« Travailler… pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle » (Jn 6,27)

En ce temps de confinement, qui est venu bouleverser le cours ordinaire de nos activités, cette fête du travail du 1er mai 2020 prend évidemment un accent particulier. Réflexion de Monseigneur Hervé Giraud, évêque du diocèse de Sens-Auxerre.

Mgr Hervé GiraudPar l’absence de travail, certains ont pu expérimenter l’importance de celui-ci pour vivre en société. D’autres, par un surcroît de travail, ont vécu l’épuisement, le stress ou le découragement : travailler pour quoi ? travailler pour qui ? travailler jusqu’où ? Nous pourrions reprendre autrement une formule de Jésus sur le sabbat : « le travail a été fait pour l’homme, et non pas l’homme pour le travail. » En effet, le travail n’est pas qu’un droit universellement reconnu : il constitue un des éléments fondamentaux de la personne humaine comme de la société. Devant les nécessités sanitaires, les impératifs économiques ont su s’effacer, montrant qu’ils n’étaient jamais mieux ordonnés qu’au service de l’Homme. Le travail et ce qu’il produit permettent de vivre et de faire vivre son prochain, sa famille et la société tout entière.

La pensée de l’Eglise en matière sociale rejoint un sentiment largement partagé au sein du monde du travail quand elle encourage un exercice du travail qui soit orienté vers l’épanouissement de chacun et vise le Bien commun. Dans ces semaines de crise, la lumière s’est faite sur l’importance de tous ces travailleurs de l’ombre que nous ne pouvons citer sans risquer d’en oublier. Mais chacun peut ajouter à la liste des personnels hospitaliers, éboueurs, caissières, pompiers, transporteurs… tous ceux dont le travail a enfin été reconnu. Le pape François les évoquait au jour des Rameaux : « regardez les vrais héros, qui apparaissent ces jours-ci : ce ne sont pas ceux qui ont renommée, argent et succès, mais ceux qui se donnent eux-mêmes pour servir les autres. » Comme tous, ils peuvent connaître le travail qui use quand la fatigue nerveuse s’ajoute à la lassitude physique, l’humiliation du chômage, du recours aux minima sociaux, d’une vie sous le seuil de pauvreté, l’angoisse de devoir procéder à des licenciements quand la situation ne laisse aucune autre alternative… autant de situations qui doivent préoccuper solidairement l’ensemble des acteurs du monde économique, syndical et politique. A ce titre, le recours plus commun au télétravail, comme les aménagements du mode de travail rendus nécessaires par une situation sanitaire inédite, ouvriront peut-être des pistes de réflexion pour un développement plus harmonieux, notamment dans les territoires ruraux. Et comment venir en aide à toutes les détresses qui se révèleront au sortir du confinement ?

Car la nécessité du travail n’en fait pas un tout. L’excès de travail comme le ralentissement forcé de ces derniers mois nous obligent à jeter un regard de vérité sur toutes nos activités. Personne n’aime être totalement inactif : chacun désire se réaliser lui-même comme personne humaine, dans le travail rémunéré, dans le bénévolat ou toute autre activité. L’homme se réalise dans et par ses œuvres. Dans l’Évangile de Jean, Jésus demande de « travailler pour la nourriture qui demeure jusque dans la vie éternelle » (Jn 6,27). Ce faisant, il nous invite à réfléchir à la finalité ultime de notre travail et à dépasser l’immédiateté tout en ayant conscience que c’est d’abord Dieu qui travaille pour nous et avec nous. Il travaille afin que nous reconnaissions que son amour « a été répandu dans nos cœurs par l’Esprit Saint qui nous a été donné » : on en trouve déjà beaucoup d’exemples à travers autant de gestes fraternels qui s’expriment dans bien des domaines de nos sociétés modernes, mais combien d’intérêts individuels viennent encore les entraver ?

En croyant que tout homme ou femme, créé à la ressemblance de Dieu, coopère à son œuvre créatrice, les chrétiens donnent au travail un sens qui engage chacun au-delà de son propre intérêt. Car ainsi cette œuvre, comme tout travail, devra toujours être considérée comme une collaboration, et cela quel que soit notre poste. À la question « pour quoi, pour qui et jusqu’où travaillons-nous ? » pourrait se substituer une autre question : « avec qui travaillons-nous ? » Saurons-nous y répondre en déconfinant nos intérêts pour mieux servir le Bien commun ?

+ Hervé GIRAUD
Archevêque de Sens-Auxerre
Prélat de la Mission de France

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