Rim Banna, la palestinienne chrétienne de Nazareth
Fiche de l’Observatoire Foi et culture (OFC) du mercredi 27 juin 2018 sur Rim Banna, la palestinienne chrétienne de Nazareth.
La revue Terre Sainte de mai-juin 2018 informe que la chanteuse arabe Rim Banna, peu connue en France, est décédée le 24 mars dernier à l’âge de 51 ans. C’est une artiste engagée qui a fait réfléchir sur la triste actualité du Moyen Orient et qui a milité pour la sauvegarde de l’identité culturelle du peuple palestinien. On trouve difficilement ses albums mais il suffit d’aller sur You Tube pour découvrir sa voix douce et attachante.
Née en 1966, fille de la poétesse palestinienne Zouhaira Sabbagh, Rim Banna a passé son enfance et sa jeunesse à Nazareth. Elle s’est formée ensuite au Conservatoire Supérieur de Musique de Moscou. Depuis son enfance, elle aimait le chant et la musique. À l’âge de dix ans, Rim Banna a commencé dans le monde artistique à travers sa participation à des fêtes de l’école, aux cérémonies nationales et politiques. Elle s’est révélée la première fois dans les années 1990 après la sortie d’un album de chansons traditionnelles palestiniennes pour enfants. Elle réarrangeait ses chansons, aidée par son mari, Leonid Alexeienko, compositeur ukrainien.
Dans les années 2000 Rim Banna est saluée pour ses interprétations fortement émouvantes de vieilles chansons folkloriques palestiniennes. Elle est devenue une voix incontournable de la résistance palestinienne, donnant des interprétations mélodiques à l’idéal et aux rêves de son peuple. Rim Banna chante la confiance, la fierté et les espoirs de la Palestine traversée par les épreuves et la douleur. Rim Banna a enregistré après 2003 l’album Mirrors of My Soul, en collaboration avec une quintette européenne. Elle y conjugue la tradition musicale arabe et le style pop occidentale. L’album comprend des chansons de désespoir et d’espoir sur la vie d’un peuple en lutte.
J’ai particulièrement aimé la chanson qui rappelle la course du bien-aimé vers sa bien-aimée du Cantique des cantiques : « Je grimperai jusqu’au sommet de la montagne/ Pour me plaindre à Dieu/ J’y ai trouvé ma bien-aimée endormie/ Sous la protection de Dieu/ J’ai dévoilé son visage/ Et j’ai dit louange à Dieu/ Son visage est comme la lune/ Dieu garde-la pour moi » (Au sommet de la montagne). Une autre chanson, sous forme de prière, nous transporte sur le mont Carmel : « Et je crie/ Du plus profond de mon âme/ Ô toi, le Carmel de mon âme » (Le Carmel de mon âme).
Écouter Rim Banna, c’est recevoir des récits émouvants qui racontent comment les bébés sont bercés par les comptines, les jeunes abattus à bout portant par les soldats israéliens et les colons. C’est découvrir comment les résistants sont aimés et admirés. Les chansons d’amour de Rim Banna invitent les hommes et les femmes de Palestine à élever les enfants dans la confiance et à les protéger contre une implacable violence.
Cela donne un répertoire de chansons folkloriques et contemporaines trouvant bien sa place dans le patrimoine palestinien. Comme dans le cas du jazz, du blues ou du ragtime, les ballades de Rim Banna ont un impact puissant parce qu’elles font écho aux luttes de tout un peuple. Elle a su offrir des interprétations nouvelles aux chansons traditionnelles palestiniennes sans pour autant effacer l’identité culturelle de la musique palestinienne.
Rim Banna se situe dans la même veine poétique, dramatique et musicale qu’Oum Kalsoum en Égypte, Edith Piaf en France, Joan Baez aux États-Unis, ou Mercedes Sosa en Argentine. Elle rassemble dans sa voix et dans ses chansons les histoires de son peuple. Rim, la palestinienne chrétienne de Nazareth, a uni le peuple palestinien au-delà des divisions politiques et géographiques. La chanson Fares Odeh est l’écho poétique des précieuses vies des jeunes palestiniens, fauchées trop tôt par les soldats israéliens : « Les papillons t’emmèneront/ Par-dessus les nuages/ Le cerf te mènera/ jusqu’au creux du sycomore/ L’odeur du lait et du pain/ Te portera, martyr/ Jusqu’aux genoux de ta mère/ Lui a dit l’étoile » (Fares Odeh).
Dans une autre chanson Sarah, Rim Banna chante l’histoire de Sarah, petite fille de Palestine, dont le rire emplissait le ciel, tuée d’une balle en pleine tête par un sniper. Une chanson qui serait inspirée d’une histoire vraie. C’est lors de la première Intifada de 1987 que Rim Banna a profondément touché les cœurs et pénétré les familles palestiniennes. Ses chansons font aujourd’hui le tour du monde. Par sa voix douce mais percutante, elle invite à briser les murs de haine.
Ce qu’il faut retenir des chansons de Rim Banna, c’est surtout un message qui va au-delà du politique. Lutter contre l’effacement total de la Palestine signifie se battre contre les tentatives de dépossession culturelle du peuple palestinien. Sa démarche artistique était guidée par sa volonté d’exprimer l’identité du peuple palestinien à travers sa musique traditionnelle. Elle a contribué à faire connaître la culture palestinienne et à la promouvoir à travers ses disques et ses tournées dans le monde. Elle a collecté les poèmes populaires, repris ceux de sa mère, et à les a mis en chansons afin de les préserver de la disparition.
À ce titre, elle ne s’est jamais contentée d’imiter les techniques traditionnelles du chant arabe. « J’essaie d’écrire des chansons qui correspondent à ma voix », dit-elle. « Je veux créer quelque chose de nouveau, qui aide à faire comprendre la musique et l’âme des Palestiniens ». L’artiste qui avait débuté sa carrière en chantant des comptines pour les enfants a fini par devenir une artiste reconnue internationalement. Grâce à son travail acharné et constant visant à préserver l’héritage musical palestinien, ses chansons resteront gravées dans les mémoires.
Avec une petite dizaine d’albums produits depuis 1985, Rim Banna a ouvert la voie à toute une génération de chanteuses, en Jordanie, en Syrie et au Liban notamment, qui se proposent de renouveler la chanson arabe en associant thèmes traditionnels et orchestrations modernes d’inspiration occidentale. Écouter Rim Banna, c’est accueillir une musique apaisante et prendre conscience d’une actualité malheureusement dramatique et douloureuse.
Monseigneur Hubert Herbreteau