Eclairage : qu’est-ce qu’un pèlerinage?
Par le Cardinal Jean-Marie Lustiger
Le mot est susceptible de prendre bien des sens : on peut faire un pèlerinage sur un champ de bataille, sur un lieu où s’est produit un événement important, ou bien à une maison familiale, à un endroit auquel on est attaché par une expérience personnelle.
Est-ce de cela qu’il s’agit quand nous nous rendons en pèlerinage en Terre Sainte ? En un sens oui, dans la mesure où les lieux eux-mêmes sont l’objet d’une étude qui permet de les identifier et de dire avec certitude, à plus de vingt siècles de distance : voilà des traces précises d’une ville, d’un site, d’un toponyme dont nous parlent les Écritures. Oui, car nous pouvons confronter la Parole de Dieu écrite et transmise dans la Bible avec ce que le paysage « dit » aujourd’hui.
Mais une telle confrontation n’est pas du même ordre que la démarche de pèlerinage sur un simple lieu historique. Pourquoi ? Parce que la Parole de Dieu n’est pas un livre d’histoire antique, au même titre que la Guerre des Gaules, le De bello gallico de César, que nous aurions à la main en cherchant indéfiniment Alésia jusqu’à la découverte du casque de Vercingétorix.
La Parole de Dieu est notre nourriture quotidienne, pour ceux d’entre nous qui croient et prient, sans exclure pour autant ceux qui n’ont pas la foi. En disant ce que nous vivons, nous ne faisons qu’un avec eux : ils prendront durant ce pèlerinage ce que Dieu leur donnera le goût de prendre. Cette Parole, nous la méditons. Pas seulement comme on relit un texte intéressant car Dieu lui-même nous parle dans cette Parole. Bien sûr, elle n’est pas une parole magique comme la traitaient ces anciennes traditions rurales, où l’on roulait de petits fragments de l’Évangile de Saint Jean, après les avoir bénis : on les mettait dans les étables pour guérir les bœufs ! La Parole de Dieu agit dans nos cœurs par la foi. Elle nous dit ce que Dieu veut nous dire, à travers les merveilles qu’il a faites et continue de faire pour nous quand nous nous ouvrons à sa Parole.
Lorsque nous allons en pèlerinage en Terre Sainte, une autre dimension intervient : non plus celle du temps, mais celle de l’espace, puisque nous retrouvons l’assise matérielle des lieux où se sont accomplis les événements fondateurs par lesquels Dieu a manifesté sa Parole. Or l’espace est aussi fragile, sinon plus, que la parole et la mémoire humaines ! La preuve, tout change : on détruit pour construire des routes ; incendies, ravages de toutes sortes sévissent et beaucoup de vestiges sont perdus, parfois retrouvés ; et le travail scientifique consiste à avancer et vérifier des hypothèses. Mais, une fois qu’on a pu restituer les lieux : « c’était là, ce n’était pas là ; c’est beau ! » que reste-t-il ? On ne visite pas la Terre Sainte comme un champ de bataille ! Nous ne pouvons comprendre ces lieux que si, en même temps, nous écoutons la Parole de Dieu nous dire les événements dont ils sont le rappel, le point d’ancrage. La lecture de la Parole de Dieu n’est ni un récit d’historien, ni la mémoire d’un grimoire. Cette Parole agit, et bien plus Jésus, Parole de Dieu, Christ-Messie qui nous parle, est présent lui-même. Grâce à lui, nous sommes chrétiens et nous sommes en lui lorsque nous célébrons l’Eucharistie. Sa présence nous est donnée dans cet instant, en un lieu où non seulement son temps devient le nôtre, mais notre temps le sien, à lui, Jésus, né à Bethléem de Judée, mort sous Ponce Pilate. Le temps de son histoire est attesté par les lieux de son histoire. Et ce lieu prend une toute autre signification dès lors que nous-mêmes, par notre foi et notre prière en Église, manifestons l’acte accompli par Jésus et que nous en recevons la grâce par notre adhésion et notre communion.
Notre pèlerinage aux lieux saints doit nous permettre de vérifier, par la confrontation du réel d’aujourd’hui et du réel de l’histoire, que nous ne sommes ni devant un mythe, ni devant un imaginaire trompeur, mais bien devant la réalité humaine que vient transfigurer la Parole de Dieu brûlante et vive, la Parole faite chair. Sur la Terre où Dieu s’est livré et révélé, il nous fait la grâce de se donner à nouveau à nous par le mystère de son Église, Corps de son fils.
Cardinal Jean-Marie Lustiger, à l’occasion du Pèlerinage de Paris en Terre Sainte en l’an 2000. In « Comme Dieu vous aime » Editions Parole et Silence – 2001.