Mahaut & Johannes Hermann : La Vie oubliée. Crise d’extinction : agir avant que tout s’effondre
Fiche de l’Observatoire Foi et culture (n°40) du mercredi 12 décembre 2018 sur l’ouvrage « La Vie oubliée, crise d’extinction : agir avant tout s’effondre » de Mahaut & Johannes Hermann.
On aurait tort de ne voir dans le petit ouvrage de Mahaut et Johannes Herrmann (1) qu’un énième opus de circonstance écologiste et chrétien dans le sillage de l’encyclique Laudato Si’ du pape François. Quand bien même il s’inscrit dans ce sillage, les auteurs nous font craindre que celui-ci ne se soit déjà refermé dans l’indifférence générale – ce qu’ils appellent crûment « la retombée du soufflé de l’encyclique »… Certes, l’ouvrage a, comme d’autres, ses volets didactique, historico-politique, théologique et pratique, mais on ne saurait rester sourd au ton singulier qu’il offre. Peut-être est-ce l’écho assourdi de ces multiples chants d’oiseaux condamnés, que le membre actif de la LPO parvient à faire entendre entre les lignes, avant leur extinction, entre mille autres signes de cette « vie oubliée » que l’homme piétine, étouffe, empoisonne, extermine sans même s’en apercevoir. Il faut lire le premier chapitre déchirant, « La vie disparaît », pour se sentir interpellé comme un frère humain vivant, menacé au même titre que les batraciens, chauves-souris et autres insectes volants, par cet « effondrement de la biodiversité sans précédent » ; d’autant que le constat est clinique, monotone, devenu presque banal, pourrait-on dire, n’étaient les bouffées de mélancolie que lèvent « à notre porte » et « sous nos yeux », les observations comparées d’il y a seulement vingt ou dix ans !
L’ouvrage ne se contente pas de rappeler les aspects alarmants ni les causes humaines de la crise écologique générale dont nous sommes tous conscients : il suggère que la plupart des gens restent sceptiques ou incrédules devant la réalité concrète de ces phénomènes. De fait, il est à peine ici question du réchauffement climatique ; l’enjeu y est d’abord la menace pesant partout sur la « biodiversité fonctionnelle », grâce à laquelle, comme le martèle le pape François, « tout est lié ». Trop souvent oubliées, la richesse et l’interdépendance des écosystèmes sont à la fois une nécessité vitale absolue, y compris pour l’homme – qui ne saurait leur substituer d’alternative artificielle sérieuse – mais aussi une source d’émerveillement où, selon le Catéchisme de l’Église catholique, « les différentes créatures reflètent, chacune à sa façon, un rayon de la sagesse et de la bonté infinies de Dieu ». Cette source, largement méconnue, semble n’avoir plus rien d’évident pour nous, car nous avons perdu contact avec la nature sauvage. L’homme se veut seul avec lui-même : « Notre monde se croit sans nature comme le monde de l’athée est sans Dieu. » C’est par là que les auteurs, à la suite de Laudato Si’, nous appellent à la conversion écologique, à un changement de regard, qui passe autant par un renouvellement de la spiritualité ou de la charité que par une adhésion rationnelle, utilitaire, à la « pensée systémique ».
L’ouvrage convoque, à titre de glorieux précurseurs, sainte Hildegarde de Bingen, saint François d’Assise ou saint Bonaventure, mais surtout cite longuement les trois derniers papes, estampillés « papes verts » : se trouve ici mis en valeur par maints détails leur enseignement, admirable de continuité, qui intègre avec toujours plus de radicalité le souci de la nature à la doctrine sociale de l’Église. De la « conscience écologique », révélatrice pour Jean-Paul II de la « crise morale de l’homme », à « l’écologie intégrale » de François, en passant par la sauvegarde de la Création comme « espace de l’alliance » chez Benoît XVI, se déploie une véritable théologie de la Création, qui fait justice de « l’anthropocentrisme déviant » par lequel l’homme, créé pour être l’intendant prudent de la terre que Dieu lui a confiée, s’est mué en tyran de la planète et pilleur de ses ressources jusqu’à l’absurde. « Il est temps aujourd’hui de descendre l’homme de ce funeste trône pour le replacer au centre du jardin. » C’est dire si le propos n’est pas ici celui d’un progressisme teinté de vague religiosité, mais d’un ressourcement théologique profond (2).
Mais – et ce n’est pas le moindre intérêt du livre – les auteurs ne cachent pas leurs doutes sur la traduction des bonnes intentions en actes, en particulier chez les catholiques français. « Protéger la biodiversité est-il le devoir d’un catholique ? » Deux exemples illustrent leur inquiétude. Le premier a trait à la méfiance longtemps entretenue par l’épiscopat envers la « mauvaise conscience » écologiste, qui tendrait à rabaisser l’homme au sein de la nature ou à prôner bientôt un « naturalisme planétaire », sinon un panthéisme (illustré notamment par la figure néo-païenne de « Gaïa » chez James Lovelock), même si la tendance s’est inversée depuis 2010 et la création du groupe de travail « Écologie et environnement » de la Conférence
des évêques (3). Le second exemple n’est autre que le malentendu persistant autour de l’écologie politique, que s’approprierait une gauche il est vrai fourvoyée dans des combats sociétaux qui ont peu à y voir, et snobée par une majorité de catholiques ancrés à droite. Les chiffres des derniers sondages ou de la dernière élection présidentielle traduiraient ainsi l’immobilisme politique des cathos, et les réticences profondes de certains d’entre eux à remettre en question les « dogmes » du capitalisme ou du progrès technologique, pourtant les premiers impliqués dans la dévastation en cours. Les Herrmann vont même jusqu’à regretter que la sauvegarde de la biodiversité n’attire pas dans la rue les mêmes foules ferventes que le combat contre le mariage pour tous. Ou encore : « Soyons pro-vie, soyons écologistes ! » Trait d’humour canonique, mais aussi réversible, semblent-ils suggérer, s’il est vrai que dans ces domaines la récupération n’est jamais loin. La « vie oubliée » ne saurait se fragmenter en victimisations ou en causes étrangères les unes aux autres. Seule une vision évangélique universelle peut nous aider à éviter ce piège : « C’est un même regard d’amour qui commande le soin aux frères et le soin aux autres créatures. »
Fabien Vasseur
(1) Pseudonymes de Marie et Cyrille Frey, qui ont co-écrit ce livre en couple. Marie est journaliste spécialisée dans l’écologie et collabore à l’hebdomadaire La Vie et à la revue Limite. Cyrille est ornithologue et travaille pour le réseau LPO (Ligue de protection des oiseaux).
(2) Les auteurs disent d’ailleurs s’inspirer en partie de la pensée du théologien Fabien Revol et de sa théorie de la « création continuée ».
(3) Plusieurs fois les auteurs rendent hommage à celui qui fut son président, l’évêque de Troyes, Mgr Marc Stenger