Père Antonio Spadaro : « La toile est un tissu de la société »
Dimanche 2 juillet 2017, le Père Antonio Spadaro, directeur de la revue jésuite La Civilta Cattolica et auteur de Cyberthéologie et Quand la Foi passe par le réseau intervenait au forum e-mission qui se tenait dans le diocèse de Toulon. Ses propos sur les challenges pastoraux autour du monde numérique ont été retranscrits ci-dessous. L’intégralité de son intervention est disponible en podcast sur Radio Maria.
Que sont Internet et les réseaux sociaux selon vous ?
La toile est un tissu de la société : elle unit les personnes sur la base de leurs aspirations enracinées dans les besoins de l’homme. En cela elle répond à des besoins anciens (relations, connaissance), dans une forme nouvelle. La toile n’est donc pas une option, c’est un fait ! S’agissant des réseaux sociaux, il est important pour les chrétiens de recourir à la théologie spirituelle pour en comprendre leur nature profonde, en relation avec la vie de l’esprit. Les réseaux sociaux peuvent contribuer à répondre aux besoins de sens, de vérité et d’humanité des personnes. Ce n’est pas un environnement froid.
Internet est-il selon vous un moyen d’évangélisation ?
Pour vous répondre, j’aurai recours à une comparaison. En anglais, pour désigner la maison, il y a deux termes : « house » qui se réfère aux murs et aux structures, et « home » qui désigne le lieu d’expériences relationnelles. Trop souvent nous pensons Internet comme une « house » alors qu’elle est « home », c’est-à-dire un nouveau contexte existentiel. En cela, Internet n’est donc pas un moyen d’évangélisation ! Il s’agit plutôt d’un environnement d’évangélisation. En d’autres termes, en tant que chrétiens, nous nous devons de vivre l’Évangile et d’annoncer le Seigneur dans cet environnement numérique, qui par ailleurs n’est ni un monde parallèle, ni un monde virtuel. La différence ne se situe pas entre le réel et le virtuel, mais entre le physique et le numérique. L’amitié numérique, c’est du réel ! De même, on peut avoir une vie de foi numérique, bien réelle !
Quels défis pose cet environnement numérique, notamment en terme de pastorale ?
Internet peut nous amener à perdre l’habitude de nous interroger. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à regarder la façon dont nous interrogeons les moteurs de recherche, par des mots clefs sans syntaxe ! Parfois même, les applications, via la géolocalisation notamment, nous donnent des réponses avant même qu’on ne se soit posé la question (exemple : tel restaurant à proximité du lieu où vous vous situez).
Or en terme de pastorale, le Pape François nous invite à « ne jamais répondre à des questions que personne ne se pose » (Evangelii Gaudium n° 155). Il ne faut pas sur le net présenter l’Evangile comme le livre qui contient toutes les réponses importantes pour la vie de l’Homme, mais toutes les questions ! Souvenons de l’attitude du Christ lorsqu’il rencontre les disciples d’Emmaüs : il prend le temps de les écouter, il s’implique dans leurs questions et leurs doutes. A notre tour, nous devons rejoindre nos contemporains dans leurs inquiétudes, écouter leurs demandes, et seulement proposer l’Evangile ensuite. Il est urgent de passer d’une pastorale de la réponse à une pastorale de la question.
Finalement qu’est appelé à vivre le chrétien sur le net ?
Il s’agit finalement pour le chrétien de vivre l’environnement numérique avec toute la force de sa vie physique : la même morale, la même curiosité, la même envie de vivre. Tout en étant conscient que les caractéristiques de cet environnement sont différentes, notamment par son aspect social. Autrement dit, Internet est un environnement où la connaissance ne se transmet plus : elle se partage. En partageant, notamment sur les réseaux sociaux, on s’implique soi-même. Il y a donc un enjeu à passer d’une pastorale de la transmission à une pastorale du partage et du témoignage. Or le témoignage chrétien, ce n’est pas un bombardement de messages religieux !
Enfin, le chrétien se doit de relever les défis que l’utilisation des réseaux sociaux implique pour tout un chacun :
– Le risque d’être toujours en connexion avec les autres mais de ressentir une solitude physique importante sans prendre la peine de connaître son voisin, ce que j’appelle vivre « alone together »
– Le risque de vivre dans une bulle filtrée par les algorithmes qui ferait perdre au chrétien le goût du dialogue et l’acceptation de la différence.