“Tout est lié, tout est donné, tout est fragile”
Entre octobre 2018 et juin 2019, Mgr Jacques Habert, évêque de Séez, a parcouru les routes de l’Orne à la rencontre des hommes, des femmes, des réalités du monde rural. Entre temps de partage et de réflexion, cette visite pastorale inédite a révélé une Église présente, attentive et soucieuse de porter ensemble les défis à venir. Par Florence de Maistre.
“Au-delà des questions liées au monde agricole, nous nous sommes intéressés au monde rural au sens large, l’Orne étant classé en hyper-ruralité. Nous avons choisi de nous appuyer sur l’encyclique Laudato Si’, qui a été le fil conducteur de toute la démarche. Elena Lasida, chargée de mission Écologie et société pour l’Église en France, nous a accompagnés et donnés ces trois points d’attention, fondamentaux, issus de sa lecture de l’encyclique : tout est lié, tout est donné, tout est fragile”, explique sœur Hélène Versavel, sœur de saint François d’Assise et coordinatrice de la visite pastorale du monde rural.
Le diocèse de Séez compte dix pôles missionnaires. Dix journées de visite, une par pôle, ont ainsi été organisées, chacune sur un thème défini à l’avance. Parmi ces derniers, emploi, famille, mode de consommation, etc., deux concernaient spécifiquement les évolutions du monde agricole. L’Orne, étant le premier département français pour l’élevage de chevaux et de poulinières, une journée était consacrée à la filière équine. Chaque communauté locale a organisé les rencontres, le partage d’initiatives et d’expériences, autour de Mgr Jacques Habert et d’un comité relativement restreint. En fin de journée : une célébration eucharistique, suivie d’un repas partagé. Chaque soir, l’évêque de Séez a donné une conférence grand public sur Laudato Si’, en reprenant les temps forts vécus au fil de la journée.
Au cœur des préoccupations de la population
“Partout où nous nous sommes déplacés, nous avons croisé les gilets jaunes et les problématiques soulevées par ce mouvement, ce qui a encouragé notre réflexion”, indique sœur Hélène. Et ce, dès le premier jour lors la visite du pôle de Flers. La question de la réorganisation territoriale avec les nouvelles intercommunalités, les modifications administratives et leurs incidences dans la vie quotidienne des habitants ont été au cœur des rencontres. Mi-novembre, soit deux jours avant la crise des gilets jaunes, la pauvreté, l’illettrisme, les problèmes de mobilité et d’isolement étaient au programme de la découverte du pays d’Ouche. Le déplacement en pays d’Argentan a permis d’aborder la question de l’accès à l’emploi. À Sées, avec le “vivre ensemble” et les initiatives du tissu associatif, la visite évolue toujours en parallèle des appels des gilets jaunes. Elle s’achève de même en juin : les services à la population, portage de repas, transport des personnes, etc., ainsi que l’accueil des migrants étaient les thèmes confiés au pôle missionnaire du pays de Domfront.
“À chaque fois, nous avons rencontré des gens qui aiment leur territoire, qui ont des idées et qui mettent tout en oeuvre pour développer de nouvelles initiatives. Notre présence a été vécue comme un soutien. Je crois que c’est un des rôles de l’Église de s’intéresser vraiment aux gens et d’encourager ce qui va dans le sens de la vie”, souligne soeur Hélène. Souvent les visites ont osé le grand écart, comme celle d’Argentan. Ce secteur connaît la fermeture de plusieurs industries, mais aussi la création de petites structures familiales dynamiques. Aux côtés d’un couple victime d’un licenciement économique, Mgr Habert a rencontré un jeune “start-upeur”, natif d’Argentan, qui a tenu à baser son siège social dans sa ville natale, pour insuffler de la vie et de l’emploi dans ce bassin ornais.
