Pape François. Rencontres avec Dominique Wolton

Fiche Observatoire Foi et culture (OFC) du 11 avril 2018 sur le Pape François. rencontre avec Dominique Wolton. Politique et société.

28 août 2017 : Le pape François et le sociologue français Dominique WOLTON, lors d'une audience privée à la maison Saint Marthe au Vatican. DIFFUSION PRESSE UNIQUEMENT. EDITORIAL USE ONLY. NOT FOR SALE FOR MARKETING OR ADVERTISING CAMPAIGNS. August 28, 2017: Pope Francis meets the French sociologist Dominique WOLTON during a private audience at Casa Santa Marta in the Vatican.

Il s’agit d’une douzaine de dialogues entre le Pape François et Dominique Wolton, grand spécialiste des problèmes que pose la communication. Les rencontres avaient lieu chez François au Vatican à la maison Sainte-Marthe. Elles se sont échelonnées de février 2016 à février 2017. Il s’agit d’un long dialogue, et il faut le souligner, la rédaction de Dominique Wolton respecte très bien le ton du dialogue. En ce sens, cet ouvrage est plus qu’une interview. Dans l’excellente introduction qu’il donne à cette série d’entretiens, Dominique Wolton donne bien le ton des échanges : « On ne maîtrise pas une rencontre, elle s’impose. Elle fut ici libre, non conformiste, confiante, pleine d’humour. Une sympathie mutuelle. Le pape est présent, à l’écoute, modeste, habité par l’Histoire, sans illusions sur les hommes. Je le rencontre hors de tout cadre institutionnel, chez lui, mais cela n’explique pas tout de sa capacité d’écoute, sa liberté et sa disponibilité. Très très peu de langue de bois » (p. 15).

La liste des chapitres donne une petite idée de l’ampleur des sujets abordés : paix et guerre, religions et politique, Europe et diversité culturelle, culture et communication, l’altérité, le temps et la joie ; la miséricorde est un voyage qui va du cœur à la main ; la tradition est un mouvement ; un destin.Dans cette note, le lecteur ne prétend pas épuiser la richesse de ces 600 pages. Il choisit un chemin transversal qui ne s’enferme pas dans le cheminement de chaque chapitre. Il est à la recherche des réflexions ici exprimées par le Pape François qui éclairent certains aspects fondamentaux de sa pensée, de sa pratique et qui, du coup, permettent une meilleure intelligence de ce pontificat.

I – Le déplacement

Avec d’autres auteurs d’essais, j’ai remarqué qu’un des grands apports du Pape François aura été de suggérer des déplacements d’accents dans la pratique et dans la parole chrétiennes : « L’annonce de l’amour salvifique de Dieu est premier par rapport à l’obligation morale. Aujourd’hui, il semble que parfois prévaut l’ordre inverse. » Si, pour présenter la foi, on commence en présentant des interdits et des autorisations, bref, un système de règles, on subordonnera inévitablement, dans l’esprit de l’autre, la vie spirituelle à des exigences morales. Le plus grave est qu’au fond, en mettant au premier plan le respect des normes, on bloque l’esprit au niveau moral. Au contraire, si on présente d’abord le cœur du message de l’Évangile, l’amour et la miséricorde, on donne l’importance, le premier rang, au cœur du message. Et c’est du cœur de ce message que la morale prendra son vrai sens.

Le dialogue avec Dominique Wolton débouche à plusieurs occasions sur la pratique du changement dans l’ordre des aspects du message (1). Cette méthode est évidente dans les pages 83 et 84 où François explique ses décisions sur la question de l’avortement : il évoque sa décision d’étendre à tous les prêtres le pouvoir d’absoudre le péché de l’avortement : « C’est grave [ … ]. C’est le meurtre d’un innocent. Mais si péché il y a, il faut faciliter le pardon. » Car François, tout en soulignant, l’existence du péché, ne veut pas enfermer le pécheur dans sa propre souffrance : « Pape François – Une femme qui a une mémoire physique de l’enfant, parce que c’est souvent le cas, et qui pleure, qui pleure depuis des années, sans avoir le courage de voir un prêtre … lorsqu’elle a entendu ce que j’ai dit … vous rendez-vous compte du nombre de personnes qui respirent enfin ? Dominique Wolton – Oui, parce que c’est toujours une tragédie, l’avortement.Pape François – Qu’ils trouvent au moins le pardon du Seigneur, et qu’ils ne le commettent plus » (p.84).

