Cameroun : un prêtre assassiné en zone anglophone
Le Révérend frère Alexandre Sob Nougi, le curé de la paroisse catholique de Bomaka, un quartier de Buea, la capitale de la région anglophone du Sud-Ouest, au Cameroun, a été vendredi par des individus non identifiés, a annoncé samedi le diocèse de Buea. L’occasion de lire ou relire un article du Service national de la Mission universelle qui avait rédigé il y a quelques semaines un article sur la situation géopolitique du pays.
La « République Fédérale d’Ambazonie » a été proclamée en juillet dernier, par des groupes sécessionnistes des régions anglophones du Cameroun. Depuis l’escalade se poursuit, arrestations, enlèvements, morts, départs en masse vers le Nigeria voisin… Le père Achiri Mbungong Kangong, religieux conceptionniste vivant à Bamenda, le chef-lieu de la région du Nord-Ouest, nous expose la situation.
Pourquoi y a-t-il des provinces anglophones au Cameroun ?
Il y a dix régions (autrefois appelées provinces) au Cameroun. De ces dix provinces, deux utilisent l’anglais comme langue de communication, alors que les huit autres parlent français. Les Anglophones occupent les régions qu’on appelle le Nord-Ouest et le Sud-Ouest. Cela s’explique par le fait que ces deux régions (l’ancien British Southern Cameroons) ont été contrôlées par la Grande-Bretagne, en tant que territoire sous tutelle par mandat de la Société des Nations et l’Organisation des Nations Unies.
Racines du problème anglophone
La racine du problème anglophone remonte à la Première Guerre mondiale, lorsque le Cameroun était connu sous le nom de Kamerun allemand. L’Empire allemand avait commencé à s’implanter au Cameroun en 1845 lorsqu’Alfred Saker de la Baptist Missionary Society établit un poste missionnaire. Après la Première Guerre mondiale, le Traité de Versailles décida, suite à la défaite allemande, d’adjuger à la France et à la Grande-Bretagne le mandat sur le Cameroun. La plus grande partie du Kamerun allemand fut donnée aux Français. Chaque colonisateur allait, avec sa langue et sa culture, influencer la partie occupée.
Après la Seconde Guerre mondiale, avec la vague d’indépendance en Afrique, l’Organisation des Nations Unies oblige la Grande-Bretagne et la France à abandonner leurs colonies et à les guider vers l’indépendance. Le British Southern Cameroons avait deux options : devenir indépendant en s’unissant au Nigeria ou français avec le Cameroun. L’option de l’autodétermination par l’indépendance n’existait pas. L’option la plus désirée était l’indépendance, la moins populaire l’unification avec le Cameroun français. Cependant, lors du plébiscite de 1961, les Britanniques ont soutenu que le Southern Cameroon n’était pas économiquement assez fort pour se maintenir en tant que nation indépendante et ne pouvait survivre qu’en s’associant avec le Nigeria ou la République du Cameroun. Bien que des documents de l’ONU pour les « territoires non autonomes » stipulent que « l’intégration doit être le résultat de la volonté librement exprimée des peuples du territoire », celle-ci allait rejeter l’appel du Southern Cameroun à l’indépendance en tant que nation souveraine inscrit sur le bulletin. Deux questions étaient posées lors du plébiscite :
1. Souhaitez-vous accéder à l’indépendance en rejoignant la Fédération indépendante du Nigéria ?
2. Souhaitez-vous accéder à l’indépendance en rejoignant la République indépendante du Cameroun ?
Et les documents de l’Organisation des Nations Unies avaient défini la base de l’intégration comme : « L’intégration avec un État indépendant sur la base d’une égalité complète entre les peuples de l’ancien territoire non autonome et ceux de l’indépendance avec laquelle il est intégré. Les peuples des deux territoires doivent avoir un statut égal et des droits de citoyenneté… à tous les niveaux de l’exécutif, législatif et judiciaire du gouvernement. » Avec cette promesse en tête, en février 1961, British Northern Cameroons vote pour rejoindre le Nigéria, tandis que British Southern Cameroons vote pour rejoindre la République du Cameroun.