Des rencontres improbables
Au pôle d’Alençon, autour du thème “Nouveaux modes de production, nouveaux modes de consommation”, la rencontre a encore mis en évidence de forts contrastes. “C’était assez extraordinaire d’échanger avec Christophe, maraîcher en Amap [Associations pour le maintien de l’agriculture paysanne], et avec Michel, éleveur bovin et producteur pour les circuits conventionnels de viande toutes gammes y compris l’export, qui a installé une unité de méthanisation. S’ils n’ont pas la même culture du monde agricole, si l’un dispose d’un hectare de terre et l’autre de 470, ils ont tout de même apprécié de discuter ensemble et de se retrouver sur certains points”, poursuit sœur Hélène. Les choix des deux fermes laitières du pôle de la Ferté-Macé visitées, l’une produisant pour le label AOP, et l’autre produisant en bio, avec transformation et vente sur place, auraient pu de même s’opposer par leur mode de production et d’organisation du travail. Elles ont au contraire manifesté un engagement pour la qualité, un attachement au terroir et confirmé l’importance d’un travail en réseau d’échange et de soutien, pour contribuer au développement économique et humain local.
Parmi les autres rencontres fortes, celles organisées par la communauté de Mortagne-au-Perche resteront dans les annales. Pour aborder les questions de l’éducation et de la jeunesse, plusieurs tables rondes ont été organisées. L’une avec différents parents et grands-parents, une autre avec des enseignants du public et du privé, de la maternelle au post-bac, de l’enseignement général et professionnel, une troisième avec les acteurs d’associations sportives et culturelles. “Les intervenants ont été très heureux de se retrouver. Ils ont réalisé qu’ils n’ont jamais l’occasion de discuter et de parler de ces sujets de fond. L’Église est ce lieu qui permet la rencontre, le dialogue et l’échange”, relève la coordinatrice de la visite pastorale. La convivialité s’est également invitée, en particulier lors des dîners partagés. Mention spéciale pour Alençon et son idée de “disco-soupe” : récupérer les invendus des magasins bio, se mettre ensemble autour de la table pour éplucher les légumes et préparer la soupe en musique. “C’était très sympa, il y a avait des personnes d’Emmaüs et du Secours catholique, cela a donné une belle unité à la soirée”, rapporte sœur Hélène.
Poursuivre la conversation
Les prises de conscience ont été vives : pauvreté, déserts médicaux, problème de mobilité, problème démographique, etc. Le “tout est lié, tout est donné, tout est fragile” de l’encyclique Laudato Si’ s’est à maintes fois vérifié. Une grande journée de synthèse de la visite pastorale en monde rural a rassemblé les acteurs des pôles missionnaires le 28 septembre dernier à Sées. Temps de réappropriation de toutes les richesses vécues, temps de relecture, cette journée a permis de partager quelques convictions fortes et de réfléchir aux appels de l’Église diocésaine et à la pastorale à développer. “Que pouvons-nous proposer, en nous appuyant sur l’atout majeur du territoire : un environnement préservé, deux parcs naturels régionaux, des dynamiques de productions locales bien lancées”, interroge sœur Hélène.
Avec cette visite pastorale, cette présence fraternelle d’écoute et d’apaisement pour mieux comprendre le monde rural, ses enjeux et pouvoir y être acteur, Mgr Jacques Habert a incarné les mots de Paul VI “L’Église se fait conversation”. Il a exprimé la volonté de l’Église de tenir compte du quotidien de la population ornaise et de ses implications. Et déjà, il prolonge la démarche avec trois lettres : une adressée au peuple de Dieu, une au département et une aux élus, pour encourager chacun selon sa mission, s’engager ensemble pour préserver la maison commune.
Les premiers fruits ont tout de suite été visibles. “J’ai été touchée de voir la joie des gens, heureux que l’évêque viennent à leur rencontre, s’intéresse à leurs questions, à ce qu’ils font, au cœur qu’ils y mettent. Et ces rencontres improbables ainsi favorisées : si l’Église n’avait pas pris cette initiatives certaines personnes n’auraient jamais fait connaissance”, confie sœur Hélène. Autre grande réussite : 1000 personnes environ ont reçues l’enseignement de Mgr Habert sur Laudato si et deux pôles missionnaires ont choisi d’offrir le texte de l’encyclique aux participants des journées de visite, véritable découverte pour nombre d’entre eux. Enfin, élus et membres d’association ont particulièrement été interpellés par la démarche. Sœur Hélène de rapporter leurs propos : “Vous nous faîtes réfléchir. Nous sommes heureux d’approfondir ces questions, cela nous aide à donner du sens à notre action et nous encourage à progresser”.
Carte des diocèses
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