Eclairage de Mgr Le Gall sur l’encyclique caritas in veritate : « Des perspectives nouvelles »

Le Gall Robert - Toulouse

Au cœur de la crise économique sans précédent que traverse le monde, il est nécessaire de préciser et de suivre des règles, pour que la mise en valeur des ressources naturelles par l’intelligence et le travail profite à tout homme et à tout l’homme, dans la mission qui lui a été donnée dès sa création : « Le Seigneur Dieu prit l’homme et le conduisit dans le jardin de l’Éden pour qu’il le travaille et le garde » (Gn 2, 15).

Le développement est le nouveau nom de la paix, avait déclaré le pape Paul VI dans son encyclique Populorum progressio le 26 mars 1967 : il doit se comprendre non seulement de l’intégralité de la personne humaine, mais aussi de façon globale dans le contexte à la fois heureux et soucieux de la présente mondialisation, avec les chances et les risques qu’elle comporte. « Dieu est le garant du véritable développement, explique Benoît XVI, dans la mesure où, l’ayant créé à son image, il en fonde aussi la dignité transcendante et alimente en lui la soif d’être plus. L’homme n’est pas un atome perdu dans un univers de hasard, mais il est une créature de Dieu, à qui il a voulu donner une âme immortelle et qu’il aime depuis toujours » (n. 29).

 

Une logique de la gratuité

Comme le rappelle le Saint-Père dès le début de sa première encyclique – son titre résonne clairement : Dieu est Amour (25 décembre 2005) , « seule la rencontre de Dieu permet de ne pas voir dans l’autre que l’autre, mais de reconnaître en lui l’image de Dieu, parvenant ainsi à découvrir vraiment l’autre et à développer une amour qui devienne soin de l’autre pour l’autre (Deus caritas est, n. 18 et 6 ; Caritas in veritate, n. 11).Un « surdéveloppement » anarchique dans la jungle d’un marché sans règles inflige un dommage catastrophique au développement authentique, quand il s’accompagne d’un « sous-développement moral » (n. 29) : c’est le diagnostic sévère qui s’impose aujourd’hui face au mépris de la personne humaine, tant au plan de l’individu que des sociétés, car l’égoïsme forcené existe à ces deux niveaux. Notre démarche diocésaine lancée voici un an avec ma Lettre pastorale Annoncer ensemble la Bonne Nouvelle aux pauvres, a fait remonter fortement l’attention sur les nouvelles formes de pauvreté en notre diocèse ; j’en ai fait le premier des quatre nouveaux chantiers à ouvrir au terme de notre rassemblement de la Pentecôte le 31 mai dernier (Foi & Vie, n. 48, juillet-août 2009, p. 4). Comment pouvons-nous concrètement aider au passage d’une économie de prédateurs à une économie d’un échange de dons qui sont complémentaires ? C’est ce que l’enseignement du Pape nous fait envisager.Reprenant une formule de Paul VI, Benoît XVI affirme que « les pauvres ne sont pas à considérer comme un fardeau, mais au contraire comme une ressource, même du point de vue strictement économique » (n. 35). Leur présence nous oblige à être attentifs à la justice, tout en réalisant que la justice ne pourra jamais honorer pleinement les personnes si l’amour ne vient apporter son supplément d’âme. Le plus nouveau de l’enseignement du Saint-Père si situe dans cette insistance sur une logique de la gratuité et du don pour équilibrer celle du marché, même régulé par l’état. « L’amour dans la vérité place l’homme devant l’étonnante expérience du don. La gratuité est présente dans sa vie sous de multiples formes qui souvent ne sont pas reconnues en raison d’une vision de l’existence purement productiviste et utilitariste. L’être humain est fait pour le don ; c’est le don qui exprime et réalise sa dimension de transcendance. Étant un don de Dieu absolument gratuit, la charité fait irruption dans notre vie comme quelque chose qui n’est pas dû, qui transcende toute loi de justice. Le don par sa nature surpasse le mérite, sa règle est la surabondance. Il nous précède dans notre âme elle-même comme le signe de la présence de Dieu en nous et de son attente à notre égard. Parce qu’elle est un don que tous reçoivent, la charité dans la vérité est une force qui constitue la communauté, unifie les hommes, de telle manière qu’il n’y ait plus de barrières ni de limites » (n. 34).

Echange de dons

Tout planifier en termes de profit, de rendement, de calcul ou de spéculation aboutit au mépris de la liberté des personnes et des sociétés par la seule loi du plus fort. « La logique du don » de son côté n’exclue pas la justice et il faut affirmer que « le principe de gratuité est une expression de la fraternité » (n. 34). Le Pape va jusqu’à parler d’une économie de la gratuité et de la fraternité : « La vie économique a sans aucun doute besoin du contrat pour réglementer les relations d’échange entre valeurs équivalentes. Mais elle a tout autant besoin de lois justes et de formes de redistribution guidées par la politique, ainsi que d’œuvres qui soient marqués par l’esprit du don » (n. 37).

Dans la civilisation de l’amour, où chacun de nous est appelé à devenir bâtisseur, on peut parler aussi d’une « civilisation de l’économie » (n. 38) où, au lieu de donner pour avoir, ou de donner par devoir, on apprend à donner pour donner ; pour cela, il faut que nous devenions des « personnes ouvertes au don réciproque » (n. 39). Même les plus pauvres ont des richesses d’humanité et de spiritualité qu’ils ont soif de partager, avant même de recevoir des aides nécessaires. Voulons-nous avancer ensemble dans cet « échange des dons » dans la vérité et la fraternité, auquel nous appelle le Dieu qui se révèle l’Amour ? Pour cela, il nous faut être attentif à sa Parole qui nous libère : « Chacun trouve son bien en adhérant, pour le réaliser pleinement, au projet que Dieu a sur lui : en effet, il trouve dans ce projet sa propre vérité et c’est en adhérant à cette vérité qu’il devient libre » (n. 1) : c’est notre route à tous, ensemble, pour la communion et le partage. Oui, nous avons du chemin à faire, mais Jésus n’est-il pas précisément le Chemin, la Vérité et la Vie ?

+ fr Robert Le Gall
Archevêque de Toulouse

(article publié dans le n° 49 – septembre 2009 – du journal diocésain Foi et Vie)