« La vie chrétienne, ou la sanctification de la vie ordinaire » par Mgr Simon

Simon Hippolyte - Clermont

Il est beaucoup question, ces dernières semaines, du film de Xavier Beauvois « Des hommes et des dieux ». Il retrace pour nous le drame vécu par les moines de Tibhérine, au printemps 1996. Tout le monde connaît ces événements tragiques. Je ne les rappelle donc pas. N’étant pas un habitué du cinéma, je ne vais pas non plus m’engager dans des commentaires sur les qualités artistiques de ce film.

Pour ma part, je soulignerai seulement que j’ai été sensible à la force du montage, à la justesse des dialogues et à la sobriété des moyens déployés. On ne s’ennuie pas une seconde pendant ces deux heures, alors même que l’histoire est d’abord celle d’une expérience spirituelle. Tout se joue dans le coeur et la conscience de ces hommes affrontés à la violence et à la survenue prochaine d’une mort annoncée. Autrement dit, il s’agit essentiellement d’une histoire intérieure, où l’invisible affleure à chaque instant. La violence du terrorisme qui fait brutalement irruption dans la vie du monastère et du village qui l’entoure n’est pas montrée pour elle-même. Elle intervient ici comme un révélateur de la fidélité de ces moines.

Ce film nous invite à mieux comprendre ce qui fait le coeur de l’expérience chrétienne ordinaire. Même si personne n’en sait « ni le jour ni l’heure », il devient clair que la mort est désormais toute proche. C’est donc cette proximité et cette évidence qui donnent toute son intensité au film. En effet, à cause de cette proximité, les moines et leurs voisins sont obligés d’envisager ce à quoi, spontanément, nous ne voulons pas penser. Mais, finalement, c’est peut-être nous, à bien des égards, qui sommes dans l’erreur. Car si nous espérons que notre mort ne sera ni proche ni brutale, il reste qu’elle est aussi inéluctable pour nous qu’elle l’a été pour ces moines. Et c’est là que ce film nous donne une grande leçon : devant l’échéance brutale, les moines ne changent rien à leur vie ordinaire. Certains sont déjà prêts. D’autres ne le sont pas. Certains sont paisibles, d’autres vont devoir vaincre la peur viscérale qui les empoigne. Mais tous finissent par entrer dans une décision à la fois commune et intimement partagée. Je reste !

Fidèles au Christ, à qui ils ont donné leur vie, fidèles à l’Evangile, qui éclaire leur coeur et leur intelligence, fidèles à la prière qui rythme leurs journées, fidèles à leur abbaye, aux villageois qui les entourent, et qui comptent sur eux, fidèles à ce pays qu’ils ont choisi, fidèles à l’amitié et au dialogue avec ceux qui s’inscrivent dans une autre tradition religieuse, fidèles, en un mot, à l’Esprit qui les conduit sur les chemins du Christ crucifié et promis à la résurrection, ils finissent par trouver la paix intérieure.
Je reste ! et tout est dit. Sans aucun recours à des effets spéciaux, sans grands discours, et sans aucune émotion artificielle, ce film n’est scandé que par le chant très sobre de ces moines et par l’Eucharistie. Il nous donne à comprendre que la vie chrétienne c’est tout simplement la vie ordinaire, la vie réelle, qui se laisse éclairer de l’intérieur par l’Evangile et par le mystère du Verbe incarné.

Il peut sembler étrange que le témoignage de ces sept moines, dont la vie ressemble si peu aux préoccupations de nos contemporains, fasse irruption maintenant, et sans que l’Eglise l’ait demandé, dans notre actualité. Mais, à bien y réfléchir, ce témoignage est-il si loin de ce que nous avons essayé de méditer et de vivre l’an dernier, avec l’Année de l’Esprit Saint ? Au-delà des circonstances dramatiques de leur mort, ces frères nous rappellent avec force que la vie chrétienne ne consiste pas à accomplir des exploits extraordinaires mais à se laisser sanctifier par l’Esprit qui nous a été donné à notre baptême et à notre confirmation.
Laissons nous étonner par cette fécondité inattendue de sept vies librement données à la suite du Christ…

+ Hippolyte Simon,
Archevêque de Clermont.
20 septembre 2010

PS : Même si l’expérience spirituelle de ces sept moines constitue la trame principale de ce film, il reste que ce drame s’est produit en Algérie, et qu’il y aurait beaucoup à dire au sujet du dialogue entre les Musulmans et les Chrétiens. A cet égard, les dialogues entre les moines et les gens du village qui les entoure sont tout à fait significatifs. Même au pire moment de la menace qui pèse sur eux, ni Frère Christian ni Frère Luc, le médecin, ne renoncent à ce dialogue fraternel. Jamais la confusion n’est faite entre les croyants authentiques et les fondamentalistes qui se servent du Coran pour justifier le terrorisme.
Et comme il apparaît clairement lors de la rencontre chez le Walli [Préfet], ce n’est pas d’abord la religion qui est en cause dans ce terrorisme qui a déchiré l’Algérie pendant les années 1990 et suivantes, ce sont bien plutôt les carences, pour ne pas dire l’absence totale, de l’Etat de Droit…
Il faut donc souhaiter que ce film soit aussi l’occasion de mieux situer le dialogue islamo-chrétien dans toute sa complexité et sa richesse.
 

Pour Mgr Hippolyte Simon, archevêque de Clermont, « Des hommes et des dieux » nous invite à mieux comprendre ce qui fait le coeur de l’expérience chrétienne ordinaire.