Voyage des élus de la Province de Marseille au Vatican : entretien avec Mgr Pontier
Entretien réalisé le 12 mars, à l’issue de l’audience accordée par le pape François aux quelque 300 élus et évêques de la Province ecclésiastique de Marseille réunis pour quatre jours au Vatican. (La question migratoire était au centre du discours du pape. Le Saint-Père a évoqué les migrants et les réfugiés qui ont fui leurs pays à cause de la guerre, de la misère, de la violence et à ce qui a déjà été fait pour leur venir en aide. Il s’agit, pour lui, de persévérer dans la recherche de moyens compatibles avec le bien de tous, pour les accueillir, les protéger, promouvoir leur développement humain intégral et les intégrer.) Le but de cette visite était « d’aller à la rencontre des différents collaborateurs du Saint Père pour une plus grande connaissance de l’Église et de son fonctionnement » et « de permettre des échanges dépassionnés et des dialogues constructifs ».
Q/ Un voyage d’études à Rome pour mieux faire connaître l’Église catholique au monde politique. Un premier bilan ?
R/ On peut se réjouir de cette rencontre et du nombre d’élus qui ont répondu positivement, qui ont trouvé dans cette proposition quelque chose qui parait les intéresser bien sûr mais qui correspondait aussi à leur responsabilité. Il me semble que c’est cela qui a fait leur joie d’être ici et de vivre ce moment.Tout d’abord, ils se sont se retrouvés entre élus de la même Province, mais élus de bords différents – il y a eu une espèce de rupture, entre guillemets, des oppositions habituelles sur le terrain. On est venus ensemble pour créer des liens et pour réfléchir et travailler. Deuxième point important : la figure du pape François rejoint beaucoup de nos contemporains, dans la diversité bien sûr, parce que sa manière d’aborder les grandes questions part toujours des plus petits, des plus faibles et de la défense des droits de l’homme.
Q/ Est-ce que vous attendez des résultats concrets de cette démarche ?
R/ Non. Le premier résultat concret qu’on attend de cette tournée c’est de fortifier les liens : se connaissant, on arrive à faire davantage de choses ensemble, à la fois pour aider dans ce métier qu’est la politique et en même temps pour encourager les chrétiens à s’engager en politique et à inscrire à travers cette responsabilité, législative en particulier, des valeurs qui sont pour le bien commun et pour les plus pauvres. Ça oui.
Q/ Une telle initiative peut servir à mieux faire connaître l’Église catholique aux politiques. Mais vous ne pensez pas qu’elle peut aussi contribuer à mieux faire connaître la France au Vatican ?
R/ C’est sûr qu’il y a cet aspect aussi. Les personnes que nous avons rencontrées ont été surprises du nombre d’élus qui ont répondu positivement et donc ils voient que la France n’est pas quand même un pays totalement hostile au catholicisme et à la place des religions dans la société. Et donc il y a cette situation qui est la nôtre qui peut-être aujourd’hui retrouve intérêt à regarder positivement ce qu’apportent les religions.
Q/ La France est souvent perçue à Rome comme le bastion de la laïcité. La laïcité est un sujet sensible. Comment faire entendre le message de L’Église tout en restant dans le cadre politique laïc et républicain ?
R/ La laïcité n’est pas, à l’origine, une exclusion du religieux, bien au contraire. La laïcité a été faite pour que, de fait, le pouvoir civil et la religion soient indépendants. Il y a non pas une séparation mais une indépendance. Elle a été faite surtout pour permettre à tous les citoyens de vivre selon leur conscience à l’intérieur d’un même pays avec leurs valeurs et en particulier, comme l’affirme l’article premier, permettre la liberté de conscience, la liberté de religion et la liberté de culte. La laïcité porte cet objectif-là. Mais le débat s’est un peu durci ces temps-ci. On voudrait faire de la laïcité comme une religion, mais finalement une religion fermée, pas une religion ouverte, une religion qui exclurait de l’espace public tant de choses et entre autres les idées et la manifestation de la foi religieuse. Et ça ce n’est pas la laïcité à la française. La laïcité à la française est une laïcité d’accueil et d’autorisation, de possibilité donnée de rendre compte de ce à quoi on croit.
