Les librairies, à la croisée de la foi et de la culture
Jean-Baptiste Passé, 36 ans, est directeur général de la libraire La Procure depuis octobre 2016. Le Salon du livre s’est achevé lundi 19 mars au Parc des Expositions. Coup de projecteur sur la pratique de la lecture religieuse et l’industrie du livre.
Quel regard portez-vous sur cette édition 2018 ? Quelle place les éditeurs religieux ont-ils eu sur le Salon ?
Le Salon du livre organise des regroupements thématiques qui permettent aux éditeurs plus modestes de se rassembler et de mutualiser les coûts d’achat de stands. Toutes les maisons d’éditions représentées au sein du bureau religion du Syndicat national de l’édition (SNE) étaient présentes sur le square religieux. Avec la libraire éphémère consacrée aux savoirs, seize éditeurs s’étaient regroupés dont la moitié d’éditeurs religieux : Mame, Artège, Bayard, Salvator… Nous étions légèrement placés en périphérie, d’où notre petite déception avec un millier de livres vendus. Car le flux massif des visiteurs se dirige d’abord vers les stands des éditeurs les plus connus qui font dédicacer leurs vedettes.
Comment se porte le réseau de La Procure ?
La Procure a trente-cinq librairies situées dans deux dynamiques différentes : nous exploitons neuf librairies à Paris, Versailles, Pontoise, et en Rhône-Alpes. Par ailleurs, il existe un réseau de libraires religieux indépendants franchisés, engagés dans le tissu local auprès des diocèses et des paroisses. C’est dans ce cadre et à l’initiative des librairies indépendantes que nous avons ouvertes fin 2017 une nouvelle librairie à Lille. Il y a quelques jours, nous avons aussi finalisé un accord avec l’archevêché de Bordeaux.
Vous essayez de conjuguer dans vos librairies deux spécificités : livres historiques et livres religieux… En quoi est-ce un atout ?
Qu’est-ce qu’un livre religieux ? C’est un débat sémantique qui est presque sans fin. Il est aujourd’hui difficile de ranger des auteurs dans une seule catégorie. Notre ligne éditoriale se situe à la croisée de la foi et de la culture. La Procure Générale du Clergé, fondée en 1898, proposait à l’origine des partitions musicales puis a progressivement élargi son offre aux livres et à l’ensemble des fournitures pour le clergé et les paroisses. Dans les années 1950-1960, nous avons proposé de la littérature dite « générale » dans un souci d’ouverture au monde. Il s’agit également de nous interroger sur la condition humaine et sur l’’approfondissement de la foi qui peut passer à la fois par de l’exégèse, de la christologie, de la patristique mais aussi par les sciences humaines, et des débats philosophiques pour nourrir cet enracinement qui nous est cher.
En quoi ce dialogue entre la foi et la culture est-il si fondamental ?
Ce dialogue est très important à la fois dans la compréhension globale du monde et de notre foi. C’est aussi une proposition qui invite le plus grand nombre à franchir le seuil de nos librairies, comme nous y invite le Pape François. Être une librairie exclusivement catholique pourrait nous enfermer. Nous souhaitons être le plus accueillant possible pour accepter chacun avec son niveau d’engagement chrétien et sa foi singulière.
Quelles sont vos plus grandes ventes de l’année 2017?
Jésus L’Encyclopédie de Mgr Doré publié chez Albin Michel et le livre entretien du Pape François avec le sociologue Dominique Wolton sont nos deux meilleures ventes. Nous attendons avec impatience l’exhortation du Pape qui sortira en librairie au mois d’avril.
Quels sont les auteurs chrétiens qui se vendent le mieux ?
Ils sont nombreux ! Je retiens surtout les livres du frère Adrien Candiard et de la théologienne Marion Muller-Colard se vendent très bien. Ces nouvelles plumes émergent parce qu’elles sont jeunes, qu’elles s’adressent aux nouveaux publics et qu’elles ont une approche contemporaine de la pratique de la foi.
Quelles sont les menaces qui pèsent sur les libraires ? Comment peuvent-ils surmonter les difficultés ?
Force est de constater que toutes les librairies sont fragilisées à cause des loyers élevés, de la désertification des centres-villes ou de la concurrence des grandes surfaces. C’est le problème macro du commerce traditionnel en France. Nous essayons de trouver des solutions logistiques, informatiques, et managériales… Car en termes de dynamique, je suis plus dans une logique de gestion de la décroissance. Nous devons gérer nos charges qui ont plutôt tendance à augmenter. Le métier de librairie nécessite de négocier ses loyers, de ne pas trop acheter de stocks et de s’occuper de la gestion de ses retours. Comme tout entrepreneur, nous devons avoir une gestion très fine. Par ailleurs, il est très important de ne pas céder aux sirènes de l’achat de livres en ligne et d’encourager les citoyens et encore plus les paroissiens à se déplacer dans les librairies religieuses
Êtes-vous pénalisés par l’achat de livres en ligne ?
L’aspiration à l’immédiateté touche aussi le public clérical et nos paroissiens. Nous devons relever le défi du commerce en ligne. Nous devons tous prendre conscience que ne pas acheter un livre dans une boutique de proximité, c’est potentiellement accepter que les librairies ferment ! Il faut prendre conscience de la richesse de l’existence de ces librairies. Dans le contexte actuel, il est important que chacun discerne et mesure les réelles conséquences de l’achat en ligne chez le prédateur américain. Nous proposons naturellement un service de vente en ligne avec notre site laprocure.com. Mais rien ne remplace l’échange humain en librairie.
À l’avenir, quelles autres solutions aimeriez-vous développer ?
D’ici cinq ans, si nous nous mobilisons pas et que l’Église de France ne prend pas acte de la nécessité d’aider, d’accompagner et de promouvoir la pratique de la lecture, fort est à parier qu’un grand nombre de librairies religieuses fermeront leurs portes. Les librairies religieuses ont besoin de l’appui des évêques. Dans un monde idéal, chaque évêché aurait sa librairie religieuse pour proposer une offre d’approfondissement culturel et spirituel au sein du diocèse.
Est-ce un appel au secours que vous lancez ?
C’est un cri d’alerte. La branche religion du SNE et le Syndicat du livre et de la librairie religieuse se réuniront les 1er et 2 juillet à Tours pour trouver des moyens de pérenniser le maillage.
Vous avez néanmoins engagé des partenariats avec plusieurs diocèses. Est-ce l’avenir de la librairie religieuse ?
Mgr Bernard Ginoux, évêque de Montauban, dans une action pastorale a décidé d’embaucher une libraire et de s’associer à La Procure pour développer une activité commerciale. À Bourg-en-Bresse (diocèse du Belley-Ars), nous exploitons la librairie et la salariée est payée par le diocèse. Cette équation permet de maintenir une librairie dans cette ville tout en mutualisant les coûts entre la librairie et le diocèse. C’est un modèle intelligent de collaboration. Autre exemple : le diocèse de Beauvais met à disposition un local en accordant un bail favorable à la présence d’une librairie religieuse. C’est un premier geste que pourrait proposer l’ensemble des diocèses.