Homélie du dimanche 26 février

Dimanche 26 février 2023
1er dimanche du Temps du Carême année A

Références bibliques :

Livre de la Genèse : 2. 7 à 3. 7 : « Vous serez comme des dieux. »
Psaume 50 : « Renouvelle et raffermis mon esprit au fond de moi-même. »
Lettre de saint Paul aux Romains : 5. 12 à 19 : « Combien plus la grâce de Dieu a-t-elle comblé la multitude, cette grâce qui est donnée en un seul homme : Jésus-Christ. »
Evangile selon saint Matthieu : 4. 1 à 11 : « Vivre de toute parole qui vient de la bouche de Dieu. »

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« En jeûnant quarante jours au désert, il consacrait le temps du Carême. Lorsqu’il déjouait les pièges du Tentateur, il nous apprenait à résister au péché, pour célébrer d’un coeur pour le mystère pascal et parvenir à la fin à la Pâque éternelle. » (Préface de la messe de ce dimanche)

UN TEMPS DE RESURRECTION

«… Pour célébrer d’un cœur pur le mystère pascal … pour parvenir à la fin à la Pâque éternelle.» Le Carême n’est pas une sorte de Ramadan. Il n’est pas seulement un temps de maîtrise de soi pour mieux correspondre à la volonté de Dieu. Il est essentiellement la montée de l’Eglise vers la Pâque de son Seigneur, le Christ Jésus.

Il s’inscrit dans le temps de l’Alliance. Il est le temps durant lequel, année après année, nous faisons « sauter les verrous » que sont nos fautes et nos faiblesses acceptées.

Il est le temps où nous approfondissons notre alliance avec Lui, alliance que nous renouvellerons dans la nuit pascale, avec ceux qui, catéchumènes, vont la réaliser dans les eaux du baptême, dans le sang versé par le Christ, dans sa résurrection de Fils de Dieu qui nous entraîne avec lui dans sa filiation divine.

Le Carême se vit avec le Christ, par le Christ et en Lui, le Christ qui monte à Jérusalem avec ses apôtres et son Eglise. Le Christ qui leur dévoile, comme à nous, progressivement et, malgré leurs incompréhensions, qu’il est tout à la fois le crucifié et le ressuscité.

Par le Carême, il nous invite à prendre de la hauteur et à regarder la trajectoire totale de notre vie. D’où venons-nous, où allons-nous ? et pour cela quel chemin prendre ?

Dès le premier jour de ce temps de grâce, nous avons à choisir entre ces deux paroles, l’une : « Vous serez comme des dieux, vous ne mourrez pas. » et l’autre : « Tu n’adoreras que Dieu seul. »

C’est en Dieu seul qu’est la Vie. Cela ne signifie donc pas une mort totale de nous-mêmes, mais à l’inverse, la mort de ce qui contrarie la plénitude de la Vie en nous, la vie divine, notre divinisation..

En Christ, la mort n’a jamais le dernier mot. Et il nous le dit en chaque Carême. A cause de nos lenteurs, de nos retours en arrière, nous reprenons, nous recommençons chaque année, cette longue marche avec, au terme, la résurrection.

C’est un chemin austère puisqu’il passe par la croix, mais c’est un chemin illuminé par la perspective du dernier mot de Dieu qui est toujours « Aujourd’hui, je t’ai engendré… tu es mon Fils bien-aimé. »

Chaque Evangile du Carême scande cette marche vers la lumière. La Transfiguration qui nous donne d’entrevoir la lumière divine, la Samaritaine qui voit clair sur elle-même, l’aveugle-né qui voit celui qui est la lumière du monde, Lazare qui ressuscite et qui retrouve la Vie en sortant de la nuit du tombeau.

LA PLENITUDE DE NOTRE ETRE

Entre la tentation première d’Adam et Eve et la tentation du Christ au désert, il y a une étroite relation. Dans les deux situations, le menteur qui désunit, (car c’est le sens réel de « diabolos » en grec) veut séparer l’homme de Dieu. Il lui fait croire à une autonomie, une liberté, que restreint l’interdiction de toucher à l’arbre de vie.

Au désert, le tentateur propose à Jésus le prestige et la puissance. En se détournant de Dieu dont ils sont image et ressemblance, l’homme et la femme ont découvert leur pauvreté, leur nudité fondamentale, leur être de poussière.

Ils ne sont plus l’image parfaite du Créateur, dans la réalité de sa création. Il leur faut s’habiller.

Nous aussi, pour cacher notre pauvreté, notre égoïsme, notre âpreté au gain, nous aurions tendance à utiliser l’aumône et même la prière pour nous « habiller » devant les hommes…pour paraître devant eux, sur les places publiques, selon les termes du Christ dans son sermon sur la montagne.

Bien souvent, comme tous mes frères les hommes, nous avons la tentation de penser que les réalités de la vie, même les plus malsaines, engendrent la liberté et l’épanouissement de notre personnalité, la connaissance du bien et du mal.

En fait, nous nous égarons ainsi loin de la réalité essentielle de notre être. Lorsque nous portons notre regard sur nous-mêmes pour nous en satisfaire, et non pour « être une offrande à la louange de sa gloire (prière eucharistique), nous découvrons bien vite nos limites et bientôt que tout nous échappe et même que nous n’avons plus rien.

En gravitant dans notre cercle fermé d’homme mortel, en nous méfiant des exigences de Dieu qui nous empêcherait d’être heureux, en ne nous fiant qu’à nous-mêmes, nous découvrons notre misère et l’étroitesse de nos horizons.

