Election 2002: que voulons-nous vraiment pour notre société ?

Je m’exprime ici comme citoyen, avec mes convictions personnelles, en même temps que comme évêque, avec la conscience de mes responsabilités d’homme d’Église.
Nous nous étions préparés à la question simple : où en est le rapport des forces politiques en France ? Et nous sommes devant une question beaucoup plus radicale : que devient notre société, telle qu’elle apparaît à travers le choc ou le coup de tonnerre de ces élections ?Je voudrais appeler encore à la réflexion et à l’engagement.

1. On peut dégager la signification politique de ce premier tour. Pour cela, il faut passer de la panique à la prise de conscience. Certains ont joué avec la peur. Il ne faut pas s’étonner qu’on récolte ainsi la peur, que provoquent des résultats déséquilibrés et déséquilibrants. Ces résultats expriment une réaction de défoulement, notamment dans les milieux populaires, et aussi de rejet des calculs politiciens, déconnectés des préoccupations ordinaires des Français.

Mais tout cela manifeste une usure grave de la démocratie, qui va jusqu’au mépris des hommes et des femmes politiques, dont tous ne sont pas des malhonnêtes et des corrompus.

2. Ces résultats obligent à repenser l’action politique et ses buts.
Quels sont ces buts ? Non pas de gagner pour gagner, comme on gagne une course de chevaux. Car l’action politique n’est pas un jeu. Elle est un travail et une lutte.
Les hommes et les femmes politiques travaillent sur la société pour l’améliorer, en affirmant la force du pouvoir politique, en cherchant à réduire les inégalités, en fixant des règles à la vie économique, pour qu’elle n’obéisse pas aux seules lois d’un marché sans contrôle, et surtout
en empêchant la société de se refermer sur elle-même.
Je ne peux pas oublier que l’engagement politique de notre Église de Charente a été marqué par la journée du samedi 15 décembre, quand nous avons examiné, avec le président du Secours catholique, Joël Thoraval, la situation des pauvres et des étrangers parmi nous, et en donnant la parole à ces pauvres et à ces étrangers.

3. On peut se demander aujourd’hui : À quoi faut-il résister ? Pour quoi faut-il lutter?
Il faut résister à la peur, à la haine et au mépris. Avec réalisme et avec conviction. Et il faut lutter pour faire reculer le désarroi chez ceux qui souffrent de l’absence de solidarité, en leur donnant des moyens et des raisons de vivre, en faisant progresser la solidarité et la fraternité, pas seulement en paroles, mais en actes.

4. Bien entendu, ces combats politiques, pour nous, s’enracinent dans la tradition et dans la foi chrétiennes.

Nous sommes appelés à nous interroger de façon radicale : Que voulons-nous vraiment pour notre société ? Nous savons ce que nous ne voulons pas : nous ne voulons pas la violence, la corruption, les inégalités, les injustices et les mensonges.
Mais nous savons mal ce que nous voulons vraiment. À quel prix voulons-nous que notre société soit généreuse et fraternelle ? À quel prix voulons-nous que tout être humain soit respecté pour lui-même, et ne soit pas manipulé comme un pion, selon des stratégies imposées par la politique, la technique ou la finance ?

Il faut aussi parler de notre identité nationale. En précisant qu’elle s’enracine dans une mémoire commune. Cette mémoire passe par Clovis et Jeanne d’Arc et aussi par Victor Hugo et Jean Jaurès. Et elle inclut le grand dialogue entre la tradition catholique et la tradition laïque.

Et il faut comprendre cette identité nationale de façon réaliste. Car les nations, comme les personnes, portent en elles deux pulsions antagonistes : la libido dominandi, le désir de dominer, et la libido serviendi , le désir de servir.
L’Évangile du Christ nous apprend à refuser le désir de dominer et à choisir le désir de servir. Ce refus et ce choix traversent l’action politique. Pas besoin de faire des dessins pour l’expliquer ! À chacun de voir, de juger et d’agir avec sa conscience, en laissant l’Évangile façonner sa conscience.

Et puis, le dernier mot de l’Évangile, c’est toujours Jésus Christ lui-même, et nous croyons « qu’en sa personne, par sa Croix, il a tué la haine. » (Eph. 2, 16). Voilà aussi notre combat, qui dépasse tous les calculs politiques, mais qui oblige à des choix !

Claude Dagens
évêque d’Angoulême