Mgr Sako appelle à ouvrir la voie de la réconciliation

Le Patriarche Louis-Raphaël Sako, Président de l’Assemblée des Évêques catholiques d’Irak a envoyé un appel à tous les membres du gouvernement et du Parlement irakiens le 6 août 2015. Un an après la tragédie de Mossoul et dans la plaine de Ninive, ouvrir la voie de la réconciliation.

Cardinal Sako

Un an après avoir été déplacés, chrétiens et Yézidis vivent toujours dans des camps et des conditions difficiles aux niveaux physique, psychologique et social, leur terre étant occupée et leur héritage menacé de disparaître, ce qui s’accompagne de milliers de morts irakiens musulmans, de plus de trois millions de réfugiés et de l’effondrement quasi-complet des infrastructures.

Les groupes extrémistes arborant des habits religieux et ayant recours à la violence pour étendre leur contrôle et leur idéologie sont dangereux pour tout le monde. C’est pourquoi, tous les politiciens et membres du gouvernement devraient s’engager à entrer dans un dialogue véritable et à prendre des initiatives qui permettent la réconciliation, le rétablissement de la confiance et des relations de collaboration favorables à la paix, les opérations militaires ne pouvant suffire par elles-mêmes.

Il faudrait que cette réconciliation nationale se fonde sur des principes humains fondamentaux, puisqu’aucun projet sérieux – surtout s’agissant d’un projet moral tel que la « réconciliation nationale » ‒ ne peut aboutir si nous ne disposons pas d’un objectif clair pour le pays, d’un modèle d’État à construire et de moyens efficaces pour le mettre en œuvre. Nous nous trouvons dans des conditions tragiques et les conflits font rage. Tout le monde sait parfaitement que certaines forces veulent le maintien de cet état de fait jusqu’à ce qu’on en vienne à l’éclatement !

Le danger et ses conséquences pourraient amener les fils et les filles de notre terre à faire l’unité ! Et pourtant, la réconciliation reste la seule option possible pour notre citoyenneté commune.
La tâche de réconciliation nationale est à la base de tout. C’est la condition indispensable pour que les conflits cessent et que le tissu national soit restauré. Cette réconciliation doit être entreprise avec franchise et en reprenant en considération notre progression commune au cours de l’histoire. Elle part de nous-mêmes, passe par nos frères et sœurs et va jusqu’à notre réconciliation avec Dieu.
La réconciliation avec nous-mêmes est le plus gros effort qu’il nous faille entreprendre pour que notre conduite extérieure coïncide avec nos convictions intérieures véritables, sans cacher notre désir d’unité et d’harmonie.

La réconciliation avec nos frères et sœurs en humanité se fonde sur le fait que nous nous considérions les uns les autres comme partenaires et non comme adversaires

La réconciliation avec nos frères et sœurs en humanité se fonde sur le fait que nous nous considérions les uns les autres comme partenaires et non comme adversaires. Nous devons nous efforcer d’élaborer des relations authentiques et honnêtes les uns avec les autres, en faisant preuve de compréhension, en nous acceptant entre nous, et en ne cherchant ni à posséder ni à détruire les biens les uns des autres.
De plus, il nous faut réfléchir sérieusement aux moyens de débloquer les routes, d’abattre les murs et de supprimer les barrières psychologiques, afin que nous puissions nous considérer réciproquement entre nous comme des personnes libres et responsables, dans le respect de nos diversités et de nos différences d’opinions. Nous serons ainsi plus résistants et plus unis contre les forces qui tentent de nous diviser et de nous détourner les uns des autres.
Le pouvoir ne se limite pas à la suprématie, l’exclusivité, la supériorité et l’acquisition de biens, mais il entend servir les autres et leur bien commun, surtout lorsqu’ils sont démunis et opprimés.
La réconciliation avec Dieu consiste dans une relation personnelle et autonome qui passe par la réconciliation avec nous-mêmes et avec nos frères et sœurs. Cette relation étroite et très respectueuse avec Dieu nous fait parvenir dans les profondeurs de nos relations à nos frères humains. Elle imprègne nos relations avec les autres d’une infinie tendresse, amitié et nous fait désirer communiquer plus librement entre nous et renforcer notre collaboration.
Le véritable fondement de la réconciliation, c’est la loyauté envers l’Irak – unique patrie commune de la population, et pas seulement celle de quelques personnes ou groupes individuels.
Les oppositions existant dans la population constituent un phénomène sain, si nous apprenons à nous en servir de façon civilisée, en nous fondant sur le dialogue, la négociation et en donnant la priorité au bien commun. Ces oppositions font tout à fait partie de la richesse de notre culture et de notre pratique historique et sociale, tant qu’elles sont un lieu de rencontre loyal, même s’il peut s’avérer difficile, mais fondamentalement humain et joyeux permettant à la vie de s’écouler dans le plus grand respect les uns des autres, au sein même de nos différences.