Q/ L’Église veut faire entendre son message. Quels sont les thèmes qui lui semblent prioritaires actuellement en France ?
R/ Je pense que les questions essentielles sont celles qui touchent à l’anthropologie : qu’est-ce que l’homme ? Cette question, on la retrouve sous-jacente à beaucoup de réflexions de société. Aujourd’hui on a une vision très individualiste de l’homme, qui part de ses désirs, rien n’est bien objectivé. On a l’impression qu’on a une société qui suit le courant mais qui ne le maîtrise pas et qui ne l’oriente pas. Donc, on a vraiment besoin de connaître ce qu’est l’homme. Et en particulier de retrouver dans le visage de l’homme le sens des responsabilités, le sens du bien commun, le sens du bien de l’autre et non pas ce glissement qui fait qu’on part des désirs et le désir devient un droit. Et ça c’est assez catastrophique. Voilà le premier point.
Le deuxième point : je crois que c’est de réussir ce qu’on appelle souvent « la société du dialogue » mais on n’arrive pas bien à la vivre parce que c’est difficile le dialogue, parce qu’il y a des difficultés réelles. Et je pense en particulier au dialogue avec l’islam actuellement dans notre société ; on voit beaucoup de progrès, on voit des musulmans qui en prennent conscience et qui montent en avant, et ça c’est très bien. Il faut espérer qu’ils soient représentatifs et suivis par les leurs. C’est un deuxième point très important.
Un troisième aspect dans la vie de notre pays, de la France, c’est la jeunesse et c’est trop dramatique qu’il y ait tant de jeunes qui n’ont pas de formation, tant de jeunes qui n’ont pas de perspectives professionnelles ; là il y a tout, tous les ingrédients, pour que nous ayons des ghettos très violents. La reprise en main du monde des jeunes, la réflexion pour leur fournir un avenir me parait aussi un troisième lieu d’efforts très important.
Q/ Vous avez été reçus en audience par le pape François ainsi qu’à la Secrétairerie d’État du Saint-Siège – par le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’État, et par Mgr Paul Gallagher, secrétaire pour les Rapports avec les États. Qu’avez-vous retenu de ces rencontres ?
R/ A la Secrétairerie d’État, ce qui m’a frappé, outre le discours bien sûr du cardinal Parolin, dont je connaissais le contenu, ce sont surtout les questions posées par les élus, des questions très fortes, très riches : les relations du Vatican avec la Chine, les migrants, le dialogue interreligieux, la situation de Jérusalem, la place de la femme dans l’Église et dans la société… des sujets qui préoccupent les élus dans leur responsabilité. Et, ils n’ont pas hésité à les poser. On a eu des réponses très équilibrées de la part de nos deux interlocuteurs.
Avec le Saint-Père, la charge émotive ou spirituelle est plus forte que tout ; il y a quelque chose qui dépasse le rationnel. Ce qui m’a frappé c’est la joie et l’émotion des élus d’être en présence du pape, de pouvoir lui serrer la main, et de pouvoir entendre les mots qu’ils nous a dit. Mais c’est surtout symbolique, j’allais dire ; son discours, il faudra le relire. Mais les élus étaient pris non pas tant par le contenu mais par le moment qu’on était en train de vivre et qu’ils n’avaient jamais imaginé pouvoir vivre.
Q/ Toutes tendances politiques confondues ?
R/ Absolument ! Aucun n’a manqué cette séquence.
Q/ Un voyage du pape en France. C’est la question que tout le monde se pose. Qu’est-ce qu’on peut en dire à l’heure actuelle ?
R/ On peut dire que la question est posée, que la question a été bien reçue et qu’il s’agit maintenant de la mettre dans le calendrier du Saint-Père. J’espère pour ma part, soit dans la deuxième partie de 2018, soit en 2019. Mais voilà : depuis qu’on repousse le calendrier, j’espère que cela va se faire pour de bon.