Le drame que pointe François est la tentation d’isoler les règles, voire une seule règle et, à partir de là, de se résigner à l’exclusion définitive de ceux qui sont en dehors des clous. Il récuse ces attitudes pharisiennes : « On entend les gens dire : « Ils ne peuvent pas faire leur communion » ; »Ils ne peuvent pas faire ceci, cela ». La tentation de l’Église, elle est là. Mais non, non et non ! Ce type d’interdiction, c’est ce qu’on retrouve dans le drame de Jésus avec les Pharisiens. Le même » (p. 93). La miséricorde doit avoir la priorité et pour tous. « Tous dans le même sac. Le sac, c’est la miséricorde de Dieu. Je crois que ça fait beaucoup de bien » (p. 86). Réflexion faite après avoir évoqué la réconciliation avec les prêtres défroqués, la fin du mépris.

À propos des familles en difficulté : « Il faut accueillir, accompagner, discerner, intégrer … et puis chacun verra les portes ouvertes » (p. 93). Dans ces exemples sont toujours en action la priorité de l’accueil et le refus de toute parole qui serait vécue comme exclusion. C’est là un exemple majeur de ce déplacement, de ce changement dans l’ordre des urgences qui est une ligne forte dans l’action du Pape. Cette attitude est à l’opposé des fondamentalismes, et le Pape note que le fondamentalisme utilise l’Église contre l’Église. Et, de son temps déjà, Jésus menait un combat contre le fondamentalisme : « C’est le combat que je mène aujourd’hui avec l’exhortation Amoris Lætitia. Parce que certains disent encore :  » Ça on peut ; ça on ne peut pas « . Mais il existe une autre logique » (p. 139). Le propos se poursuit avec une liste des transgressions des règles osées par Jésus. Vient la question : « Est-ce Jésus qui ne respectait pas la loi ou la loi des autres qui n’était pas dans le vrai ? Elle était dégénérée, oui, par le fondamentalisme. Et Jésus Christ a répondu en prenant la direction inverse. Je crois que cela s’applique à tous les aspects de la culture. Quand je détruis l’harmonie intentionnellement – parce que la destruction de l’harmonie est toujours intentionnelle – que je me saisis d’un élément et le rends absolu, je détruis l’harmonie. C’est ce que font les fondamentalistes » (p. 140).

Avec ces dernières interventions, la ligne de pensée de François se précise et s’éclaire. Tout d’abord, il insiste sur l’identité de son combat avec celui que dut mener Jésus par rapport aux Pharisiens. Cette direction inverse que prend Jésus, elle consiste à ne pas enfermer les gens en traitant comme un absolu le débat sur permis / défendu. Nous remarquions plus haut que, chez François, l’ordre dans lequel on range les divers éléments de la foi est décisif. Si vous présentez le message en situant au premier plan la question des règles, vous enfermez les gens dans le débat moral ; et, dans ce cas, celui-ci éclipse le plan spirituel (2). Au fondement, il ne faut pas mettre l’opposition du permis et du défendu. Par contre, si vous mettez au fondement, au premier rang, le cœur du message, alors tous les autres éléments de la vie de foi s’ordonneront harmonieusement, car ils seront éclairés par le fondement, l’amour, la miséricorde.

Rien du message n’est en effet rejeté par François. Il apporte ici une image éclairante : il faut trouver la logique qui réalise l’harmonie entre les divers aspects du message. Le blocage dans le légalisme, le fondamentalisme rend absolu un élément. « Je détruis l’harmonie. C’est ce que font les fondamentalistes » (p. 140).

II – Le politique

La présence de la question du politique à travers la plupart des entretiens s’explique par une formule clé :« La politique, c’est peut-être un des actes de charité les plus grands. Parce que faire de la politique, c’est porter les peuples (3) » (p. 305). Mais, immédiatement, François porte l’interrogation sur le dérapage possible de la parole politique, citant Platon : « Les paroles, les discours sont à la politique ce que le maquillage est à la santé » (p. 305). La formule clé s’éclaire si on la rapproche d’une autre : « Tout homme ou institution, dans le monde entier, a toujours une dimension politique » (p. 31). L’expression « porter les peuples » peut être précisée : « Œuvrer pour une « bonne » politique, cela veut dire pousser un pays à avancer, faire avancer sa culture : c’est cela la politique » (p. 32).

