Mgr Defois : « Paul VI a souffert de ne pas être compris »
Archevêque émérite de Lille, Mgr Gérard Defois a été Secrétaire de l’épiscopat français entre 1978 et 1983, dans les dernières années du pontificat de Paul VI (1897-1978). Par reconnaissance et par fidélité, il sera dimanche 19 octobre 2014 à Rome pour la béatification du pape qui mit en œuvre le Concile Vatican II décidé par son prédécesseur, saint Jean XXIII. Propos recueillis par ClR.
Quels actes forts retenez-vous de son pontificat ?
Le Concile a été lancé par Jean XXIII mais c’est Paul VI qui l’a fait aboutir. Je pense qu’il a conforté la réflexion sur l’Eglise, avec Lumen Gentium et en particulier Gaudium et Spes. Ce texte qui montre l’engagement de l’Eglise dans la société est vraiment son œuvre. Il exprime des choses très profondes sur l’Eglise en dialogue avec le monde. Il y a d’autre part son encyclique sur l’évangile, Evangelii Nuntiandi, mais aussi sa démarche à l’organisation des Nations Unies, où il présente l’Eglise comme ayant une expertise en humanité à proposer au monde. Non pas comme au temps de Jean XXIII, pour donner des règles, mais simplement pour partager les débats, les dialogues et les difficultés de la transformation du monde. Dans les années 1965, on percevait très bien qu’on monde nouveau était en train de se créer et qu’un grand chemin avait été parcouru entre 1960 et 1965, dans la société, dans l’ensemble des réalisations humaines et humanitaires.
Qu’est-ce qui vous a touché dans sa personnalité ?
Cet homme a beaucoup souffert. Dans le contexte qui était le sien, on se demandait beaucoup où serait la ligne de consensus de l’assemblée conciliaire. Je pense que le Concile, c’est non seulement des textes mais aussi toute une histoire intellectuelle d’évêques marqués par une mentalité imprégnée par la formation première qui était souvent assez classique et qui, ensemble, grâce à l’apport des experts et des théologiens, s’est située tout à fait autrement, comme une Eglise immergée dans la société. Par exemple, au mois de décembre 1964, quand on se demandait ce que serait ce texte sur l’engagement de l’Eglise dans la société – souhaité par Jean XXIII et mené sous l’impulsion de son successeur – Paul VI a fait pencher vers l’humanité de l’homme. Et pas simplement une spiritualité désincarnée, mais impliquée dans les transformations de la société. Donc comme une instance de dialogue et non pas une instance dominante qui juge ni comme quelque chose d’uniquement privé. Il a su trouver le troisième terme d’une Eglise dans la société, en dialogue avec le monde et, d’une certaine façon, au service de ce monde. C’est une ligne de force du Concile que nous devons à Paul VI. Il a fallu que cette approche soit avalisée par le Concile. Quand on a su que l’autorité du Pape allait dans ce sens, je crois que cela a aidé à la compréhension. Après le Concile, la société a vécu Mai 68 et la remise en cause de l’autorité spirituelle. Paul VI a beaucoup souffert de voir les dérives, les caricatures même, de l’ouverture de l’Eglise qui ont été appliquées dans le monde. C’est là qu’il a eu des textes assez douloureux comme « les fumées de Satan dans l’Eglise ». Je crois qu’il a vécu les conséquences du Concile avec un certain tragique.
Pourquoi serez-vous à Rome le 19 octobre pour la béatification de Paul VI ?
J’ai été à l’enterrement de Paul VI, à Rome, en 1978. La veille, il était exposé dans la basilique, comme on le fait toujours pour le Pape. Alors que pour Jean-Paul II, il fallait attendre des heures et des heures dehors, il n’y avait pas grand monde pour Paul VI. C’est un homme qui a vraiment souffert de ne pas être compris. Je me rendrai à sa béatification pour marquer ce qu’on lui doit. Je pense qu’il y aura beaucoup moins de monde que pour la béatification de Jean-Paul II et de Jean XXIII, événement auquel j’ai assisté. Personnellement, je dois beaucoup aux expressions, aux engagements et aux choix du Pape Paul VI. Je pense que c’est une question de reconnaissance et de fidélité.
Paul VI ou l’invitation au dialogue avec le monde
S’il ne fallait retenir qu’une chose ? Ce serait son invitation à dialoguer avec le monde, avec la société. « Cette ouverture au monde, il l’a voulue pour recevoir du monde, ajoute Mgr Defois, pas simplement pour être dans une position dominante ». Paul VI aura été le premier pape à se positionner comme « un partenaire d’humanité ». « Il est important de rappeler ce qu’a été l’audace de Paul VI » conclut-il.