Conférence de Foumban (17 – 21 juillet 1961)
Le but de la conférence constitutionnelle de Foumban était de créer une constitution pour le nouvel État Fédéral entre le Southern Cameroon et la République du Cameroun. Elle réunissait des représentants de la République du Cameroun, dont Amadou Ahidjo, son président, et des représentants du Southern Cameroon. Deux semaines avant la conférence, plus d’une centaine de personnes furent tuées par des terroristes. Pour la conférence, Foumban a été soigneusement choisi et Ahidjo a fait croire qu’il avait tout sous contrôle.
Le Southern Cameroon avait eu à Bamenda une avant-conférence de préparation qui décida d’une proposition commune à présenter lors des négociations avec la République du Cameroun. Entre autres choses, la Conférence de Bamenda avait adopté une fédération non-centralisée pour s’assurer d’une distinction entre les pouvoirs des États et les pouvoirs de la fédération. Lors de la conférence de Foumban, Ahidjo présenta aux délégués un projet de constitution, qui ne prenait pas en compte les propositions des représentants de la Southern Cameroons. Ceux-ci pensaient être rappelés pour la mise en commun de la constitution – La Constitution de la nouvelle République fédérale. En fin de compte, la Chambre de l’Assemblée de l’ouest du Cameroun n’a jamais ratifié la Constitution, et pourtant, le 1 octobre 1961, la République Fédérale du Cameroun était née.
Le 6 mai 1972, Ahidjo annonce sa décision de convertir la république fédérale en un état unitaire. Décision votée le 20 mai 1972 par un référendum considéré comme un « coup d’État civil ». En tenant compte de ces actions, les éléments de preuve montrent que les intentions des francophones pourraient ne pas avoir été un état fédéral, mais plutôt l’annexion du Southern Cameroon et ne pas les traiter comme égaux. En 1984, le successeur d’Ahidjo, Paul Biya, a remplacé le nom de « République unie du Cameroun » par « la République du Cameroun, » le nom que portait le Cameroun francophone avant l’unification. Avec les changements dans la Constitution de 1996, toute référence à l’existence d’un territoire appelé Southern Cameroons britannique qui avait un « fonctionnement de l’autonomie gouvernementale et ces frontières internationales reconnues » était minutieusement effacée. Si un sécessionniste est quelqu’un qui veut se séparer, les actes d’Ahidjo et de Paul Biya montrent qu’ils le sont.
Quelle est la position de l’Église ?
Le 22 décembre 2016, dans une lettre à Paul Biya, les évêques anglophones du Southern Cameroun définissaient le problème anglophone comme suit :
1. L’échec des gouvernements successifs du Cameroun, depuis 1961, à respecter et mettre en œuvre les articles de la Constitution qui soutiennent et sauvegardent ce que le Cameroun méridional britannique a apporté à l’Union en 1961.2. Le mépris flagrant de la Constitution, démontré par la dissolution des partis politiques et la formation d’un parti en 1966, et d’autres actes jugés par les Camerounais occidentaux comme inconstitutionnels et antidémocratiques.3. Le référendum de 1972 qui a ôté l’élément fondateur de la Constitution de 1961 (fédéralisme).4. La loi de 1984 portant modifications de la Constitution, qui donnait au pays le nom original du Cameroun oriental (République du Cameroun) en effaçant ainsi l’identité des Camerounais occidentaux. Le Cameroun occidental, entré dans l’union en tant que partenaire égal, a effectivement cessé d’exister.5. L’érosion délibérée et systématique de l’identité culturelle de l’Ouest Cameroun que la Constitution de 1961 cherchait à préserver et à protéger en prévoyant une fédération biculturelle.