De plus, François donne une place essentielle aux « tensions4 ». Il récuse la ligne de Hegel selon laquelle les contradictions devraient se dépasser dans la synthèse car, dit-il : « Résoudre par la synthèse, c’est annihiler une partie en faveur de l’autre. » Pour lui, il faut viser à une résolution par le haut, d’un niveau supérieur, où les deux parties donnent le meilleur d’elles-mêmes, dans un résultat qui n’est pas une synthèse mais un cheminement commun, un « aller ensemble » (p. 34-35). « Et ce qu’on trouve à un niveau supérieur garde dans ses racines les deux points initiaux » (p. 240).

Un autre principe complète le souci d’équilibre qui porte la pensée du Pape : c’est le refus de l’uniformisation qui mène à effacer les différences. Une image trop peu analysée guide ici le Saint Père : l’opposition entre la « bulle » et le « polyèdre ». Ce qu’on appelle « globalisation » est comparable à une bulle « dont chaque point est équidistant du centre. Tous les points sont identiques et ce qui prime, c’est l’uniformité : on voit bien que ce type de globalisation détruit la diversité » (p. 34).

À ce modèle, il oppose le polyèdre « où tous les points sont unis, mais où chaque point, qu’il s’agisse d’un peuple ou d’une personne, garde sa propre identité ». Faire de la politique, c’est rechercher cette tension
entre l’unité et les identités propres.

Faut-il vraiment y insister ? Le style de pensée présenté avec la reconnaissance de la vertu vitale des tensions peut éclairer la confiance de ce Pape dans le débat, son absence de peur devant les conflits. Car, à
l’opposé de ceux qui pratiquent à son égard, en pensée, le soupçon d’hérésie, lui, respecte le camp opposé, la partie adverse. Il n’a pas le besoin pathologique d’éliminer l’autre terme d’une tension, il reconnaît qu’il
lui est nécessaire, il ne s’attribue pas le pouvoir de la synthèse qui annule les différences. On fera facilement le lien entre les penseurs qui voient la démocratie comme le régime qui accueille les conflits qui surgissent, qui fait confiance au débat, qui ne traite pas les opposants en ennemis, mais garde confiance dans le dialogue (5).

III – Laïcité, mondanité, tradition

On ne trouve pas dans les entretiens une analyse exhaustive de la laïcité. D’emblée, on est devant un Pape qui n’a pas peur des mots : « L’État laïc est une chose saine. Il y a une saine laïcité » (p. 41). Cette laïcité
pose l’autonomie de l’État : « Le monde séculier a sa propre autonomie, celle des gouvernements, des sociétés, des lois » (p. 325). Vient en appui la référence évangélique sur Dieu et César (p. 41). L’expression « saine laïcité » est définie avec précision : il s’agit « d’une laïcité qui permet l’expression vers la transcendance, selon chaque culture » (p. 299). C’est également « une laïcité ouverte à toutes les valeurs.Une des valeurs, c’est la transcendance » (p. 298). De plus, François délimite la laïcité : « La laïcité est l’État laïc » (p. 298).

L’interlocuteur est souvent, très souvent, une aide précieuse, il apporte d’excellentes questions, il pousse François à creuser sa pensée. Mais sur la laïcité française, Dominique Wolton est très réducteur. Tout d’abord, il ignore les positions très pertinentes du prédécesseur de François sur la laïcité française. Mais surtout, il caractérise la laïcité française comme refusant toute expression publique des religions (6). Et cela
provoque une réaction juste du Pape disant : « C’est du laïcisme. » François est très sensible à la question des cultures (et ce n’est pas nouveau, voir La joie de l’Évangile). Il refuse que l’on fasse des religions une « sous-culture ». Il souhaite une incarnation, une inscription de la foi dans la culture commune, celle du peuple, de la nation : « L’État ne doit pas considérer les religions comme une sous-culture. Parce qu’en faisant cela, il nie la transcendance. » En excluant les religions de la culture commune, on exclut aussi le questionnement sur la transcendance de la culture, pour l’enclore dans une sous-culture
proprement religieuse.

