Message de Mgr Vincent Coulibaly

Mgr Vincent COULIBALY

En communion avec la Conférence Episcopale de Guinée, nous vous invitons à lire ce message émouvant de Mgr Vincent Coulibaly.
Chers frères et sœurs guinéens,

La République de Guinée, notre pays, traverse de nouveau une grave crise, suite aux évènements survenus au stade de Conakry, le 28 septembre 2009.

Cette tragédie a davantage exacerbé les maux dont souffre le peuple de Guinée, depuis plus d’une décennie.

En tant que Pasteur, serviteur de Dieu et des hommes, je voudrais tout d’abord réitérer l’expression de ma profonde compassion pour toutes les personnes qui ont perdu la vie et souhaiter prompte guérison à tous les blessés.

En scrutant l’horizon pour comprendre ce qui se passe à la lumière de la Parole de Dieu, je ne peux pas ne pas pousser un cri d’alarme, tant la détresse de mon peuple est aujourd’hui profonde. Et en pensant aux témoignages émouvants des évêques du Congo Démocratique et du Rwanda pendant le Synode, je me demande si le même danger ne nous guette pas.

Aussi, voudrais-je signifier la solidarité de l’Eglise avec notre peuple souffrant et souligner qu’aucune injustice, aucune atteinte aux conditions de la paix, à la vie, aux droits fondamentaux de l’homme ne peuvent laisser l’Eglise indifférente.

Le synode des Evêques pour l’Afrique qui vient de se terminer à Rome, le 25 octobre 2009, auquel les Evêques de Guinée ont pris part, a profondément analysé la situation de notre continent et lancé un appel solennel à la communauté internationale pour un meilleur soutien. Il a aussi invité l’Afrique à se lever pour prendre en main son destin, et à marcher avec les autres continents. Dans l’exhortation du Synode à l’Afrique, je relève cet extrait qui est une véritable autopsie de la réalité de notre continent, et de notre pays en particulier, offrant actuellement le spectre d’une terre aride et désolée :

« Le synode s’attriste en remarquant que c’est la honte qui caractérise plus d’un pays africain. Nous pensons en particulier au cas lamentable de la Somalie empêtrée dans de violents conflits depuis près de deux décennies, avec des conséquences sur les nations avoisinantes. Nous n’oublions pas non plus la tragédie des millions de personnes dans la région des Grands Lacs et l’interminable crise au nord de l’Ouganda, au sud du Soudan, au Darfour, en Guinée Conakry, et en d’autres endroits. Les gouvernants de ces nations doivent prendre leur responsabilité devant leurs prestations génératrices de douleur. En bien des cas, on se trouve devant la situation de soif du pouvoir et des richesses au détriment du peuple et de la nation. »
Aussi, le Synode des Evêques fait remarquer avec amertume que : « Quel que soit le niveau de responsabilité attribuable aux intérêts étrangers, on ne peut nier une honteuse et tragique complicité des leaders locaux : des politiciens qui trahissent et mettent leurs nations aux enchères, des hommes d’affaires éhontés qui se coalisent avec les multinationales voraces, des africains vendeurs et trafiquants d’armes qui spéculent sur les armes légères cause de destruction de vies humaines, des agents locaux d’organisations internationales qui se font payer pour diffuser des idéologies nocives auxquelles ils n’adhérent pas eux-mêmes » (n°36).

Notre peuple se serait-il détourné de Dieu son Créateur ? Et notre pays serait-il sans loi aujourd’hui ? L’appel à la conversion adressée par le prophète Jonas aux habitants de Ninive est encore actuel pour notre Peuple : « Que chacun supplie Dieu de toutes ses forces, que chacun renonce aux mauvaises actions et à la violence dont ils seront coupables. Peut-être qu’ainsi Dieu changera d’avis, mettra fin à sa grande colère et ne nous fera pas mourir ».(Jonas 3, 8-9)

Certes, les tueries du stade, le 28 septembre 2009, ont fait déborder le vase. Aussi, ne perdons pas de vue, la profondeur de la crise guinéenne, dans sa complexité, se situe à divers niveaux : politique, économique, social, culturel, juridique.

La Guinée est un pays immensément riche à tout point de vue.