Il va sans dire que le pouvoir centralisé de Yaoundé n’a pas apprécié cette lettre ouverte et a indexé les hommes d’Église comme partisans de la sécession. L’Église a, à plusieurs reprises, appelé au dialogue et s’est proposée comme médiateur neutre !
Les conséquences de la crise
Le problème anglophone est toujours en cours. Il a dégénéré en violence avec des morts civils et militaires. Le nombre est effrayant et le pouvoir central ne publie jamais le nombre exact des morts de part et d’autre. Plus de 15 000 réfugiés ont fui le Southern Cameroon vers le Nigeria voisin, Selon le HCR ce nombre pourrait atteindre 40 000 si la situation continue.
Plusieurs groupes séparatistes ou sécessionnistes ont vu le jour ou sont devenus plus importants à la suite de la dure réponse du gouvernement au problème anglophone. Ces groupes souhaitent voir Southern Cameroon complètement séparé de la République du Cameroun et former son propre état (Ambazonie). Certains groupes utilisent des moyens diplomatiques pour tenter d’obtenir l’indépendance des régions anglophones, alors que d’autres ont commencé à utiliser des armes artisanales contre les gendarmes et les soldats déployés dans ces régions.
Sans reconnaître clairement l’existence du problème anglophone, le président du Cameroun a tenté d’apaiser les tensions en faisant un certain nombre d’annonces :
– Création d’un département de droit commun à la Cour suprême et à l’École d’administration et de la magistrature.
– Dans son discours traditionnel de fin d’année 2017, il a annoncé qu’un système de décentralisation efficace serait mis en place par le gouvernement. La question de la décentralisation est l’un des principes majeurs de la constitution camerounaise de 1996 qui a été menée par les groupes d’opposition anglophones au parlement.
Deux années scolaires entières ont été largement perturbées. Certains dans les classes d’examen luttent, avec l’aide du gouvernement, pour rattraper ce qui semble encore possible. Pourtant, des questions sont soulevées sur la façon dont les examens de fin d’année seront composés. Certains élèves non scolarisés se seraient orientés vers d’autres activités, notamment l’apprentissage de métiers, tandis que d’autres, en situation de désœuvrement, sont presque en voie de disparition avec des risques de grossesses non désirées et de contraction de maladies pratiquement inévitables. Certains ont même été profondément endoctrinés pour penser tout sauf du bien des valeurs républicaines. Le pire est que les personnes qui ont tenté de résister aux appels de villes mortes ont été victimes. L’incendie des magasins, d’autres propriétés de particuliers ainsi que des édifices publics prête foi aux persécutions dans la crise qui prévaut. Les détenus paient également le prix de la non-reprise des activités par les avocats de la Common-Law.
Quelles perspectives d’avenir ?
L’avenir est vraiment sombre ! Il n’y a pas de progrès étant donné que ni le gouvernement ni les dirigeants anglophones ne sont prêts à céder. Il est vrai que le gouvernement parle de dialogue mais que, à son habitude, il est loin de trouver une solution durable. Il est vrai que tous les yeux sont tournés vers le ciel mais le dialogue entre les hommes reste la seule voie de la sortie de crise. Les deux parties doivent chacune reconnaitre leur faute et être prêtes pour une sincère réconciliation. En ce moment où il n’y a plus de confiance, une tripartite serait la bienvenue !
Père Achiri Mbungong Kangong
Sur Twitter
Nous partageons la peine des camerounais après l’assassinat d’un prêtre catholique de la partie anglophone du pays. L’Eglise ne cessera pas d’appeler à la paix, à la réconciliation et au pardon. #buea #cameroun
— O.RIBADEAU DUMAS (@ORDUMAS) 21 juillet 2018
La situation sécuritaire se dégrade dans les deux régions anglophones du #Cameroun. Dernière victime en date: un prêtre catholique, le père Alexandre Sob, curé d’une paroisse de #Buea, la capitale de la région du Sud-ouest du payshttps://t.co/JPTjFAYwpj
— Vatican News (@vaticannews_fr) 23 juillet 2018