Au détour d’une évocation d’un regret sur l’absence (exprimée par Dominique Wolton) d’une utopie esthétique dans l’architecture catholique, le Pape François livre en deux pages une réflexion sur la beauté qui éclaire ses propos sur les cultures. Pour François, avec la vérité et la bonté, la beauté est « un des trois fondamentaux » (p. 112).« Trouver Dieu dans la beauté, ça, on en parle peu, de la vérité de la poésie, c’est-à-dire de la capacité créatrice de Dieu. Dieu est un poète, qui fait les choses harmonieusement » (p. 112). Il regrette le recul de la beauté dans la culture de la foi : « Les cathédrales sont des monuments de beauté de la foi. La foi est belle » (p. 112). La mise en retrait de la beauté est due à la place prise par deux choses : « Le monde des affaires reposant sur la vitesse, et le monde du maquillage où la beauté n’est pas en soi, mais se donne artificiellement pour un temps et puis s’en va » (p. 113). C’est l’importance du « monde des affaires et du monde du maquillage qui est celui de la mondanité » qui occulte la poésie. « Aujourd’hui, il est plus facile de se maquiller que de se rendre beau » (p. 113). Les trois « fondamentaux » vérité, bonté, beauté sont apparemment à côté (sur le même plan ?) de foi, espérance, charité.

Le Pape pose les bonnes distinctions : la laïcité n’est pas le laïcisme. Il distingue aussi clairement laïcité et sécularisation. Celle-ci est « un mouvement ». Il la conçoit sur un plan purement négatif : elle est
« négation de la transcendance ». « La sécularisation cherche seulement des valeurs fermées à l’intérieur d’elles-mêmes » (p. 326).La relation que François établit entre foi et culture donne leur vrai sens aux réflexions que nous venons d’évoquer : « Une foi qui ne devient pas culture n’est pas une vraie foi. Et une culture qui n’est pas capable d’exprimer dans sa propre culture la foi n’est pas une culture ouverte » (p. 335).

De tels propos soulèvent d’emblée la question fondamentale des rapports entre laïcité et culture. La limite que François pose à la laïcité, c’est que, finalement aucune société, même notre société moderne, ne peut décréter une radicale séparation entre culture et religion. Les entretiens ouvrent la réflexion sur de telles questions.

La même ouverture, on la trouve dans l’opposition de la bulle et du polyèdre : le Pape refuse la mondialisation qui suppose l’uniformité – la pluralité des cultures est nécessaire à l’humanité – le polyèdre suggère une unité qui ne tue pas la diversité des cultures : « La vraie mondialisation pour moi, ce serait la figure du polyèdre, comme je l’ai déjà expliqué, une forme où chacun existe. C’est-à-dire tous ensemble, mais chacun avec sa personnalité ou sa culture » (p. 277). En fait, le Pape préférerait le mot mondialité à mondialisation. Ce terme ne doit pas être confondu avec la mondanité, qui désigne le semblant, le maquillage, l’oubli du réel, l’enfermement dans des idéologies.

Dans le dialogue, Dominique Wolton lance alors deux termes qui s’entrechoquent : modernité et tradition (p. 316). Ce questionnement entraîne François à poser une définition : « La tradition est un mouvement. » Il
emprunte cette formule à un moine du Vème siècle, Vincent de Lérins : « Les critères de la tradition ne changent pas, l’essentiel ne change pas, mais elle grandit, elle évolue » (p. 316). Il faut la comparer à une personne : « Elle grandit comme grandit une personne : par le dialogue qui est comme l’allaitement pour l’enfant » (p. 317). C’est le dialogue qui fait grandir la tradition, qui fait grandir la conscience. Ce dialogue se passe avec le monde d’aujourd’hui, avec la modernité. Il y a des changements dans l’Église : « Le Pape Benoît a dit quelque chose de très clair : les changements dans l’Église doivent être faits avec l’herméneutique de la continuité. L’herméneutique grandit : certaines choses changent mais c’est toujours en continuité. Elle ne trahit pas ses racines, elle les explicite, ce qui la fait mieux comprendre » (p. 319). À propos de la tension entre modernité et tradition, une question est posée à François sur l’apport spécifique des Églises d’Amérique latine. La réponse met en avant la conscience de l’inculturation : « Une foi qui ne devient pas une culture n’est pas une vraie foi. Et une culture qui n’est pas capable d’exprimer dans sa propre culture la foi n’est pas une culture ouverte. Le voilà, le rapport entre foi et culture.L’inculturation de la foi et l’évangélisation de la culture » (p. 335).

À ce propos, le Pape voit de grands progrès. Il évoque Mateo Ricci qui « ouvre la Chine » (au XVIème siècle). Mais Rome le désavoue, par peur, par refus de la diversité culturelle. La même aventure arriva à Roberto de Nobili, jésuite également, précurseur des études sur l’Inde. Cette peur de l’aventure culturelle dans l’Église, a reculé. « L’Église a toujours la tentation de se défendre. » Les Évangiles ne préconisent pas la sécurité, ils disent : « Risque, vas-y, pardonne » (p. 92).