Les richesses de notre pays seraient-elles donc convoitées ? En tout cas, on a le droit de se poser la question de savoir : Pourquoi ce grand battage médiatique orchestré à partir de certaines capitales européennes ? Pourquoi ces efforts n’ont pas été déployés pour signaler le danger et éviter le massacre ? Et pourquoi n’a-t-on rien dit ni rien fait en février 2007, alors qu’il y a eu plus de 300 morts dans le pays et de très nombreuses infrastructures détruites ? Où était la presse internationale à ce moment ? On devra aussi reconnaître que les images diffusées à grande échelle avec la complicité de certains de nos compatriotes, ont bien porté atteinte à la morale et à la dignité de l’homme guinéen. N’a-t-on pas parfois l’impression que ces images abominables ont pour but d’opposer les Guinéens entre eux ? Ou bien qu’il s’agit de chercher la balkanisation de notre pays à cause de nos richesses ?

Quelles que soient les raisons avancées, les Guinéens doivent se ressaisir et transcender tous les différends sous l’arbre à palabre. Telle est l’invitation que les Evêques catholiques d’Afrique et Madagascar nous ont adressée dans leur message de solidarité, le 15 octobre 2009 : « Nous prions les responsables politiques et militaires de se mettre réellement au service de leur peuple dans une écoute attentive de toutes les couches sociales et particulièrement les plus démunis. » La solution aux problèmes guinéens ne se trouve nulle part sauf en Guinée, et par l’effort des guinéens en favorisant naturellement le dialogue sans exclusive.

En cela, j’exhorte les missions diplomatiques à observer la stricte impartialité. J’avais compté sur leur aide pour éviter les affrontements du 28 septembre 2009. C’est pourquoi j’ai donné à chacune le message de la Conférence Episcopale de Guinée du 23 septembre 2009, invitant tous les guinéens « au calme et à la réflexion, et à un effort de tous pour construire la paix. Que personne ne se dégage de ses responsabilités et que chacun pense aux conséquences de ses actes … Trop de sang versé sur le sol guinéen par inconscience, volonté de prendre ou de garder le pouvoir, ou par intérêt égoïste … ».

A tous ceux qui commanditent ou exécutent des assassinats et des kidnapping dans notre pays, je demande l’arrêt immédiat de ces ignobles et sataniques actes. J’invite le Gouvernement à traduire tous ces coupables en justice. Aucun guinéen ne doit perdre la vie seulement pour qu’un autre guinéen vienne ou continue à gouverner le pays de quelque sensibilité qu’il soit. En ces moments difficiles, seule notre indépendance économique doit donner des martyrs à notre pays. L’insécurité doit être combattue et punie par les services publics de l’Etat.

A tous ceux qui organisent les grèves de la faim, les marches populaires, les villes mortes, les répressions féroces qui bafouent le respect de la dignité du guinéen et qui perturbent le travail paisible dans les champs des paysans, les marchés des femmes, les chantiers des ouvriers, les bureaux des travailleurs mal payés, les Ecoles de nos enseignants et de nos nombreux enfants jusqu’ici mal formés ; je demande de ne plus jamais recourir à ces fameuses mobilisations ou répressions qui nous conduisent au malheur et à la misère. Mais de chercher à tout prix à se retrouver et à dialoguer sans préalable. L’Eglise réaffirme sa disponibilité à tous pour nous ouvrir des portes de l’arbre à palabre africain.

La démocratie dans notre pays doit donc s’exercer dans le respect d’un code de conduite pour les tenants du pouvoir et pour ceux qui le cherchent afin de nous éviter le malheur et la misère.

A tous les protagonistes de la crise : CNDD, Gouvernement, Partis politiques, Syndicats, Société Civile et autres Organisations de masse, je dis qu’il est temps de tourner le dos à la démagogie et à l’obséquiosité pour enfin, porter partout la parole de vérité, qui seule peut nous sauver (cf. Jean 8, 32).

Dans le souci commun de construire la paix, chacun doit garder son identité. C’est dans ce sens que j’invite les protagonistes à ne jamais parler au nom et pour le compte des Religieux. Ni à vouloir récupérer ou utiliser la religion pour leurs propres ambitions.

Malgré tout ce qui s’est passé, je continue à croire dans le désir profond de paix des guinéens, et qu’il reste possible de mieux faire. Comme Jésus a dit en son temps à un paralysé : « (Guinée) lève-toi ! Prends ton grabat et marche ». (Jean 5,8).

Bon pèlerinage à nos frères et sœurs qui vont à la Mecque en ce mois de novembre. Je souhaite que leurs prières apportent à notre Guinée plus de paix et de prospérité.

Que Dieu accueille nos morts dans son paradis !
Et qu’il bénisse notre pays et ses habitants !

Conakry, le 1er novembre 2009

+ Vincent COULIBALY
Archevêque de Conakry
Président de la Conférence Episcopale de Guinée

 

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