Au désert, le démon voulait détruire la personne même du Christ qui est unité avec son Père. Si Jésus succombait à la tentation, il détruisait son moi profond. « Mon Père et moi, nous sommes un », dira-t-il aux apôtres au soir du Jeudi-Saint.

Préférant les nourritures terrestres, le prestige et la domination, il ne serait plus ce qu’il est intimement, par cette divinisation, qui est alliance, comme le dit la prière de l’offertoire de l’eau et du vin.

QUEL EST L’ESSENTIEL DU SEJOUR AU DESERT ?

L’Evangile ne nous donne pas les détails de l’emploi du temps de Jésus durant cette quarantaine. Cela est secondaire. Il nous apprend seulement qu’il est guidé par l’Esprit et que le démon veut le faire dévier de sa route. « Mon Père et moi, nous sommes un »

La première tentation est celle de centrer sa vie sur le monde créé. « Multiplie les pains avec ces pierres. La puissance qui est en toi, fils de Dieu, si tu l’es, mets-la au service de ce monde visible. Assure ton bien-être et celui des autres ».

Jésus refuse. Il est venu au désert pour rejoindre Dieu en sa personnalité humano-divine. En jeûnant, il signifiait qu’il voulait aller à l’essentiel.

La multiplication des pains, dans les mois à venir, relèvera d’une autre perspective d’amour à ceux qui le suivent pour entendre la parole de Dieu qu’il leur transmet.

Mais aujourd’hui, c’est : « L’homme ne vit pas seulement de pain, mais de toute parole qui vient de Dieu. » « Père, je leur ai donné ta Parole… je leur ai dit ces paroles pour qu’ils aient en eux la plénitude de ma joie. » (Jean 17. 14)

CONFIANCE OU DEMESURE ?

La deuxième tentation est celle d’un abus de confiance.

Satan lui demande d’abuser de sa confiance en Dieu. Il l’emmène sur le pinacle du Temple, qui domine toute la vallée du Cédron, à quelques 70 mètres au-dessus d’un ravin. « Jette-toi en bas! » C’est comme s’il lui disait: « Livre-toi à n’importe quelle sottise: précipite-toi de ces 70 mètres ». Ou encore : « Méprise les gens qui t’entourent, mène une vie déréglée ».

« De toute manière, Dieu te protégera. Si tu hésites, c’est que tu manques de confiance en lui! »

Ce raisonnement, nous le faisons parfois. Nous créons pour nous-mêmes et pour les autres des situations impossibles, en mettant Dieu au défi. À l’échelle mondiale, nous créons des conditions de guerre en cultivant toutes sortes d’injustices. Devant les souffrances qui en découlent, nous nous mettons à prier pour la paix, ou pour les victimes de nos propres oublis. Nous osons dire avec inconscience: « Si vraiment Dieu existait, telle ou telle souffrance n’existerait pas… »

Mais c’est justement parce que Dieu existe qu’il nous laisse mesurer les conséquences de nos gestes. Agir sans discernement, en créant autour de soi des conditions injustes, en bousculant les autres et en comptant ensuite sur la Providence pour réparer les conséquences de nos actions, nous rejoignons la deuxième tentation proposée à Jésus.

« Si Dieu t’aime, il te protégera! ». Alors Jésus oppose à Satan la force de la Parole de Dieu: « Il est encore écrit: : Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu. » (Ps. 94, 9). Et nous, qui le mettons si souvent à l’épreuve !

SE SOUMETTRE OU S’OFFRIR ?

La troisième tentation est plus subtile. Le diable emmène Jésus sur une très haute montagne. Qu’une tradition localise au mont de la Quarantaine, d’où l’on aperçoit Jéricho, véritable paradis de verdure en plein désert. Un horizon qui représentait le monde et ses richesses.

« Tout cela, je te le donnerai, si tu te prosternes pour m’adorer. » Jésus n’avait qu’à poser ce geste, à se soumettre au tentateur, pour posséder le monde! Il serait devenu, avec lui, « le Prince de ce monde », comme l’appelle plusieurs fois saint Jean (12, 31; 14, 30; 16, 11).

Jésus oppose, à la logique humaine du tentateur, la force divinisatrice de la Parole de Dieu: « Il est écrit: C’est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c’est lui seul que tu adoreras. »

Il nous arrive bien souvent d’adorer tant de choses inutiles, voire perverses. De nous soumettre à leurs impératifs que nous considérons être un épanouissement de nous-mêmes.

La vie nous tente, comme Jésus fut tenté. Il nous est difficile de limiter notre appétit de posséder les biens visibles et ainsi de nous laisser encombrer par la réussite, le boire et le manger, le vêtement, le confort. La vie nous tente de nous éloigner de Dieu, en lui laissant le soin de réparer les conséquences de nos oublis ou de nos actes, quand nous n’exigeons pas de lui cette réparation : « Si Dieu était bon … ».

Enfin, elle nous tente de lui refuser la souveraineté sur nous, en nous laissant diriger plutôt par les forces et les puissances de ce monde qui nous entoure..

Afin que nous puissions triompher à notre tour des trois mêmes tentations, Dieu nous donne le pain de vie qui renouvelle nos coeurs. « Il nourrit la foi, fait grandir l’espérance et donne la force d’aimer. » (Communion de ce dimanche).

La foi que nous devons mettre en la Parole de Dieu. L’espérance qui attend le véritable Royaume. La charité véritable qui ne s’épanouit qu’en Dieu qui est Dieu d’amour.

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« Accorde-nous de progresser dans la connaissance de Jésus-Christ et de nous ouvrir à sa lumière par une vie de plus en plus fidèle. » (Prière d’ouverture de la messe)

année liturgique B