et d’autre part l’exercice consiste surtout à prendre la responsabilité de dire le sens d’une vie.

Le genre littéraire biographie a connu, de la part des historiens, un long discrédit que René Rémond lui-même a contribué à dissiper. Dans un livre où il est interviewé par Aimé Savard, il déclare : « Bien que ce ne soit pas ma spécialité, j’ai dirigé des recherches et des thèses sur des biographies et je me suis rendu compte, expérimentalement, qu’entrer dans la compréhension d’une personne à une portée qui dépasse de beaucoup son existence. On peut restituer le cheminement d’une collectivité, d’une société, d’une famille de pensée à travers l’étude d’une vie » (Aimé Savard interroge René Rémond, p.11).

Dans toute biographie, le biographe sélectionne les événements de chaque période de la vie du personnage en fonction de ce qu’il sait du reste de l’itinéraire. Charles Mercier propose à ses lecteurs un récit ordonné des faits saillants de l’existence de René Rémond. Il s’arrête sur des fragments de son itinéraire. Il veut restituer le sens d’une existence fascinante à bien des égards. Pour ma part, j’ai aimé les quelques pages qui montrent comment René Rémond a découvert l’engagement militant chrétien grâce à la Jeunesse Étudiante Chrétienne (JEC) dont il fut le secrétaire général en 1946, avant d’être nommé vice-président général de l’Association Catholique de la Jeunesse Française (ACJF). C’est là une expérience fondatrice qui donnera sens à tout son itinéraire de vie. Il découvre le travail en équipe, la méthode du « voir, juger, agir », l’importance des institutions dans lesquelles l’individu doit insérer son action s’il ne veut pas qu’elle soit vaine. Cette expérience va aussi l’éclairer pour sa réflexion d’historien.

Un autre chapitre passionnant est consacré à la crise de mai 68. René Rémond est alors, depuis 1965, maître de conférences à la faculté des lettres de Nanterre. Il y entre en même temps que Paul Ricoeur et le sociologue Alain Touraine. Pour refonder l’université, il fait preuve, selon Charles Mercier, d’une capacité à mener les débats et à faire émerger un consensus. On peut attribuer ce savoir-faire à son expérience vécue dans les organisations catholiques.

Dans la période d’après 68, René Rémond effectue une belle ascension dans les responsabilités universitaires à la faculté des lettres de Nanterre, puis à Paris X Nanterre. Il devient premier assesseur du doyen Paul Ricoeur. Les deux hommes sont unis par une commune référence au christianisme. Mais, en 1970, ils doivent faire face aux affrontements violents au sein de la faculté. Ricoeur donne alors sa démission. Rémond lui succède comme doyen. Devenu président de Nanterre, il élabore une méthode de gouvernement caractérisée par la construction d’une présidence forte, le développement de la collégialité et l’organisation de la délibération.

Il reviendra plus tard sur cette expérience de président de Nanterre en disant : « Les circonstances qui m’ont porté à la tête d’une grande université et conduit à exercer une responsabilité à laquelle la situation politique conférait une portée singulière m’ont révélé à moi-même certaines capacités d’administrateur et des aptitudes à diriger une collectivité que je ne soupçonnais pas. »

Charles Mercier, expose dans le chapitre VII l’engagement de René Rémond dans le Centre Catholique des Intellectuels Français (CCIF). Intégré dans l’équipe animatrice en 1964, René Rémond en devient le président en 1965. Il restera à la tête de cette organisation jusqu’en 1976. Charles Mercier montre le débat qui apparut en 1968 : le CCIF « doit-il chercher à être la pointe avancée de la pensée catholique ou viser à constituer un point de ralliement et d’unité pour les différentes tendances du catholicisme » (p. 201). René Rémond optera pour la neutralité. Selon lui, l’originalité du CCIF est de permettre l’échange, la confrontation et le rassemblement.

Le CCIF va connaître une crise et vivre le déclin. Cela s’explique peut-être par le fait que René Rémond ne pouvait pas assumer deux responsabilités importantes : président de l’université de Nanterre et président du CCIF. Mais surtout, cela est révélateur de l’effondrement des intellectuels catholiques, dont René Rémond apparaît comme l’un des rares rescapés. Une autre partie de la biographie consacrée à René Rémond met l’accent sur son rôle dans les médias. Il est devenu le spécialiste auquel la radio et la télévision font appel pour commenter parfois des événements politiques, et en particulier les élections. Il contribue à sa manière à la coopération entre historiens et journalistes. Il considère que son métier consiste à produire de la connaissance en histoire, à la diffuser très largement et à s’en servir pour agir dans le présent.

Les derniers chapitres du livre de Charles Mercier nous éclairent beaucoup sur la personnalité de René Rémond. En tant que président de la Fondation Nationale des Sciences Politiques (FNSP), de juin 1981 à janvier 2007, René Rémond fait preuve de sagesse, d’ouverture, d’accompagnateur de réformes. Alain Touraine, cité par Charles Mercier, le décrit comme quelqu’un « d’une extrême honnêteté d’esprit, aussi bien à l’égard des individus que des faits historiques. (…) Il est à la fois l’homme de l’institution et l’homme de la liberté de pensée » (p. 328-329).

C’est aussi en raison de sa sagesse d’historien que René Rémond est demandé, dans les années 1990-2000, pour clarifier des questions sensibles : l’affaire Touvier, la déportation des juifs de France, l’application du principe de laïcité dans la République après l’affaire du foulard de trois collégiennes musulmanes en 1989, la question des signes religieux à l’école.

La biographie proposée par Charles Mercier décrit l’évolution d’un intellectuel catholique engagé dans d’importantes responsabilités et inquiet, au soir de sa vie, devant un courant d’antichristianisme.

Hubert Herbreteau