Homélie de Mgr Lebrun à l’occasion du 1er anniversaire de l’assassinat du Père Jacques Hamel
Messe du 1er anniversaire de l’assassinat du Père Jacques Hamel
Saint-Etienne du Rouvray – 26 juillet 2017
Homélie par Mgr Dominique Lebrun, archevêque de Rouen
Lectures : Si 44, 1.10-15 ; Ps 131 ; Mt 13, 1-9
« Celui qui a des oreilles, qu’il entende ! » dit Jésus (Mt 13, 9)
Dans cette église, le Père Jacques Hamel parlait le langage de l’amour. Dans cette église, le Père Jacques Hamel a été réduit au silence. Il ne parle plus.
Or, le Père Hamel parle encore. Sa vie, sa mort parlent bien au-delà de ce qu’il aurait pu imaginer. Sa vie, sa mort, parlent, inspirent mais aussi crient. Sa vie, sa mort s’adressent à chacun d’entre nous selon sa propre vie, selon ses propres questions ou ses convictions.
Tout au long de l’année, nous avons crié quand des images atroces revenaient à notre mémoire, le jour et, parfois, la nuit. Tout au long de l’année, nous avons crié quand nous n’étions plus « les derniers à pleurer » selon la belle espérance de M. Wulfranc (cf. Paroles d’Hubert Wulfranc, 26.07.2016). Tout au long de l’année, nous avons crié car « tuer au nom de Dieu » est inhumain, contraire à l’humain. Comme l’a dit la Maman de l’un des assassins, à nous : « comment Dieu qui nous a créés pourrait-il prendre du plaisir à nous voir nous entretuer ? »
Sa mort, sa vie crient mais elles inspirent. Des hommes et des femmes, j’en suis témoin, cherchent de nouveaux chemins. Ils les cherchent en découvrant et recevant le Père Jacques Hamel dans leur vie : un homme parmi les hommes, un prêtre parmi les prêtres, fidèle, simple, ordinaire. Alors, des artistes se mettent à composer des poèmes, écrivent des livres, réalisent des objets d’art … d’autres choisissent le silence pour mieux entendre le Père Jacques Hamel.
Sa vie, sa mort crient, inspirent et parlent. Elles parlent même doucement. La Parole, dit Jésus, est comme une semence, des grains qui tombent sur le sol. Cela ne fait guère de bruit. Le Père Jacques Hamel parle doucement quand apparaît dans notre cœur non plus des images atroces mais sa discrétion, sa persévérance, sa fidélité, sa générosité, sa vie donnée. Sa vie, sa mort parlent quand, dans notre cœur, nous apercevons les premiers fruits du drame : l’amitié, la concorde, le dialogue, en somme l’amour vainqueur, bien au-delà de ce que nous aurions pu imaginer.
La Parole est comme une semence, dit Jésus. Pour donner du fruit, elle a besoin de la terre. Pour porter du fruit, la Parole, c’est-à-dire en fait l’amour, a besoin de la terre. Dieu a besoin de nous !
Alors, aujourd’hui, Jésus nous interroge : sommes-nous la bonne terre ? Il relève trois obstacles à la fécondité de la Parole, qui est de l’amour.
En premier, le bord du chemin où les moineaux font disparaître la semence. Nous pouvons nous mettre au bord du chemin, celui de l’histoire des autres, celui de l’histoire tout court. Ce peut être une tentation pour les chrétiens, se mettre hors-jeu, en jugeant les autres, en condamnant de notre petite hauteur, en sachant tout. Cela, se mettre hors-jeu, ne produit aucun fruit. L’amour disparaît sans avoir fécondé la terre.
Le deuxième obstacle, c’est le sol pierreux. Comment est notre cœur ? S’est-il endurci devant l’épreuve ou bien la blessure l’a-t-il ouvert pour rencontrer les autres, et d’abord les autres blessés de la vie, quels qu’ils soient ? Sur le sol pierreux, la plante commence à pousser mais elle manque de racines. Beaucoup d’hommes, pas seulement les chrétiens, pas seulement ceux qui se rassemblent dans une communauté savent que la prière permet à l’amour de Dieu de s’enraciner dans le cœur. En fait nous pouvons faire l’expérience que la prière ne comble pas mais creuse le désir de l’amour.
Enfin, Jésus met en garde contre les ronces qui étouffent. Quelles sont-elles sinon l’agitation du monde qui envahit nos meilleures intentions ? Comment ne pas ici vous remercier, Monsieur le président, d’avoir voulu que soit respectée la prière chrétienne. Les ronces, quelles sont-elles sinon ces addictions, ces drogues, ces idéologies qui peuvent emporter les enfants, les jeunes, les plus fragiles dans des cercles de violences incontrôlables ? Quelles sont-elles sinon ces mensonges, ces jalousies, ces désirs de paraître, ces injustices qui étouffent notre joie de vivre ensemble ?
Frères et sœurs, Jésus dira aussi : « Si le grain tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt il porte beaucoup de fruits » (Jn 12, 24). Jésus parlait de sa mort. Il parlait aussi de la mort de tous les hommes qu’il a uni mystérieusement dans sa mort, pour qu’ils vivent avec lui, le premier des ressuscités. Le Père Jacques n’est pas mort seul. Il est mort avec Jésus dont il venait de prononcer les paroles sur l’autel : « Ceci est mon corps, livré pour vous ». A chaque eucharistie, nous entendons la Parole de Dieu, nous la célébrons dans sa vie donnée en Jésus, pour tous et à tous.
Que notre eucharistie ce matin, frères et sœurs, comme celle que chaque prêtre célèbre avec un seul, comme dans certains pays, ou cinq fidèles, ou bien avec des milliers. Que cette eucharistie nous entraîne à accueillir l’amour, l’amour qui résiste aux ronces, l’amour qui s’enfouit au plus profond de nos cœurs pour donner les fruits tant attendus par notre prochain qui est parfois lointain.