« Abraham, père des croyants musulmans et chrétiens », homélie de Mgr Landel

Vous avez dû être surpris de prier aujourd’hui avec les textes de Saint Abraham ; l’idée m’est venue car ce pèlerinage des sept dormants est un lieu de rencontre entre chrétiens et musulmans, rencontres, non seulement humaines, mais aussi spirituelle ; et au Maroc nous avons dans notre propre liturgique cette messe spéciale de Saint Abraham.
Et en rentrant dans cette célébration je voudrai reprendre cette parole d’Abraham dans la sourate 14 du Coran : « Seigneur fais jouir cette cité d’une sécurité confiante, épargne moi, avec les miens, du culte des idoles infamantes »
Et l’Evangile de Jean nous invite à l’allégresse : « Abraham votre Père, a tressailli d’allégresse dans l’espoir de voir mon jour. Il l’a vu, et il a été dans la joie »

Ainsi rentrons dans cette eucharistie avec la même allégresse qu’Abraham le Père des croyants. Chrétiens et musulmans
– nous sommes invités à une vie de foi authentique
– nous sommes invités à nous reconnaître et à nous respecter dans nos fois respectives
– nous sommes invités à mieux nous comprendre pour, comme nous y invite le 2° Synode sur l’Afrique d’octobre dernier, travailler ensemble pour la paix, la justice et la réconciliation.

Même si je ne connais pas tout votre patrimoine culturel et spirituel, ces sept dormants ne me sont pas inconnus.

– En effet, à Rabat, lorsque je rentre à « La Source » qui est une bibliothèque universitaire animée par l’Eglise, une photo de Louis Massignon trône au milieu de la cheminée du salon ! N’est-ce pas lui qui a relancé ce pardon !

– Et à chaque fois qu’il m’arrive d’aller à la Trappe de Notre Dame de l’Atlas, qui est au Maroc, la suite de la Trappe de Thibbarine, je suis invité à la prière par une icône représentant les sept moines, couchés dans une grotte. Comment ne pourraient-ils pas me rappeler vos sept dormants ! Surtout en me rappelant la naissance de la vocation de Frère Christian de Chergé qui nous dit lui-même :
« Parvenu à l’âge d’homme, et affronté, avec toute ma génération, à la dure réalité du conflit de l’époque (la guerre d’Algérie), il m’a été donné de rencontrer un musulman mûr qui a libéré ma foi en lui apprenant à s’exprimer comme un climat de simplicité, d’ouverture et d’abandon à Dieu englobant tout naturellement les relations, les événements et les menus faits du quotidien. Notre dialogue était celui d’une amitié paisible et confiante qui avait Dieu comme horizon, par-dessus la mêlée…..
Il savait que j’étais séminariste et je le voyais pratiquer prières et jeûnes avec un cœur enjoué. Cet homme illettré ne se payait pas de mots ; incapable de trahir les uns pour les autres, ses frères et ses amis, c’est sa vie qu’il mettait en jeu malgré la charge de ses dix enfants. Il devait concrètement exprimer ce don en cherchant à me protéger ; et il fut tué à ma place.
dans le sang de cet ami musulman, j’ai su que mon appel à suivre le Christ devrait trouver à se vivre, tôt ou tard en Algérie »
C’est ainsi que Frère Christian sera priant au milieu d’autres priants en Algérie.
Et ce témoignage qu’il a laissé avec ses frères, nous essayons de le vivre dans notre Eglise au Maroc. : « Accepter d’être des croyants et des priants au milieu d’autres croyants et priants ».

C’est une conviction qu’il faut nous redire sans cesse, car nous avons tellement de préjugés les uns sur les autres. C’est ainsi que nous sommes invités à vivre un dialogue islamo chrétien, dans la vie avant tout autre chose, puis éventuellement dans un partage de nos expériences spirituelles et très rarement dans un dialogue de type plus théologique.
Dieu c’est au cœur de nos vies que nous le découvrons !
C’est tout le rôle de l’Eglise par rapport aux chrétiens de passage qui risquent d’arriver avec leurs idées ; le témoignage ne passe pas par des idées, mais par la vie concrète. Il nous faut aider les chrétiens à rentrer dans cette démarche d’humilité, de respect, d’accueil, d’écoute, de rencontre, d’approfondissement de notre foi.

– Pour aller au cœur de la foi de l’autre, il faut accepter de renoncer à la discussion à base d’arguments ressassés pour s’appliquer avec toute son attention à écouter le témoignage de l’autre, à tour de rôle, dans une attitude de respectueux accueil Ce n’est pas tous les jours faciles, car la tentation est grande de vouloir faire de l’apologétique. Il faut du temps pour arriver à rentrer dans cette pauvreté et cette apparente inefficacité. C’est là que les chrétiens ont besoin d’être accompagnés pour comprendre que tout le monde n’a pas une culture occidentale !

– Le vrai dialogue, c’est ce que l’on a coutume d’appeler dialogue spirituel, lorsque chacun peut rendre compte, dans une grande liberté mutuelle, de son expérience de Dieu. Alors on ne se retrouve plus face à face, mais on regarde ensemble vers Dieu. On ne reste pas enfermer dans la forteresse de sa doctrine, mais on se retrouve ensemble, tous deux désarmés, devant le mystère de Dieu Ce sont des situations qui arrivent au terme d’une longue amitié. Et avec beaucoup de gratuité.

– Ce dialogue et cette rencontre se fait d’abord par une présence toute simple, par une participation commune à des activités communes dans tout type d’associations, par du travail à caractère sanitaire ou éducatif (Nous avons 15 écoles catholiques où la grande majorité des directeurs sont musulmans, tous les enseignants sont musulmans, tous les élèves sont musulmans, nous enseignons le Coran car c’est une matière d’examen….et c’est moi archevêque catholique qui suis responsable de ces écoles, et les élèves sont fiers d’en être membres) Ces écoles sont un lieu inimaginable de dialogue islamo chrétien sans chrétiens, car nous avons un projet éducatif basé sur le fait que « tout homme est aimé de Dieu »)

– Ce dialogue et cette rencontre demande un grand dépouillement, car les manières de faire de nos frères ne sont pas forcément les nôtres
Le temps du Maroc n’est pas forcément celui d’un européen
L’efficacité au Maroc n’est pas forcément celle de notre culture européenne
Il faudra du temps pour que la confiance naisse, une confiance qui ne se laisse pas arrêter par des « mais » et des « pourquoi » Mais une confiance qui se vit dans la vérité et qui demande du temps pour s’élaborer. Mais que de choses magnifiques ont y contemple !

L’Eglise instituée se doit d’accompagner tous ces chrétiens de passage ou tous ces touristes ; mais quelle joie de s’apercevoir que des chrétiens redécouvrent une vie d’Eglise après deux ans avec nous, ou bien ces touristes qui s’étonnent d’un tel tonus de l’Eglise en terre d’Islam !

Oui qu’Abraham continue à se réjouir en voyant des chrétiens et des musulmans qui se rencontrent !
D’ici quelques jours, nos frères musulmans vont entamer le mois du Ramadan. Que les sept dormants que nous honorons aujourd’hui nous aident à les accompagner dans leur démarche spirituelle.

AMEN

Mgr Vincent Landel s.c.j ; Archevêque de Rabat, le 25 Juillet 2010
 

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