« Jésus prit avec lui » par Mgr Patenôtre

Nous sommes en octobre 1958. C’est le soir de la rentrée au Grand Séminaire d’Issy les Moulineaux. Nous sommes 100 nouveaux séminaristes. Nous entrons en silence dans la salle des exercices. Le père Supérieur, le père Claude Longère, sulpicien, nous y rejoints. Nous sommes debout. Il nous regarde et nous salue d’un beau sourire. Il ouvre le livre des évangiles. Il lit : « Jésus prit avec lui, Pierre, Jacques et Jean. Il les emmena avec lui sur une haute montagne et là il fut transfiguré devant eux ». Et le père nous demande de nous asseoir. « Mes chers amis, commence-t-il, ce soir nous vivons cette page d’évangile. Voici que Jésus prend avec lui non plus Pierre, Jacques et Jean, mais Philippe, Claude, Michel, Alain ou François ».

J’ai raconté je ne sais combien de fois ce moment qui a été décisif dans ma vie. Figurez-vous que c’est ce soir-là que j’ai compris qu’être chrétien c’était d’être « avec lui », Jésus. Bien sûr, désirant entrer au séminaire pour devenir prêtre, j’étais un bon petit gars chrétien, issu d’une famille chrétienne, avec des prêtres et des religieux et des religieuses dans sa famille. J’allais régulièrement à la messe le dimanche. J’avais fait partie de mouvements chrétiens. J’étais brancardier au pèlerinage de Lourdes. J’étais engagé dans la vie de la paroisse et au patro de Montrouge. J’étais comme porté par une vie d’Eglise. Mais voici que ce soir-là, Jésus devenait Quelqu’un pour moi.

Depuis, ma vie de foi a toujours été très centrée sur la personne du Christ. Il est vraiment pour moi le visage humain de Dieu. C’est une expression familière de notre pape Benoît XVI. J’aime beaucoup la finale du prologue de saint Jean : «Dieu, personne ne l’a jamais vu. Le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui, il nous l’a fait connaître ». J’ai beaucoup de mal à supporter les représentations de la Sainte Trinité où l’on voit le Père, en vieillard barbu avec une tiare sur la tête, portant la croix où meurt Jésus tandis que passe une colombe pour indiquer l’Esprit Saint. Ils peuvent être artistiquement très beaux tous ces tableaux, sculptures ou vitraux. Mais, en fait, on ne peut pas représenter Dieu à moins de faire voir le Christ, vraiment Dieu et vraiment homme.

Lorsque je rencontre les jeunes que je vais confirmer, je leur demande souvent de me dessiner Dieu. Pour voir ! Et à toutes les fois, ils me présentent des formes de lumière, des cœurs, des nuages, des anges, un grand cœur. Bon ! C’est bien. Mais c’est très rare lorsque l’un d’eux me dessine le Christ ! Et pourtant nous ne connaissons Dieu qu’en Jésus Christ. C’est la grande originalité de notre foi chrétienne de pouvoir faire une image de Dieu puisque Dieu s’est fait homme en Jésus, le Christ. Ce que ne peuvent faire nos frères juifs ou musulmans, que nous respectons infiniment, cela nous a été donné dans le mystère de l’Incarnation où Dieu s’est fait homme en Jésus, le Christ.

Et nous croyons que Jésus est ressuscité. Nous croyons qu’il est toujours présent sur nos routes comme en autant de chemins d’Emmaüs. Il est le compagnon de nos routes. L’ami de tous les instants. Au plus fort de nos joies. Au plus creux de nos tristesses. J’ai beaucoup de mal à entendre chanter : « Reviendra-t-il marcher sur nos chemins … » Comme s’il était parti ! Alors qu’il nous a dit : « Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin des temps ».

Il y a d’ailleurs bien des manières de le rencontrer en vrai. Dans sa Parole bien sûr. La lecture de l’Evangile nous exprime bien ce qu’il nous a confié, et puis son allure, son style de vie. On réalise bien ce que c’est que d’aimer en actes et en vérité. C’est en nous aimant jusqu’au bout qu’il nous a aimés. La croix reste bien le signe de cet amour.

Nous le rencontrons aussi en vrai, dans la présence réelle des sacrements. Tous les sacrements sont des rencontres de Jésus ressuscité. Ce ne seraient que des symboles, ce serait déjà très beau. Mais ce sont des symboles qui réalisent, en vrai, ce qu’ils représentent. A l’Eucharistie par exemple, ce n’est pas simplement du pain partagé, c’est son corps. Aussi réellement présent qu’il l’était sur les routes de Palestine au milieu de ses disciples. Aujourd’hui, c’est toujours lui qui est là. Le même, mais autrement. Comme au jour de la transfiguration sur la montagne…

Et puis, là où nous sommes sûr de le rencontrer, et il nous suffit de relire le chapitre vingt-cinquième de saint Matthieu, c’est dans la rencontre de celui qui a faim, qui a soif, qui est nu, malade, étranger ou prisonnier. Là, nous sommes sûrs que c’est Lui qui est là. Il nous le dira lorsque nous le rencontrerons dans sa gloire : « C’était moi ! » Nous croyons que l’Esprit Saint est présent dans le cœur de tous ceux et celles qui sont habités par l’amour. Puisque Dieu est Amour, l’amour est divin. « Quiconque aime connaît Dieu » écrivait saint Jean. Toute rencontre d’amour, enfin ce qui s’appelle vraiment amour, est rencontre de Dieu. Il suffit de regarder Jésus. Il est l’amour. Il transfigure le monde, le temps et l’espace. Contemplez le beau tympan de Vézelay. Tout est dit. Jésus nous envoie, apôtres d’aujourd’hui, porter la bonne nouvelle de sa présence au milieu de nous.

Dans l’évangile de ce jour, saint Luc écrit que c’est « pendant qu’il priait » que Jésus fût transfiguré. Voilà donc un beau chemin qui nous est indiqué en ce début de carême : C’est peut-être bien le temps de la prière qui va transfigurer nos vies.

Mgr Yves Patenôtre
archevêque de Sens-Auxerre
prélat de la Mission de France
Le 28 février 2010 pour INXL6.org

 

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