Un colloque sur les liens entre le religieux et le politique
Archevêque émérite de Lille, Mgr Gérard Defois a suscité, avec la faculté sociale de l’Institut catholique et la faculté dominicaine du Saulchoir le colloque intitulé « Le religieux et la cohésion nationale : du Concordat de Bologne à la séparation » à la Catho de Paris, les 13 et 14 octobre 2016. Il souhaite ainsi faire avancer la réflexion sur la laïcité à la française.
Pourquoi marquer l’anniversaire du Concordat de Bologne de 1516 ?
Ce Concordat a été réalisé entre 1515 (Marignan, le grand succès de François 1er) et 1517 (le début du protestantisme). Il advient à un moment capital, dans l’histoire de France d’une part et dans l’histoire du christianisme d’autre part. Le fait que le roi ait en main la nomination de tous les évêques et abbés de France faisait de l’Eglise pour lui un instrument politique. D’une certaine façon, la chrétienté était gouvernée par l’Etat. L’Eglise a été impliquée dans des questions politiques. Et les questions religieuses sont devenues politiques. D’où il ressort que les guerres de religion ont été autant politiques que religieuses. Toute la vie politique était marquée par la religion et inversement. Cela sera modéré par Henri IV avec l’Edit de Nantes (1598) et ensuite « radicalisé » par Louis XIV avec la révocation de l’Edit de Nantes (1685). Le tout sur fond de guerres et de violences extraordinaires. Je pense que s’il y avait eu une distinction nette entre le temporel et le spirituel, il n’y aurait pas eu ces graves malentendus et notamment la révocation de l’Edit de Nantes, faute politique très lourde de conséquences, car elle a entraîné une opposition à l’Eglise catholique. Et c’est là mon hypothèse de fond : cette rupture historique est la base même du laïcisme à la française.
Il est important est de voir comment, à la Révolution, la puissance de la chrétienté a généré une haine de la foi, contre les seigneurs et contre les évêques – qui en général étaient aussi des seigneurs. Ensuite, Napoléon, pour se rendre maître de la religion, a mis en place le Concordat de 1801. Il a sécularisé la religion en service de l’Etat. Cela a nourri , là aussi, étant donné que Napoléon s’est fait « sacrer » comme les rois d’autrefois, un refus du religieux, une agressivité, une hantise du pouvoir de l’Eglise qui a perduré tout au long du XIXème siècle. En Europe, ce laïcisme – cette peur du pouvoir de l’Eglise – a été au premier rang de l’opposition au catholicisme.
C’est ce qui fait qu’aujourd’hui le laïcisme à la française est beaucoup plus agressif et beaucoup plus aigu que dans d’autres pays, comme l’Angleterre ou même l’Allemagne, où l’on accepte une pluralité de religions. En réalité, ce qui est en cause derrière cela, c’est le monopole religieux et politique entre les mains du roi créé par le Concordat de Bologne.
Qu’attendez-vous de ce colloque ?
Je souhaite faire qu’avance la réflexion sur la laïcité et montrer que ce que le Concile a apporté comme distinction entre les pouvoirs temporels et les responsabilités spirituelles est toujours important. Car nous voyons continuellement ressurgir des réflexes de laïcisme dans notre société, comme si n’avait jamais existé cette évolution de la particularité de l’Eglise catholique. Pourtant aujourd’hui l’Eglise ne prétend absolument pas gouverner l’Etat, mais elle entend se comporter en tant que réalité citoyenne de notre pays.
Ce qui dédramatise la question religieuse à une période où, dans certains pays arabes, la religion musulmane est confondue avec des intérêts politiques. Je pense que cette recherche universitaire est d’une très grande actualité.
Je suis universitaire de formation. J’ai pensé qu’avec l’Institut Catholique d’une part, avec les chercheurs Dominicains d’autre part, cela pouvait être utile. Nous avons ensemble invité des historiens de toute obédience spirituelle à apporter leur pierre, au nom de leur compétence, pour comprendre comment, par exemple, cette vision monopolistique à la fois religieuse et politique a entraîné le Jansénisme et même un certain intégrisme jusqu’à nos jours.
Comment peut-il éclairer les relations Eglise-Etat aujourd’hui ?
Dans le contexte de la loi de séparation de 1905, qui reconnaît la liberté et la responsabilité de la conscience, la pluralité religieuse fait partie de notre société. Pour nous, il ne s’agit pas de la recherche d’un monopole mais de faire connaître les positions des chrétiens, comme citoyens et partenaires de la vie publique. Notre histoire nous précède et explique des attitudes en notre temps, comme par exemple le caractère agressif du laïcisme, sa virulence en matière scolaire qui trouve à mon sens son origine dans cette prétention monopolistique « consacrée », d’une certaine façon, par le Concordat de Bologne.
Laïcisme ou laïcité ?
« La laïcité, qui est tout à fait honorable, précise Mgr Defois, est devenue agressive et anti-cléricale à cause de ce monopole du religieux érigé en principe par le politique. Au fond, la laïcité est basée sur la pluralité des familles spirituelles, morales et religieuses. Le laïcisme est le refus du monopole de l’Eglise sur l’Etat. Or en réalité, après Bologne ce fut tout autant le monopole de l’Etat sur l’Eglise ».