Se réconcilier, c’est prendre ses responsabilités avec détermination et confiance, avec dévouement, sagesse et clairvoyance, et savoir faire des concessions pour permettre la paix, la stabilité et la prospérité du pays en vue du bien-être de ses habitants. Notre force actuelle réside dans notre économie et non dans la puissance de notre armement militaire. Notre économie devrait donc contribuer à démanteler les réflexions qui reposent à l’excès sur les forces armées !
Il est fondamental d’opter pour la réconciliation nationale et politique dans les circonstances actuelles, et cela requiert de réexaminer les institutions existantes et leur pertinence pour notre époque. Nous devons nous organiser autrement, en nous fondant sur des conceptions mieux adaptées et plus efficaces de ce que pourrait être un État civil moderne et solide, qui s’avère viable et puisse porter les idéaux les meilleurs et les plus réalistes de ses habitants. Cet État ne devrait pas se caractériser par sa simple incapacité à s’effondrer mais s’avérer nécessaire par lui-même, en se faisant confiance et en se montrant soucieux et attentif à l’égard des états voisins et de la communauté internationale.

Il faut donc :
– promouvoir une économie prospère qui permette de résoudre le chômage, d’édifier de solides infrastructures, de fournir des services de qualité aux citoyens et de contribuer à la stabilité nationale – et c’est bien ce dont les gens rêvent ;
– mettre en place un nouveau type d’enseignement un nouveau cursus pour y parvenir et des moyens de communication constructifs, car c’est par la prise de conscience et l’éducation que l’on peut éliminer les idées extrémistes qui engendrent la haine et la violence ;
– rendre à la classe moyenne son rôle – ce qui est d’une importance capitale puisque c’est elle qui permet la mobilité sociale et économique ;
– avoir un discours religieux qui conserve son rôle prophétique courageux dans la défense des droits de chacun et la détermination de ses responsabilités. En parlant de ce rôle prophétique, nous voulons dire que le discours religieux des autorités devrait contribuer au développement et à la stabilité de la société, et l’orienter vers ses valeurs les plus hautes.
– Le gouvernement irakien devrait promulguer une loi criminalisant les activités qui font outrage à la religion et à ses lieux saints, ainsi que toutes les formes de discrimination qui répandent la haine et la division, quels que soient leurs modes d’expression.
Enfin, il est urgent de souhaiter une véritable réconciliation nationale pour parvenir à une paix durable et permettre à toutes les populations déplacées, quelle qu’en soit l’appartenance, de retrouver leurs maisons, leurs champs, leurs villes et leurs activités professionnelles. Ce à quoi nous devons parvenir par cette réconciliation, c’est à l’audace et au courage d’une volonté politique pour adopter une position nationale et morale qui sauve le pays et ses habitants.

Patriarche Louis-Raphaël Sako,
Président de l’Assemblée des Évêques catholiques d’ Irak

 

NB Cet appel a été envoyé à tous les membres du gouvernement et du Parlement irakiens.

Traduction de l’original anglais,
Conférence des Évêques de France
Marie-Cécile Dassonneville

 

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