IV – La communication comme dialogue

Le fait d’avoir comme interlocuteur un spécialiste de la communication aide le Pape à préciser ses analyses. Leurs points de désaccord sont aussi passionnants que les accords. François entraîne la conversation du côté du dialogue comme idéal de la communication. Dominique Wolton se retrouve bien dans cette orientation, lui qui plaide contre la réduction de la communication à des problèmes de moyens techniques.

La rencontre, souligne François, ne se fait pas avec la réduction de l’autre à un adjectif : le croyant, l’athée. « Mais on ne doit jamais parler avec des adjectifs. La vraie communication se fait avec des substantifs, c’est-à-dire avec une personne. Cette personne peut être agnostique, athée, catholique, juive … mais ce sont là des adjectifs. Moi, je parle avec une personne. C’est un homme, c’est une femme, comme moi » (p. 212). Quel qu’il soit, l’adjectif risque de faire oublier la personne, or, le vrai dialogue se passe entre des personnes, et, de plus, « doit se faire avec l’expérience humaine » (p. 212).

La communication s’instaure entre deux mystères. Entre des personnes vivantes mais « ce n’est pas seulement « être » en chemin, mais « faire » le chemin » (p. 27). Et, en le faisant, on rencontre les autres. « Dans les expériences les plus authentiques d’amitié et aussi d’amour […] les moments les plus beaux sont ceux où se mélangent la parole, les gestes, le silence » (p. 175). Au cours de ces réflexions, François évoque des souvenirs précis. Ainsi du silence avec un ami : « Nous n’avons pas parlé la moitié du temps » (p. 175). Ce fut « une communication de paix, d’amitié ». « On ne peut pas avoir une communication de qualité sans une capacité de silence » (p. 176). On connaît l’importance que le Pape attache à l’établissement de ponts entre les humains : « Le pont le plus humain : prendre la main. » Du coup, François en accord avec Dominique Wolton avance que le toucher est le plus important des cinq sens.

Le sensible, la présence sont essentiels mais, ajoute François : « Pour communiquer, il faut avoir une appartenance personnelle. Si tu n’as pas d’appartenance, tu n’as pas d’identité, et si tu n’as pas d’identité, tu ne peux pas communiquer » (p. 197). Il plaide pour une communication concrète : « Retrouver le sens du toucher. La communication parfaite se fait avec le toucher. Le toucher est le meilleur pour la communication » (p. 239). Il marque avec précision l’évolution nécessaire de ce que nous appelons communication.

« Pour la communication, nous devrions retrouver les gestes primordiaux. Les gestes, les paroles primordiales de la communication. Et, à partir de là, faire une reconstruction de cette communication aseptisée de pharmacopée, de laboratoire, uniquement technique, sans vie » (p. 236). Devant l’interrogation sur l’Église et la communication, François recommande les Béatitudes : « Quand l’Église communique le mieux, c’est quand elle le fait avec les malades… Elle est sur la voie des Béatitudes.C’est très intéressant, la communication à l’œuvre dans les Béatitudes. Si vous les lisez attentivement, ce sont des règles pour mieux communiquer aussi » (p. 241).

Cette rapide analyse exigerait, en complément, une mise en relation de divers textes du Pape François. Dans un ouvrage récent, François philosophe7, ce travail est amorcé, mais demeure regrettable l’absence de textes synthétiques sur les orientations profondes de sa pensée.

Guy Coq

  1. C’est-à-dire dans la manière d’énoncer en premier et comme fondement autonome, par exemple, les règles morales.
  2. Plus précisément, il bloque l’accès au plan spirituel, il fait de la morale un absolu qui se fonde sur lui-même.
    3. Formule reprise de Pie XI. De la politique, le grand Pie XI a dit qu’elle est une des formes les plus hautes de la charité.
    4. Le Pape fait l’éloge de la tension. « La tension, elle est vitale. Physiquement, quand le corps perd sa tension entre équilibre des fluides et électricité du cœur, air des poumons, tout se déséquilibre » (p. 240).
    5. Il y aurait un détour passionnant à faire ici du côté de Proud’hon et de Claude Lefort.
    6. « Mais en France, la conception de la laïcité préconise que les religions restent dans l’espace privé » (D. Wolton, p. 326).
    7. Sous la direction d’Emmanuel Falque et Laure Solignac (Ed. Salvator, 2017)